Xer­abê Bava (de son nom kurde), ou Kuruköy ou encore Koruköy,  (dif­férentes orthographes ont cir­culé dans les médias et sur les réseaux soci­aux), petite local­ité du dis­trict de Nusay­bin (province de Mardin), est à nou­veau un vil­lage martyr.

Témoignages

Les anciens habi­tants du Xer­abê Bava, qui vivent ailleurs depuis les années 90, n’ar­rivent pas avoir des nou­velles de leurs proches restés au vil­lage et ils sont inqui­ets. Par­mi eux, Sare Türk, a réus­si à com­mu­ni­quer un court moment, avec ses proches.

Sa belle-sœur :

Ils ont mis tout le monde en garde-à-vue. Depuis 12 jours, des bombes nous tombent sur la tête. Ils ont amené mon frère. Quand j’ai voulu deman­der où ils l’avaient amené, ils nous ont attaqué. Je ne sais pas où il a été amené. Dans le vil­lage, il n’y a pas d’élec­tric­ité, il n’y a pas de nour­ri­t­ure. Ils ont mis nus tous les gens qui sont arrêtés, ils les ont tor­turé sur la neige, jusqu’au matin.

La sœur de Sare est aus­si au village :

Trois fois par jour, ils vien­nent fouiller nos maisons. Ils ont arrêté tous les jeunes du vil­lage. Per­son­ne n’ar­rive à avoir de nou­velles de per­son­ne. Ils brû­lent les éta­bles avec les bêtes à l’in­térieur. On a des voisins malades, mais ils ne peu­vent pas aller chez le médecin. L’élec­tric­ité est coupée. Les télé­phones ne captent pas les relais.

Dans l’autre pièce, ils frappaient la tête de mon fils contre le mur

M.A. du vil­lage Xer­abê Bava souligne que les vil­la­geois vivent ce genre de choses pour la troisième fois, depuis les années 90…

Nous avons vu par la fenêtre, qu’ils entraient dans le jardin. Ensuite 20, 30 mil­i­taires ont relevé leur armes et ont com­mencé à fouiller autour de la maison.

Ils ont mis l’arme à la tête de mon fils et ils ont men­acé : “Deux per­son­nes sont sor­ties de votre jardin, dis nous immé­di­ate­ment leur nom. Si tu ne nous le dis pas, on te tuera”. Mon fils a dit qu’il était ren­tré de Chypre récem­ment et qu’il ne con­nais­sait per­son­ne. Ils nous ont dit que deux per­son­nes avaient fui de la mai­son. Ils ont pris mon fils et l’ont emmené dans le sous-sol de la mai­son. Je me suis évanouie de peur qu’ils tuent mon fils. Je suis frag­ile, j’ai passé plusieurs opéra­tions d’angio.

En fin d’après-midi, des bruits de tirs très intens­es réson­naient dans le vil­lage, mais nous ne pou­vions pas sor­tir, nous atten­dions à la mai­son, dans l’in­quié­tude. Nous n’avions aucune nou­velle. Encore une fois ils sont arrivés à la mai­son, en cas­sant les portes et les fenêtres. Ils ont essayé d’en­tr­er dans le jardin avec deux blind­és, en écras­ant la porte du jardin. J’ai cru qu’ils allaient écrouler la mai­son sur nos têtes. Mon mari et moi, nous sommes malades [opérés]. Ma fille et mon fils étaient à l’in­térieur avec nous. J’ai cru qu’ils allaient nous tuer tous.

Deux per­son­nes s’en sont pris à mon fils. Ils ont com­mencé à le bat­tre. Dans l’autre pièce, ils frap­paient la tête de mon fils sur le mur. Le bruit arrivait jusqu’à nous. J’ai crié, “Com­ment vous pou­vez bat­tre mon fils deux à la fois !”. Ils l’ont amené dans le jardin der­rière, et ils l’ont bat­tu à coups de pied, ensuite ils l’ont amené près de nous, ils l’ont encore roué de coups de pieds, devant nos yeux. J’ai ouvert ma poitrine opérée, “Vous ne voyez pas, nous sommes malades, que voulez-vous de nous ?”

