Cette chronique présente un volet de l’émis­sion “Car­nets de voy­age” ani­mée par Edouard Fouré Caul-Futy sur France Musique en 2014–2015. Sur le plateau de radio France, chaque semaine, un eth­no­mu­si­co­logue invité présen­tait des matéri­aux musi­caux enreg­istrés lors de ses voy­ages de terrain.

En décem­bre 2014, c’é­tait mon tour. Dans ce “car­net de voy­age” j’ai pro­posé un par­cours musi­cal à tra­vers le Cau­case et l’Ana­tolie : chants liturgiques molokanes, lamen­ta­tions des femmes mol­lah d’Azer­baïd­jan, chants d’ex­il des femmes kur­des réfugiées dans les bidonvilles d’Is­tan­bul et de Diyarbakir, musiques des Yézidis d’Ar­ménie. Et c’est avec un morceau de duduk qu’on a ouvert l’émission…


ECOUTER  L’ÉMISSION 

disponible jusqu’au 16/09/2017

Ci-dessous, quelques repères et com­men­taires sur les gens et les réper­toires évo­qués dans cette émis­sion. Bonne lec­ture et bonne écoute !

Les Molokanes d’Azerbaïdjan

Les Molokanes (ou Molo­ques) con­stituent une minorité religieuse rus­so­phone dis­séminée dans le Cau­case. Né au 18ème siè­cle, ce mou­ve­ment religieux rejette la tra­di­tion ortho­doxe (la hiérar­chie ecclési­as­tique, le carême, les icônes, la croix…), et prône un retour à l’idéal des pre­miers chré­tiens. Orig­i­naires des plaines de Russie cen­trale, les Molokanes ont été exilés au 18ème siè­cle vers les ter­res nou­velle­ment con­quis­es par les Tsars, en rai­son de leurs croy­ances hétéro­dox­es. Encore aujourd’hui, ils for­ment des com­mu­nautés bien dis­tinctes, pra­ti­quant un chris­tian­isme à part. Tous les dimanch­es, hommes et femmes se retrou­vent dans la « mai­son des prières » (à ne pas con­fon­dre avec une église !) pour lire et chanter la Bible.

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Molokanes à Kirov­ka (Sep­tem­bre 2001)
© Estelle Amy de la Bretèque

Les femmes-mollahs d’Azerbaïdjan

Chez des Azéris chi­ites de Bak­ou, on peut ren­con­tr­er des femmes-mol­lahs. Le fait même que des femmes puis­sent avoir ce rôle dans l’Islam pour­ra sur­pren­dre… Pour résumer, ce sont des femmes qui ont un savoir religieux et guident cer­taines céré­monies, du côté des femmes, en par­ti­c­uli­er les enter­re­ments et les autres céré­monies liées au deuil.

ajerbaijan estelle ami de la breteque

Tèziyè (céré­monie de deuil), vil­lage de Gov­san (pénin­sule d’Apchéron). La mol­lah (qua­trième à droite) tient son cahi­er de mer­siyè (lamen­ta­tions). À sa droite, la fille de la défunte (Sep­tem­bre 2001)
© Estelle Amy de la Bretèque

Les femmes kurdes d’Istanbul et de Diyarbakır

Les femmes met­tent en mots et sou­vent en « chants » la souf­france liée à l’exil. Ces énon­cés oscil­lent entre les lamen­ta­tions, les chants épiques et ‑plus sur­prenant peut-être- les berceuses.

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Réfugiées kur­des à Diyarbakır (Mars 2005)
© Estelle Amy de la Bretèque

Felek­naz est une Deng­bêj ‑lit­térale­ment « celui/celle qui dit la voix », ce qu’on traduit sou­vent par « barde »- qui chante des réc­its épiques sans accom­pa­g­ne­ment instru­men­tal. Elle est orig­i­naire d’un vil­lage de la région de Muş (Ana­tolie ori­en­tale). Dans les années 1990, son vil­lage a été déclaré zone inter­dite par l’armée turque et Felek­naz a trou­vé refuge dans la ville de Diyarbakır (en kurde: Amed), au sud est de la Turquie. Cette ville est aujour­d’hui con­sid­érée par les Kur­des comme la cap­i­tale du Kur­dis­tan turc. Avant le géno­cide arménien de 1915, Diyarbakır était une ville cos­mopo­lite qui comp­tait égale­ment une forte pop­u­la­tion d’Ar­méniens et d’Assyro-chaldéens.

J’é­tais tombée amoureuse de la voix de Felek­naz lors de notre ren­con­tre en 2003 à Diyarbakir. En 2005, j’ai réus­si à la faire venir en France pour un con­cert com­mun avec Gazin (une deng­bêj aujour­d’hui assez célèbre orig­i­naire de Van). C’é­tait à la Cité de la musique (Paris) dans le cadre d’un cycle de con­certs inti­t­ulé « Des­tins kurdes ».

Felek­naz Esmer & Gazin à la Cité de la Musique, févri­er 2005

Les Yézidis d’Arménie

Le Yézidisme est une reli­gion que l’on retrou­ve aujour­d’hui prin­ci­pale­ment en Irak (notam­ment dans les régions de Cheikhan et de Sin­jar) et dans le Cau­case (Arménie et Géorgie). Une impor­tante dias­po­ra s’est égale­ment con­sti­tuée en Europe de l’Ouest et en Russie. Elle accueille des Yézidis de Turquie (dans les années 1980), du Cau­case (depuis les années 1990) et du Moyen-Ori­ent (notam­ment depuis la prise de Sin­jar par les forces de Daech en août 2014). Une des spé­ci­ficités du Yézidisme est l’ab­sence d’un livre saint (l’écriture même des textes religieux y est pro­scrite) et l’im­pos­si­bil­ité de se con­ver­tir: on est Yézidis de nais­sance. La com­mu­nauté Yézi­die est ain­si divisée en 3 groupes endogames et hérédi­taires, qui s’apparentent à des castes : deux groupes de « religieux » (les cheikh et les pir) et un groupe de « dis­ci­ples » (les mirid). Les Yézidis croient en un Dieu unique sec­ondé par 7 anges. L’accusation d’être des « ado­ra­teurs du dia­ble » leur a valu des per­sé­cu­tions, dont celles récentes en Irak, par­ti­c­ulière­ment vio­lentes, ne sont mal­heureuse­ment que les dernières en date.

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Paroles mélodis­ées lors de la fête des tombeaux, cimetière yézi­di de Fireq, Arménie, 2007
© Estelle Amy de la Bretèque


Image à la Une : Funérailles de Yurîk : Devant le cer­cueil, les femmes écoutent les oraisons de la lamen­ta­trice … (Sep­tem­bre 2007- Arevîk) © Estelle Amy de la Bretèque

Rédaction : Estelle Amy de la Bretèque. | Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Estelle Amy de la Bretèque
Auteure
Anthro­po­logue, eth­no­mu­si­co­logue, musicienne 
Elle a tra­vail­lé dans le Cau­case et en Ana­tolie depuis le début des années 2000. Site per­son­nel www.ebreteque.net