Le 28 novembre un nouveau décret a été publié avec la signature de Poutine, très parlant sur les tensions en cours :
Interdiction ou limitation des importations des produits alimentaires turcs. Interdiction ou limitation des activités et services des organismes ou entreprises de la République Turque, sur le territoire russe. Interdiction d’embauche de ressortissants turcs.
Arrêt de la promotion et des ventes de voyages à destination de la Turquie, chez les opérateurs russes. Interdiction des vols de charters entre la Russie et la Turquie. Contrôle des compagnies aériennes pour des motifs sécuritaires. Durcissement des contrôles portuaires. Etablissement de listes de tous les organismes et employeurs et demandeurs de services, et des contrats signés avec la la Turquie.
60 hommes d’affaires turcs arrivés pour un salon professionnel à Krasnodar en Russie, ont été mis en garde à vue et emmenés devant le tribunal le matin du 26 novembre. Suite à la décision d’un Juge, ils ont été envoyés dans un camp de rétention et seront expulsés dans dix jours. Les hommes d’affaires, lors de leur attente dans les couloirs du tribunal, signalaient que malgré leurs efforts, ils n’arrivaient pas joindre l’Ambassade de Turquie. (Bianet)
Les visas professionnels ont été récemment supprimés bilatéralement entre la Russie et la Turquie. Un des hommes d’affaires, Cenk Baykara expliquait au CNN Türk, lors d’un interview, que depuis la suppression, ils pouvaient continuer à participer aux salons et foires en prenant un visa touristique mais que c’était la première fois qu’ils se trouvaient traités de cette façon. Ils sont pris en otage, sans savoir ce qui va se passer.
Dans les jours qui ont précédé cet événement, une quarantaine de ressortissants turcs voyageant en avion vers la Russie, se sont déjà fait refouler pour divers motifs.
L’arrêt du tourisme russe représente un manque important pour la Turquie, qui reçoit environ 4 millions de touristes russes par an, et cela représente un budget économique estimé à 5 milliards de dollars (Sözcü). Ce n’est pas un cas isolé. A Vorojnev également, une cinquantaine d’étudiants turcs ont déclaré que la direction de leur école leur avait présenté un document à signer qui stipulait que le signataire déclarait quitter la russie entre le 2 et le 7 décembre et qu’il ne déposerait pas de plaintes. Les étudiants affirment : « Certains d’entre nous ont signé, d’autres non. On nous a dit que la crise diplomatique durait, que tout est flou, et qu’il est possible qu’on soit exclus de l’école et expulsés. » (NTV)
Radikal relaie le 28 novembre, que cette fois, c’est le tour des étudiants turcs. La police russe a fait une descente dans une cité universitaire a Saratov, où sont logés une centaine d’étudiants.
Le Ministère d’intérieur turc annonce de son coté : « Si ce n’est pas urgent, n’allez pas en Russie. »
Ca ne se termine pas là…
Le Ministre des sports russe a déclaré hier que tout transfert de footballeur turc est désormais interdit !
Suite à l’embargo russe, une campagne pour la promotion des produits turcs, est lancée par le monde arabe sur les réseaux sociaux. L’appel est soutenu par des journalistes, écrivains, et divers personnalités. La campagne a été partagée avec des hashtags comme « Je suis arabe et je soutiens la Turquie », «soutien aux produits turcs ». (AA)
Le problème est que ces mesures vont encore tomber sur la tête du pauvre et des travailleurs. Rien que les halles d’Antalya où des ventes en gros de fruits et légumes se réalisent et que des dizaines de camions en partent tous les jours est un exemple. La Russie est un des plus importants acheteurs de produits frais en provenance de Turquie. Actuellement des centaines de camions chargé de produits frais, tels que des tomates, courgettes, concombres, figues, raisins et agrumes, attendent à la frontière. Les affaires étant arrivées sur le point d’être totalement arrêtées, les exportateurs ont fini par baisser les rideaux. La perte journalière atteint des millions de livres turques. Par exemple Necati Zengin, résponsable de Groupe Kalyoncu, une des plus importantes entreprises exportant des produits frais vers la Russie déclare avoir « tout suspendu et renvoyé 5 milles travailleurs chez eux »
En 2013, 57% des importations de gaz provenaient de Moscou… Et même si la Turquie prépare ses arrières en projetant avec l’Azerbaïdjan la construction d’un pipeline trans-anatolien pour 10 milliards de dollars, celui-ci n’existe pas.
Les factures de gaz, que la plus grande partie de la population trouve déjà beaucoup trop élevées, et pour lesquelles elle a des difficultés de paiement, risquent bien d’augmenter.
Quant au gouvernement turc, il essaye de recoller les morceaux. Ibrahim Kalın, porte parole de la Présidence de République déclare dans un long article paru le 28 novembre dans Daily Sabah, que l’incident de l’avion russe…. qui selon lui violait l’espace aérien turc a en effet provoqué une crise éphémère, mais ne sortira pas de ses rails les relations internationales. « Les relations entre la Turquie et la Russie sont d’une grande profondeur et leur importance politique fera traverser cela ». Kalın explique que ce genre de violations d’espace aérien sont déjà survenues et que la Russie était prévenue. Il précise que cela n’a rien d’une démarche d’ennemi et souligne que la Turquie en tant que membre de l’OTAN, a le droit de défendre ses terres et son espace aérien des violations « L’espace aérien turc est également l’espace aérien de l’OTAN »
Le porte parole déclare également : Les rumeurs sur le fait que la Turquie soutiendrait Daech et leur achèterait du pétrole, sont infondées et font partie d’une campagne de dénigrement de la Turquie. Il invite la Russie à cesser les accusations réciproques et à poursuivre un combat efficace contre Daech, en pointant le fait que le plan Russie-Iran pour sauver Bachar ne sert qu’à renforcer Daech. « Comme Barack Obama et François Hollande ont également souligné pendant la réunion à la Maison Blanche, dans l’avenir de la Syrie, il n’y a pas d’avenir pour Assad ».
Ibrahim Kalın termine son article sans oublier de préciser qu’il y a des points d’interrogations sur les opérations dans la région montagneuse turkmène. Dans ces régions où les turkmènes vivent, il y a des groupes de Daech. Les avions russes bombardent les groupes modérés afin d’aider les unités contrôlées par le régime Assad, pour qu’elles puissent avancer ver Idleb et Jisr al-Choghour. C’est une très mauvaise stratégie qui ne combat pas Daech. Ce que protège Moscou est clairement visible ». (AA)
Là, on voit clairement que la stratégie d’apaisement consiste davantage à verser de l’huile sur le feu, fort du soutien renouvelé de l’Otan, à la demande express de la Turquie.
Lorsqu’on entend un ministre français des affaires étrangères déclarer, pour d’abord plaisir à Poutine, qu’il y avait bien du pétrole en provenance des zones de Daech qui se dirigeait vers la Turquie, et dans le même élan dire qu’une partie allait au régime de Bachar, on mesure “l’intensité des relations diplomatiques”.
Tout comme les opérations militaires de l’Otan, de la France et de la Russie qui se font sur le dos de toutes les populations locales, freinant à peine les opérations de Daech, puisqu’elles lui laissent les mains libres sur ses sources de financement, les “crises diplomatiques” entre Turquie et Russie vont se payer au prix cher pour les plus pauvres et les producteurs qui vivaient des relations à l’export et qui ne paieront plus leur main d’oeuvre.