C’é­tait ce mar­di 14 févri­er. Devant la cour, au 22e tri­bunal pénal d’Is­tan­bul, plusieurs jour­nal­istes ont été inculpés, bien qu’ayant pour cer­tains d’autres affaires en cours.

Le pre­mier est chroniqueur pour le site d’in­for­ma­tions T24, mais aus­si mem­bre fon­da­teur du site P24, qui mène depuis des mois et des mois un tra­vail de four­mi pour établir une liste pré­cise des jour­nal­istes empris­on­nés. Ce 14 févri­er, Hasan Cemal com­para­is­sait devant le 22ème Tri­bunal pénal d’Is­tan­bul pour sa sec­onde audi­ence, accusé de “pro­pa­gande d’une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”, mais aus­si d’ ”apolo­gie du crime et des crim­inels”, en rai­son d’un arti­cle inti­t­ulé “Fehman Hüseyin qu’il avait écrit en juil­let 2016

Je suis jour­nal­iste depuis 47 ans. C’est la pre­mière fois que je suis accusé pour des arti­cles et des livres que j’ai écrits”, s’in­surge Cemal lors de l’au­di­ence. “Je n’ai jamais défendu le ter­ror­isme. Je ne suis jamais devenu un out­il de pro­pa­gande du ter­ror­isme. J’ai tou­jours défendu la paix. Le jour­nal­isme n’est pas un crime. Il n’y a pas de loi, de lib­erté, et de démoc­ra­tie, dans une société où le jour­nal­isme est un crime.”

En Turquie, Hasan Cemal est loin d’être un incon­nu. Il fait par­tie de ces rares intel­lectuels qui, au début des années 2000, ont ten­té de faire recon­naître le géno­cide arménien. C’est que son grand-père lui-même, Cemal Pasha, a par­ticipé à ce géno­cide. Il a organ­isé et super­visé la dépor­ta­tion et l’extermination de cen­taines de mil­liers d’Arméniens et de Syr­i­aques. Alors pour se débar­rass­er de ce pesant héritage, Hasan Cemal s’est ren­du à plusieurs repris­es en Arménie, notam­ment au mémo­r­i­al du géno­cide d’Erevan, la cap­i­tale du pays. Et en 2012, en réponse à l’as­sas­si­nat du jour­nal­iste turc et arménien Hrant Dink, il a pub­lié un ouvrage sur son par­cours, 1915 : Ermeni Soykırımı (1915: le Géno­cide arménien).

Le jour­nal­iste doit faire face à plusieurs procès, dont un pour avoir été rédac­teur en chef d’un jour d’Özgür Gün­dem, dans le cadre d’une cam­pagne de sol­i­dar­ité pour ce quo­ti­di­en inter­dit le 16 août au pré­texte de faire la pro­pa­gande et d’être l’or­gane de presse du PKK. Et ce 14 févri­er, les pro­cureurs ont réclamé con­tre lui une peine allant jusqu’à huit ans de prison. D’autres que lui avaient aus­si par­ticipé à la cam­pagne de sol­i­dar­ité pour Özgür Gün­dem, ce qui leur vaut les mêmes chefs d’ac­cu­sa­tion : Ayşe Düzkan, Ragıp Duran, M. Ali Çelebi, Can Dün­dar et Necmiye Alpay.

Lors de l’au­di­ence de Necmiye Alpay, lin­guiste réputée, les pro­cureurs ont donc demandé la même peine max­i­male de huit ans pour “pro­pa­gande d’une organ­i­sa­tion ter­ror­iste” et “divul­ga­tion de com­mu­niqués de presse de l’or­gan­i­sa­tion”, en se référant au PKK.

La cour a néan­moins reporté son juge­ment à plus tard, pour Necmiye Alpay comme pour plusieurs autres inculpés. La prochaine audi­ence de la lin­guiste est prévue pour le 9 mars, celles de la jour­nal­iste Nadire Mater et du scé­nar­iste Yıldırım Türk­er ont été fixées au 7 mars.

