Nogozon est une association du quartier de Belleville, à Paris, qui tente de transcender les sensibilités politiques en une production collective par des débats scientifiques, des ateliers de musique, des cours de langue, des ateliers de programmation informatique, et une bibliothèque de livres turcs.
Association qui peut intéresser tout parisien turcophone ou non, qui veut se porter à la rencontre de la diaspora, en partageant culture, histoire, langue et politique, et bien au delà. Elle organise régulièrement des activités, dont des “permanences universitaires”, tous les vendredis soir.
Pour la 5ème permanence, prévue dans la soirée du 28 avril, le thème proposé était “Le massacre de Zilan”, dans le volet des “Massacres de kurdes de la période de la République turque, d’après les photos”. La permanence était animée par Sedat Ulugana, doctorant et chercheur en Sciences sociales, Histoire et Civilisations à EHESS.
La présentation de Sedat était basée sur des archives photographiques de Naim Bürküt.
Sur l’événement créé sur Facebook par l’association, Sedat annonçait son intervention avec ces mots :
Premier pilote de guerre de la Turquie, Naim Bürküt, était également, à l’Académie militaire, professeur de Sabiha Gökçen, la première pilote femme en Turquie, [et filleule d’Atatürk] qui avait bombardé Dersim. Naim Bürküt, dans les années 1927–1932 avait bombardé de nombreuses fois, la région d’Ağrı.
Le bombardement le plus important s’est déroulé à Zilan, district de Erciş, à Van. Selon les journaux de l’époque, suite aux bombardements et opérations militaires menés dans cette région, en quelques mois, 15 000 civils ont été massacrés. Le massacre de Zilan était en quelque sorte la “répétition” précédant le massacre de Dersim.
Le manque de documents, concernant le massacre de Zilan, donne une valeur historique importante à l’activité photographique que je vais vous présenter.
La soirée s’est déroulée sans incident. C’est après, que les médias turcs pro-Erdoğan, se sont emballés…
Le jour de l’initiative, la page Facebook “CHP Fransa”, du parti CHP en France, avait partagé l’événement de Nogozon.
Les médias “alliés”, sautent alors sur l’occasion, et, avec le même texte en copié-collé, crient d’une seule voix au scandale. “Le partage scandaleux sur la page Facebook du CHP-France”, “Les scandales ne cessent pas au CHP. Il déclare maintenant Sabiha Gökçen, comme assassin !”, “Que répondra le CHP à cela ?”…
Kedistan, vous le savez, n’a guère d’affinités avec les partis pyramidaux en général, et encore moins avec ceux qui prônent les vertus des Etats-nation. Nous qualifions le CHP, Parti républicain du peuple, comme un parti social libéral démocrate, kémaliste, laïc et républicain, mais de fait nationaliste, et chaud partisan lui aussi du roman national turc.
Mais nous n’ignorons pas non plus que s’il est l’héritier d’une “tradition républicaine” qui comporte bien des “coups d’état”, et des périodes noires où l’armée joua le rôle du “maintien de la république et de l’unité nationale” comme du renforcement de la turcité imposée, il n’en est toutefois pas moins traversé par des interrogations fortes. Beaucoup de militants de la jeune génération, même s’ils hésitent encore à “tuer le père”, prennent conscience que cette 2 ème force politique du pays est en total porte-à-faux vis à vis du régime.
La dernière campagne pour le NON au référendum a encore renforcé ces constats. Et l’on comprend ainsi pourquoi la direction de ce parti a très vite dissuadé les mouvements de protestation de rue à l’issue du vote, pour les ramener vers une “contestation par recours de justice”, entre autres, puis une acceptation parlementaire des conséquences. Le CHP au parlement a soutenu les bombardements contre le Rojava sans sourciller, au nom de la lutte contre le terrorisme et les ennemis de la Turquie depuis, par exemple. Les jeunes militantEs apprécieront…
La page Facebook CHP France, a donc retiré dare dare le partage en question, et aucune déclaration n’a encore été faite à ce jour.
Pour celles et ceux qui penseraient que les frontières de la réflexion politique et de la pensée encerclent le monde universitaire et associatif, et que les polémiques s’y déroulent en milieu fermé, il y a là, la démonstration du contraire. La “vigilance” de l’AKP, pour ne pas dire la surveillance de la diaspora par ses réseaux en Europe est forte, et de suite relayée en Turquie, et cela joue tout autant sur le “politiquement correct” de représentants du social libéralisme turc déguisés en gauche démocratique. Et il est totalement scandaleux qu’une association comme Nogozon se retrouve prise dans cet étau, tout autant qu’il est hypocrite sur les réseaux CHP de ne pas assumer les mises en perspective historiques qui dérangent…
La boucle est bouclée. L’avancée des débats dans la diaspora ne pourra se faire sans s’affranchir du bras long du régime, sans se protéger des réactions ultra-nationalistes fortement présentes, mais tout autant en se dégageant de la gangue des connivences dites de gauche et du politiquement correct, qui brouillent ou empêchent la réflexion sur la remise en cause du dogme de l’Etat nation par la question kurde.
A cet égard, la solidarité avec le Rojava est, et reste la meilleure porte d’entrée de la critique politique, en plus de toutes ces initiatives bienvenues de mises en perspective historique.