Ils fai­saient pleu­voir des balles sur notre mai­son. Pas une seule balle, ni deux ! Une pluie de balles. La tête de mon fils était ouverte, avec cette peur, nous n’avons même pas pen­sé à l’amen­er chez le médecin. Il était ren­tré de chypre il y a juste une semaine. Mon fils leur a mon­tré son passe­port, il a dit qu’il venait de ren­tr­er de Chypre. Mais qui l’écoutait ?

Les ani­maux meurent de soif et de faim à l’in­térieur. Ils ont con­fisqué la nour­ri­t­ure des gens, et de leurs ani­maux. Ils parait qu’ils ont abat­tu la plu­part de nos bêtes. Ils ont cassé les portes de toutes les maisons et ils ont brûlé de nom­breuses maisons, et les réserves de paille. Il y a des vieux dia­bé­tiques… Comme je me suis évanouie je n’ai pas pu voir tout, et nous avions peur d’en­trou­vrir les rideaux. Ils ont cassé la porte de Süley­man, ils ont cassé la porte de Hacı Selim, et celle d’Ab­dul­lah aus­si… C’est seule­ment ce que nous avons pu voir de nos pro­pres yeux. Nous ne savons pas ce qui a été vécu dans les endroits que nous voyions pas. Nos voisins racon­taient aus­si, qu’ils ont fait une descente chez eux à 10h30. Et dès qu’ils ont ouvert la porte, ils ont mis les fusils dans leur dos.

Ce genre de choses nous arrive pour la troisième fois depuis les années 90. Ils brû­lent nos maisons, ils veu­lent nous sor­tir de nos terre. Et après tous les dégâts qu’ils ont com­mis, ils dis­ent Nous paierons et ils par­tent. Nous ne voulons pas de leur argent.

Témoignages recueillis par Dihaber

La troisième fois depuis les années 90

En effet M.A. a rai­son de le rappeler.

La pre­mière “opéra­tion” de l’E­tat sur Xer­abê Bava date de 1992. Tous les habi­tants du vil­lage avaient été mis en garde-à-vue. Ils les avaient libérés au bout de plusieurs jours seulement.

Ensuite, il faut rap­pel­er la dou­ble exé­cu­tion, restée sans suite. Il s’ag­it du cas de Hamit et Bayram Bal qui fig­u­raient dans la liste des près de 500 “per­son­nes dis­parues par la force”, dont une banque de don­née d’archives et d’in­for­ma­tions sur trou­ve sur Hafıza Merkezi (Cen­tre du Mémoire). Le dossier de Hamit et Bayram en fait par­tie.

Selon le rap­port d’Amnesty Inter­na­tion­al de 1995, Hamit et Bayram Bal, sont mis en garde-à-vue, le 2 novem­bre 1994. Ils passent devant le tri­bunal de Mardin le 15 novem­bre, et ils sont libérés. Mais aus­sitôt après leur libéra­tion, ils sont enlevés par des per­son­nes “non iden­ti­fiées” se présen­tant comme officiers de police con­duisant un Renault blanc.1
Le 20 décem­bre, leurs corps sont trou­vés dans un chantier d’un vil­lage voisin. Hamit et Bayram ont été exé­cutés cha­cun de 2 balles dans la tête et leur corps por­taient des traces de torture.

Après cet événe­ment, Xer­abê Bava a vu déjà une par­tie de ses habi­tants partir.

Peu de temps après, le 21 mai 1995, le vil­lage est de nou­veau l’ob­jet d’une “opéra­tion”. Le vil­lage est bom­bardé par des chars, les maisons et éta­bles sont brûlées. Seules les maisons en pierre restent debout. Une nou­velle vague de départ, cette fois plus impor­tante, vide de ses âmes le village.

Dans les années 2000, avec l’e­spoir que le début du “proces­sus de paix” éveille, une par­tie des habi­tants ont regag­né leur village.

Ley­la Güven, la coprési­dente du DTK (Con­grès pop­u­laire démoc­ra­tique) à pro­pos de Xer­abê Bava :

Ce qui se passe au vil­lage Xer­abê Bava, s’est passé dans plusieurs villes kur­des depuis un an et demi. Ceux qui mon­trent “les tranchées” comme la rai­son de départ d’une guerre et qui com­mu­niquent sans cesse dessus afin de manip­uler l’opin­ion publique devraient voir la réal­ité. Y avait-il des “tranchées” à Xer­abê Bava ?