En atten­dant, Hasan Cemal, lui, écope déjà de 15 mois de prison avec sur­sis, pour “pro­pa­gande d’une organ­i­sa­tion ter­ror­iste” avec son arti­cle inti­t­ulé “Fehman Hüseyin”, tout en étant acquit­té pour l’autre chef d’ac­cu­sa­tion (“apolo­gie du crime et des crim­inels”). Pour mémoire, Fehman Hüseyin est l’un des prin­ci­paux acteurs du Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK). Et Cemal a beau­coup tra­vail­lé sur la longue his­toire de la ques­tion Kurde.

Le par­quet a égale­ment con­damné à des peines de quinze mois avec sur­sis Cen­giz Baysoy, Çilem Küçükkeleş et İmam Can­po­lat, pour leur par­tic­i­pa­tion à la cam­pagne de sol­i­dar­ité du jour­nal Özgür Gün­dem, bien que les avo­cats des deux derniers aient été était absents et que le tri­bunal n’ait pas pu enten­dre leur défense.

*

Tou­jours à Istan­bul, le 13 févri­er, l’en­quête bap­tisée “Aile média du FETÖ” a été close. Elle con­cerne 29 jour­nal­istes, dont 25 en déten­tion, accusés d’ ”appar­te­nance à une organ­i­sa­tion ter­rorise” et con­sid­érés comme étant “liés” à la ten­ta­tive de coup d’E­tat. Leurs noms : Abdul­lah Kılıç, Ahmet Memiş, Ali Akkuş, Atil­la Taş, Bayram Kaya, Bülent Cey­han, Bünyamin Köseli, Cemal Azmi Kaly­on­cu, Cihan Acar, Cuma Ulus, Davut Aydın, Emre Son­can, Gökçe Fırat Çul­haoğlu, Habib Güler, Halil İbrahim Bal­ta, Hanım Büşra Erdal, Hüseyin Aydın, Muhammed Sait Kuloğlu, Muhterem Tanık, Murat Aksoy, Mustafa Erkan Acar, Mut­lu Çöl­geçen, Oğuz Usluer, Said Sefa, Seyid Kılıç, Ufuk Şan­lı, Ünal Tanık, Yakup Çetin, Yetkin Yıldız.

Selon l’acte d’ac­cu­sa­tion, Said Sefa serait der­rière le compte Twit­ter d’un cer­tain “Fuat Avni”. Ce per­son­nage virtuel est con­nu pour ses pré­dic­tions, qui lais­sent penser qu’il aurait fait par­tie de l’en­tourage d’Er­doğan. Et de nom­breuses per­son­nes ont été accusées de lui cor­re­spon­dre, sans qu’au­cune preuve n’ait jamais pu être apportée. C’est cette fois Said Sefa. On l’ac­cuse de “ten­ta­tive de destruc­tion du gou­verne­ment de la République de Turquie” et de “direc­tion d’une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”, en récla­mant une peine de per­pé­tu­ité incom­press­ible (se sub­sti­tu­ant à la peine de mort). Quant aux 28 autres accusés, dont le chanteur Atil­la Taş, le par­quet demande à leur encon­tre une peine de prison allant de 5 à 10 ans, pour ”appar­te­nance à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste armée”.

Dans le dossier, des retweets de “Fuat Avni”, des dénon­ci­a­tions, ou encore des tweets et des retweets des “accusés” sont util­isés pour argu­menter les chefs d’ac­cu­sa­tion. Il s’ag­it de pro­pos qui cri­tiquent le gou­verne­ment, dénon­cent le cor­rup­tion ou encore d’une cita­tion de Chom­sky… con­sid­érés comme “liés au coup d’E­tat” ou “pré­parant le ter­rain pour un coup d’Etat”…

Leur prochaine audi­ence est prévue pour les 27–31 mars.

Anne Rochelle


Image à la une : Erdoğan — “La lib­erté du jour­nal­iste se ter­mine là où mes fron­tières commencent !”

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