Alors qu’elle participait à un échange Erasmus en Turquie, l’étudiante lyonnaise Sevil Sevimli avait été arrêtée le 10 mai 2012,
pour des liens supposés avec le Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP‑C), une organisation d’extrême gauche considérée illégale en Turquie et proche de la cause kurde.
Elle est accusée de participation à une cérémonie commémorative sur la sépulture d’Ali Yıldız (militant alévi), diffusion de la revue de gauche Yürüyüs, vente de billets pour le concert du groupe Yorum, réputé pour son engagement à gauche, qui a pourtant réuni 350 000 spectateurs pour ce concert autorisé, rencontre avec des dirigeants du syndicat Egitim-Sen pour la projection d’un documentaire, apposition d’affiches revendiquant la gratuité de l’enseignement et apposition d’une affiche appelant au rassemblement du 1er mai, dans l’enceinte du restaurant universitaire d’Eskisehir et de participation à la marche, tout à fait légale, du 1er mai à Istanbul. Bref, l’accusation porte sur ses “activités militantes” comme démocrate et humaniste de gauche.
Sevil a toujours clamé son innocence et nié toute implication avec le DHKP‑C, assurant qu’elle s’était rendue en Turquie, dans le cadre d’un échange universitaire Erasmus, et uniquement pour découvrir davantage la culture de ses parents kurdes, installés en France depuis 30 ans. Ayant la bi-nationalité, elle est considérée comme Turque par la justice et encoure 32 ans de prison.
Après 3 mois d’incarcération, Sevil avait été libérée le 6 août, mais avec interdiction de quitter le territoire turc et placement sous contrôle judiciaire. Après une bataille médiatique portée par une solide vague de soutien dont une pétition qui a recueilli plus de 126 mille signatures, le 20 février 2013, Sevil était rentrée chez elle, à Belleville-sur-Saône.
A son retour ses soutiens et sa famille avaient crié de joie mais ils se doutaient que la justice turque n’allait pas en rester là. Sevil pensait qu’elle avait été autorisée à quitter le territoire turc, car son cas, médiatisé, faisait trop de bruit pour que puisse continuer l’acharnement judiciaire. Mais le “calme” revenu, celui-ci est relancé.
Ses doutes étaient fondés.
Nous apprenons aujourd’hui que la Cour de Cassation a refusé la demande d’acquittement de Sevil, pour les 5 ans 2 mois et 15 jours de peines de prison, dont elle avait écopé pour “avoir fait la propagande du DHKP‑C et pour avoir commis des délits en leur nom”. La Cour a accepté la demande du procureur en charge du dossier qui jugeait cette peine “insuffisante”. Elle va donc être jugée de nouveau, sur la demande de la Cour de Cassation pour “appartenance directe au DHKP‑C”. La première audience est prévue pour le 22 avril prochain à Bursa.
A suivre…
Un autre exemple d’acharnement judiciaire est celui de Pınar Selek, sociologue, écrivaine, féministe et antimilitariste. Suite à un attentat à la bombe dans le bazar égyptien (Mısır Çarşısı) à Istanbul en 1998, Pınar Selek avait été incarcérée pendant deux ans et demi, avant d’être acquittée trois fois pour manque de preuves. Malgré les expertises conduites par le tribunal et l’attribution de l’explosion à une fuite de gaz, le procureur avait obtenu qu’elle soit rejugée en 2013, soit quinze ans après les faits. Pınar a été de nouveau acquittée une quatrième fois le 19 décembre 2014…
Dans ces dernières années, le système judiciaire sous pression, a été remanié pour remplir ses rangs de partisans d’Erdogan, afin d’être plus « efficace » au service du pouvoir AKP.
Sevil n’est pas la seule étudiante qui a vécu ce genre d’expériences, et pendant tout son parcours judiciaire, elle n’a jamais cessé de le souligner. De nombreux étudiants, mais aussi des journalistes, caricaturistes, mais aussi des militants, des maires… ou encore des gens tout à fait ordinaires, criant juste un peu fort leur mécontentement, sont régulièrement inquiétés, s’ils ne sont pas déjà derrière les barreaux.
Nous avons vu aussi récemment avec Jan Böhmermann, que là où la justice turc aux ordres d’Erdogan ne peut pas décider, Erdogan fait jouer son bras, et que par exemple Merkel cède et donne “son autorisation” pour que le parquet engage une procédure contre un satiriste pour “insulte à un représentant d’un Etat étranger” selon l’article 103 du code pénal.
Dans le même temps, sur un plan plus “parlementaire”, la procédure de levée d’immunité des élus du HDP est engagée, et pourrait conduire à arrêter et accuser de “complicité avec la terreur”, une partie entière du Parlement turc. Faute d’avoir une majorité constitutionnelle pour interdire un parti, on en emprisonne les élus, locaux ou nationaux, et ses militants responsables…
Dans le cas précis de Sevil Sevimli, on ne peut que prendre les devants sur une éventuelle attitude du gouvernement français.
Dans sa fureur à traquer le “terroriste” partout, et sa constance à condamner le PKK par exemple, ou réprimer les manifestations de soutien aux Kurdes, comme à Paris, Nantes, il montre son attachement à soutenir l’accord UE/Turquie. Les allers retours du ministre de l’Intérieur, et les négociations bi latérales sur la coopération policière, pourraient déboucher sur des “gages” à donner au régime AKP, en dehors de ceux déjà apportés avec le quasi arrêt dans le soutien logistique aux combattants kurdes syriens contre Daech, quels que soient les dires d’un premier ministre.
Vigilance accrue donc pour Sevil Sevimli, et opposition totale à toute possible relation policière et judiciaire franco turque à son encontre !
Avec solidarité !
* Vous pouvez aussi lire l’article :
“A propos de l’affaire Sevil Sevimli et de la « liste noire » de l’Union européenne” d’Etienne Copeaux sur Susam-Sokak.