Bien évidem­ment, les “sup­pu­ta­tions” vont bon train en ce qui con­cerne la future poli­tique des Etats-Unis au Moyen-Ori­ent. Et ici où là, com­men­cent à s’échafaud­er des scé­nar­ios poli­tiques de “change­ment”. Comme si l’élec­tion d’une cer­taine droite rad­i­cale blanche aux USA allait apporter la con­corde mondiale.

Il est très éton­nant d’en­ten­dre dans la bouche de cer­tains respon­s­ables kur­des, la for­mu­la­tion “d’e­spoirs”, avec l’ar­rivée aux affaires du mil­liar­daire améri­cain. Il est plus navrant de lire des “félic­i­ta­tions” à l’oc­ca­sion de cette vic­toire pop­uliste de l’Amérique “pro­fonde”, qui s’est reportée sur une can­di­da­ture d’oli­gar­que, con­tra­dic­toire­ment par envie de rejet du “sys­tème”. Il est peu prob­a­ble que les aides en arme­ment pour les forces com­bat­tantes con­tre Daech, devi­en­nent pro­por­tion­nelles au degré de “félic­i­ta­tions” qui pour­rait être apporté à cette élec­tion du nou­veau président.

Il y a eu très peu d’ex­pres­sion poli­tique sur les ques­tions inter­na­tionales, de la part du can­di­dat “Trump”, qui ne soit général­istes, et ne procè­dent de ce repli “sou­verain­iste”, d’une “Amérique d’abord”. La volon­té à cet égard, d’une rela­tion plus appuyée avec la Russie, mar­que la recherche d’une géopoli­tique inter­na­tionale du “com­pro­mis poli­tique impéri­al­iste” dans le cadre main­tenu, voire exac­er­bé, de la con­cur­rence économique ultra libérale. L’af­fir­ma­tion appuyée des rela­tions à ampli­fi­er avec le gou­verne­ment israélien, de pair avec une pos­si­ble remise en cause du com­pro­mis avec l’I­ran, n’a là non plus, rien de bien nou­veau vis à vis de l’an­ci­enne poli­tique des Répub­li­cains. Le repli sur l’Amérique n’a rien de con­tra­dic­toire non plus avec la mon­di­al­i­sa­tion finan­cière et le marché roi… Bref, Trump n’est pas un social libéral alter mon­di­al­iste, ça se saurait.

Et, c’est alors qu’ap­pa­rais­sent, pour ce qui m’in­téresse, des sup­pu­ta­tions sur une éventuelle oppo­si­tion Trump/Erdogan… qui chang­erait la donne régionale. Out­re le fait que la tau­tolo­gie “l’en­ne­mi de mon enne­mi” n’a jamais per­mis d’analy­ses poli­tiques, ni d’a­vancées de l’His­toire, sup­put­er sur d’éventuels dif­férents entre la nou­velle admin­is­tra­tion améri­caine et le rési­dent du Palais d’Ankara, alors que dans l’en­tourage de Trump, on trou­ve entre autres, un très proche du gou­verne­ment turc, et que dès l’élec­tion, Trump ne démen­tait pas une pre­mière vis­ite extérieure en Turquie pos­si­ble, ressem­ble à un pari sur la lune.

Je ne résiste pas au plaisir d’une de ces “analy­ses” de haut vol, lue au hasard de pub­li­ca­tions “mil­i­tantes”, mal­heureuse­ment  : “Trump n’aimerait pas les musul­mans… donc Trump serait adver­saire de Daech… et donc, de ses ex-sou­tiens, le gou­verne­ment AKP… et, bien sûr…deviendrait for­cé­ment l’a­mi des enne­mis d’Er­do­gan ; les Kur­des…” En voilà une qu’elle est bonne ! Si, si, j’ai lu ce devoir d’his­toire niveau CM2 aujour­d’hui. Je ne dirais pas où, même sous tor­ture, inutile d’insister…

N’ou­blions pas que la cam­pagne de Trump a trou­vé écho dans les secteurs des éner­gies fos­siles, et qu’il a promis de relancer à la fois le char­bon et la rentabil­ité de l’ex­trac­tion du pét­role de schiste. Cette poli­tique là est à pren­dre au sérieux, et de fait, aura des inci­dences sur les con­cur­rences de pro­duc­tions mon­di­ales. L’I­ran, en pre­mier lieu risque d’en faire les frais, et le récent accord avec les pro­duc­teurs du Golfe devance en par­tie ces ambi­tions pétrolières améri­caines. La sauve­g­arde des “rentes pétrolières” des puis­sances régionales au Moyen-Ori­ent est à ce prix. En quoi cela serait-il béné­fique par ric­o­chet à l’au­tonomie kurde ??? Il faudrait pour cela sup­pos­er une inter­ven­tion mil­i­taire améri­caine plus con­séquente, ou … et c’est vis­i­ble­ment l’hy­pothèse “espérée”, une aide mil­i­taire et logis­tique plus con­séquente aux forces kur­des com­bat­tantes con­tre Daech, qu’elles soient syri­ennes ou irakiennes.