Vous avez peut être eu des ren­seigne­ments, dans ce cas suiv­ez les et cherchez les per­son­nes. Mais vous ne pou­vez pas pren­dre tout un vil­lage en otage, et met­tre tous les vil­la­geois sous siège. Vous avez fait en sorte que les habi­tants, jeunes, per­son­nes âgées, enfants, ne puis­sent sub­venir à leurs besoins les plus fon­da­men­taux. Cela n’est pas accept­able. C’est un crime con­tre l’humanité.

Une pho­togra­phie d’un homme de 57 ans, por­tant de lour­des traces de coups, Abdi Aykut, cir­cule. Une agence a indiqué que l’homme avait dis­paru après avoir été détenu dans le vil­lage assiégé par les forces de sécu­rité turques, depuis le 11 Févri­er. L’a­gence indique égale­ment que la pho­to a fait sur­face après qu’Aykut ait été emmené à l’hôpi­tal pour des blessures qu’il a subies du fait de la bru­tal­ité poli­cière. Après avoir été vu par des médecins à l’hôpi­tal, son inscrip­tion sur les reg­istres a été effacée, après quoi, sa famille n’a eu aucun con­tact avec lui. Selon d’autres sources, Abdi Aykut serait depuis dans le ser­vice de chirurgie plas­tique de l’hôpi­tal pub­lic de Mardin.

Tous les témoignages concordent.

Nous n’avons pas pour habi­tude à Kedis­tan, de décrire l’hor­reur par le menu et de faire cir­culer des images de cadavres, qui finis­sent entassées pêle-mêle sur les pages de moteurs de recherche, con­sti­tu­ant une sorte de musée de l’in­hu­man­ité, où l’on pour­rait puis­er indif­férem­ment pour “illus­tr­er” chaque nou­velle exac­tion. Mais nous avons cepen­dant doc­u­men­té tous les mas­sacres de 2015 et 2016. Ce nou­veau crime s’a­joute à ceux là, dans la même logique.

Les forces spé­ciales agis­sent avec un sen­ti­ment d’im­punité, et avec les méth­odes qu’ont tou­jours employées les armées “bar­bares” à l’en­con­tre des pop­u­la­tions civiles. Pour les habi­tants kur­des de ce vil­lage, la bar­barie de l’é­tat est la même, que ce soient les forces de répres­sion des années 90 ou celles d’au­jour­d’hui, sous les ordres du régime AKP. Der­rière cette vio­lence et cette inhu­man­ité, qui s’est déchaînée sur un vil­lage, on trou­ve la mar­que d’une sol­datesque totale­ment “cou­verte” par les déc­la­ra­tions inces­santes d’un Erdoğan con­tre les “enne­mis de la nation”. La bar­barie, mêlée au racisme anti-kurde, peut s’ex­ercer alors avec le sen­ti­ment du “devoir accompli”.

Le régime, avec sa poli­tique de ter­reur per­ma­nente, est totale­ment respon­s­able de ces crimes de guerre, et de l’in­hu­man­ité avec laque­lle ils sont commis…

Voir l’ar­ti­cle précé­dent sur Kuruköy

Image à la une : M.A. et ses proches témoignent.

Mardin — Alors qu’une pre­mière délé­ga­tion a été empêchée d’en­tr­er dans le vil­lage Xer­abê Bava, les représen­tants des Cham­bres de médecins et le Bloc de la Paix les ont rejoint hier.

Une veil­lée avait com­mencé. La délé­ga­tion com­prend le démoc­rate Con­grès de la Société (DTK) Co-prési­dent Ley­la Güven, Par­ti démoc­ra­tique pop­u­laire (HDP) députés, Nusay­bin mères de paix, HDP et organ­i­sa­tions DBP (Régions Par­ti démoc­ra­tique) provin­cial et de dis­trict. L’at­tente se pour­suit avec les représen­tants des Cham­bres de Médecins à Van, Diyarbakır et Mardin, le Bloc de la Paix et de l’As­so­ci­a­tion des psy­cho­logues pour la Sol­i­dar­ité sociale .Alors que ces délé­ga­tions ont ten­té d’en­tr­er dans le vil­lage plusieurs fois, des ambu­lances quit­tant les vil­lages alen­tours de Dogan­li et Kuyu­lar, où un cou­vre-feu a été déclaré hier, ont été vues.

Pour plus d’informations


Traductions & rédaction par Kedistan. | Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Kerema xwe dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas
KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.