C’est devenu la routine…
Plusieurs communes sont encore sous couvre feu dans l’Est et le Sud-Est de la Turquie. Les affrontements et tirs de snipers alourdissent le bilan de plus en plus chaque jour. Plusieurs morts et blessés aussi bien chez les civils que parmi les forces de sécurité.
Six quartiers de Sur, commune de Diyarbakır depuis le 1er décembre… Les affrontements continuent depuis 8 jours et ils se sont intensifiés depuis la nuit de lundi. Il y a eu des affrontements également dans le centre de Diyarbakır.
Il n’y a pas que des pertes de vie et des blessés. A Sur, un incendie a détruit la Mosquée historique « Kurşunlu Camisi » de 499 ans, qui avait été déjà fortement endommagée lors du couvre feu précédent.
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Figen Yüksekdağ, co-présidente du HDP prenait la parole mardi dernier, lors de la réunion de groupe à l’Assemblée Nationale. Elle affirmait photos à l’appui, que la mosquée avait été bombardée par voie aérienne, et dénonçait les thèses qui accusent les jeunes habitants du Sur d’avoir provoqué le feu à l’édifice : “Ont-ils des avions et des hélicos peut être ?”. La prise de parole de Figen a été boycotté par la majorité des chaînes télé.
Nusaybin (Mardin) c’est la même guerre. Quatre quartiers avaient été mis sous couvre feu depuis dimanche 6 décembre au matin. Aujourd’hui le couvre feu a été levé. Hier, Hakan Doğan, 15 ans, a été tué devant sa maison par une balle, touché à la tête. Ce jeune garçon est le sixième civil tué lors du dernier couvre feu de trois jours à Nusaybin.
La famille de Hakan a pu transporter son corps, en portant des drapeaux blancs.
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Dans un interview Filiz Ölmez, avocate résidant à Cizre, ville qui a vécu un long couvre feu en septembre, parlait de la vie quotidien des habitants à Burcu Cansu, journaliste de Birgün. Nous reprenons un extrait de ses paroles, car le ressenti est parfaitement applicable aux autres localités qui se trouvent dans la même situation.
Il n’y a aucune sécurité de vie. Tu peux perdre la vie à tout moment, par une balle dont on ne sait d’où elle vient. Tu peux être tué au milieu du marché, ou comme Nihat Kazanhan, en jouant.
Nihat, 12 ans, avait été tué en janvier par un policier qui avait mitraillé les enfants qui jouaient en les menaçant : « je vais vous crever vous aussi comme ça ».
Dans la plupart des rues des tranchées sont creusées. Les armes lourdes utilisées et les mesures sécuritaires, montrent qu’ici l’Etat a décidé de s’occuper de ses concitoyens en leur envoyant l’armée et la police. Par conséquent, même les habitants les plus modérés se sont radicalisés. La population de Cizre est habituée à se battre et à résister, mais le comportement de l’Etat donne l’impression que la population est prise en otage contre l’organisation [PKK]. Le pouvoir est considéré [par les habitants] comme responsable du chaos et des villes dévastées. Car nous sommes face à un Etat qui est laxiste sur la sécurisation des droits fondamentaux. L’utilisation des armements lourds est un signe de cela. Au lieu de créer une possibilité de négociation, la guerre est continuée avec entêtement.
Filiz expliquait que Cizre étant relativement petit, elle connaissait tout le monde.
Ici, les gens se préparent psychologiquement à la mort. Parce que si on n’est pas préparé, cela peut être très destructeur. Imaginez, quelle douleur cela peut être de voir que les gens se préparent à la mort de leur compagne/compagnon, leurs amis ou à leur propre mort.
Je n’arrive pas à me concentrer sur mon travail.
Mes collègues disaient il y a quelques jours qu’ils ne pouvaient plus lire de livres.
Parfois nous ne pouvons pas suivre les procès à cause des affrontements.
Nous ne sortons que si c’est nécessaire mais nous ne sommes pas en sécurité dans nos maisons non plus. A chaque bruit de tir, tu t’éloignes de la fenêtre. Il arrive que nous ne puissions même pas subvenir à nos besoins alimentaires quotidiens. A Cizre, ni l’enseignant, ni la police, ni le militaire, ni personne n’a la sécurité de vie.
Tu sais que l’adversaire se rapproche de toi avec le sentiment de vengeance, puisque l’ambiance politique d’ici est bien évidente. Les gens sont vus et considérés comme « terroristes » donc sont tous des cibles, et peuvent être tués. Et puisqu’il y a une évidente impunité, ta vie ou ta mort n’est qu’à l’initiative de l’adversaire.
A Silopi, commune de Şırnak, Ferhat Kartal, un jeune handicapé mental de 15 ans, a été tué par les tirs provenant d’un blindé de la police. Il a reçu 12 balles. Silopi n’était pourtant pas sous couvre feu…
Il y a aussi des couvre feu flash de temps en temps. Par exemple pour la commune de Hakkari, Yüksekova, le couvre feu a été mis en place pour 6 heures et demie, la nuit de 7 à 8 décembre… sans manquer de faire un mort civil, tombé sous les balles des policiers qui mitraillaient le quartier au hasard, et 2 policiers blessés lors d’une explosion.
La routine continue et continuera comme les “autorités” annoncent “jusqu’à ce que ces endroits soit totalement assainis des terroristes”. Les mêmes “autorités” déclarent que “plusieurs terroristes sont neutralisés”. Impossible d’avoir des informations vérifiables et claires sur ce point. Pendant ce temps là, civil ou en uniforme les morts sont à terre…
Il s’agit bien d’une guerre qui continue au Kurdistan turc, contre les combattants du PKK et contre les civils, indistinctement. Une guerre analogue à celle des décennies précédentes, mais cette fois ci menée avec la “bénédiction” ouverte des gouvernements européens. On connaît le rôle qu’avaient joué les Etats Unis dans l’armement des forces de répressions turques dans les années passées, via l’Otan, comme une sorte de continuité idéologique de “guerre froide”. S’y ajoutent aujourd’hui les soutiens financiers et diplomatiques européens.
Et dans les “discours” officiels, on parle des “Kurdes, combattants essentiels au premier rang contre Daech”.… Cherchez l’erreur