En quoi cela aiderait-il le proces­sus en cours au Roja­va ? L’af­faire est-elle pure­ment mil­i­taire ? La ques­tion est entière… Peut-on raisonnable­ment atten­dre une aide au con­fédéral­isme démoc­ra­tique de la part d’un impéri­al­isme en pointe dans la défense de la con­cur­rence entre oli­garchies mon­di­ales ? Car ce repli sou­verain­iste, s’il s’avère que Trump en trou­ve les sou­tiens poli­tiques pour le met­tre en oeu­vre, sig­ni­fiera aus­si un libéral­isme et une con­cur­rence plus sauvage encore sur le plan économique à l’in­ter­na­tion­al, la mise en sour­dine des traités de libre échange devenant des armes de con­cur­rence et de dump­ing… Quelle résis­tance pour­rait bien oppos­er la société civile du Roja­va, con­tre une volon­té de com­pro­mis sur son dos, qui d’ailleurs pour­rait pass­er par des négo­ci­a­tions sur la re-con­sti­tu­tion d’E­tats-nations sta­bil­isés, dans le cadre d’un grand marchandage pour “apais­er” le Moyen-Ori­ent… La par­tie kurde qui pour­rait obtenir des miettes ne serait pas le Roja­va, là nous pou­vons en être sûrs. Et l’on sait où con­duisent ces poli­tiques d’a­paise­ment par re-découpages des rap­ports de forces depuis un siè­cle dans la région. La crise patente des nation­al­ismes est pour­tant le fer­ment de la pour­suite des guerres…

Alors, re-dévelop­per, à l’oc­ca­sion de l’an­niver­saire du cen­te­naire des “Accords Sykes-Picot” l’idée qu’une paix après Daech pour­rait s’in­spir­er du mod­èle d’il y a un siè­cle, serait pro­pre­ment crim­inel pour l’avenir du Roja­va, entre autres, et d’un mod­èle de gou­ver­nance démoc­ra­tique des Peu­ples, qui s’af­franchi­rait des tox­i­c­ités nation­al­istes des Etats-nation, en l’oc­curence l’idée du con­fédéral­isme démoc­ra­tique. Sans compter que cela ferait à nou­veau pass­er au troisième plan l’é­man­ci­pa­tion de la femme au Moyen-Ori­ent, l’é­man­ci­pa­tion sociale des peu­ples dans un cadre com­mun, l’a­ban­don rapi­de des éner­gies fos­siles, et l’idée même de ces­sa­tion de la pré­da­tion écologique pour le développe­ment des ter­ri­toires… Bref, ces accords d’alors, de partages de zones d’in­flu­ences impéri­al­istes, reposant sur des re-découpages nation­al­istes locaux et l’at­tri­bu­tion de prében­des à des Etats-nation, étaient dans la droite ligne, sur les ruines de l’Em­pire Ottoman, de ce qui con­sti­tua l’essen­tiel de la pre­mière guerre mon­di­ale et de ses soubre­sauts inter­na­tionaux, autrement plus impor­tants que Ver­dun et les batailles de la Somme.

Et pour­tant c’est ce type de nos­tal­gie qui pointe son nez, replis poli­tiques sou­verain­istes oblig­ent, y com­pris dans une cer­taine “gauche”, et avec elle, quand on par­le de “ques­tion kurde”, l’idée d’un Kur­dis­tan indépen­dant à tous prix, qui émerg­erait des ruines de la Syrie et des villes iraki­ennes encore sous con­trôle de l’E­tat islamique. Les par­rains en seraient Pou­tine et Trump, si j’ai bien com­pris le raison­nement, cha­cun avec ses alliés respectifs.

Cela sig­ni­fierait aus­si un aban­don en rase cam­pagne de toute la poli­tique ini­tiée par l’op­po­si­tion démoc­ra­tique en Turquie, et le choix entre “assim­i­la­tion” con­sen­tante ou guerre ouverte pour l’indépen­dance. Là encore, un tour­nant poli­tique pour le mou­ve­ment kurde en Turquie, loin des proces­sus ini­tiés par Öcalan dès les années 1990.

Qu’est-ce donc qui peut m’amen­er à ce pes­simisme sur l’avenir, à par­tir d’une sim­ple inter­ro­ga­tion sur des “félic­i­ta­tions appuyées” de respon­s­ables kur­des en direc­tion de Trump ? Peut être une sim­ple intu­ition que même les plus avancéEs en matière de réflex­ion poli­tique et d’ex­péri­men­ta­tion de l’au­tonomie démoc­ra­tique, pour­raient, par réal­isme, se laiss­er aus­si aller aux sirènes dom­i­nantes des replis mon­di­aux, et subir les chan­tages impéri­al­istes à la paix, dès lors où des os à ronger seraient promis, comme la par­ti­tion de l’ex Yougoslavie par exem­ple, aboutit à la renais­sance insti­tu­tion­nelle des nation­al­ismes européens il y a 20 ans.

Je préfère penser qu’il n’y a là que “rus­es diplo­ma­tiques”, et recherch­es d’obtenir quelques gains ou sou­tiens auprès du plus offrant sans y per­dre son âme. Mais mal­heureuse­ment, je con­state dans la dias­po­ra, que ces “rus­es”, pris­es au pre­mier degré, re-dévelop­pent des “iden­ti­tarismes” poli­tiques au sein de jeunes généra­tions biberon­nées au “con­fort mod­erne”, qui ver­raient tant d’un bon oeil les Mac Do pouss­er sur la rente pétrolière d’Erbil.

Et là, for­cé­ment, le lib­er­taire écol­o­giste et social que je suis se reb­iffe, même s’il n’a envie de se fâch­er avec per­son­ne … Parce qu’il ne voudrait pas enten­dre dire de la part des pris­on­nierEs poli­tiques aujour­d’hui en Turquie, où des com­bat­tants inter­na­tionaux au Roja­va : “tant de sac­ri­fices pour un cheese burg­er ?

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…