Des voix encore bien faibles com­men­cent à s’élever ici à pro­pos de «l’E­tat de guerre» qui sévit en Turquie, à la fois dans les villes et régions à majorité kurde et dans des quartiers des métropoles.
Saviez vous que la devise du pays est «Yurt­ta sulh, cihan­da sulh», Paix dans le pays, paix dans le monde ?

Sans revenir pour autant sur des billets précédents…

Le cli­mat poli­tique en Turquie est volon­taire­ment ren­du inviv­able par le prési­dent Erdoğan qui tire toutes les ficelles de la divi­sion, prof­ite de toutes les petites lâchetés des uns et des ges­tic­u­la­tions et vocif­éra­tion des autres.
Il mène cam­pagne élec­torale, d’in­hu­ma­tion de sol­dats, en rassem­ble­ment géants, sans annon­cer la couleur, mais sur le thème de « l’u­nité du pays con­tre le terrorisme ».

"De millions de souffles, en voix unique contre la terreur" (Affiche du meeting du 20 septembre, appelée par le "Platforme de Volonté Nationale" groupant les organisations de société civile islamistes et nationalistes)

Des mil­lions de souf­fles, Voix unique con­tre la ter­reur” (Affiche du meet­ing du 20 sep­tem­bre, appelé par une plat­forme de “Volon­té Nationale con­tre le ter­ror­isme” groupant les organ­i­sa­tions de société civile islamistes et nationalistes)

Ain­si les ultra nation­al­istes, adver­saires d’hi­er, se retrou­vent à soutenir son offen­sive mil­i­taire con­tre le PKK (en réal­ité con­tre des pop­u­la­tions civiles entières) et ont prêté main forte con­tre le par­ti d’op­po­si­tion démoc­ra­tique HDP, en pil­lant et incen­di­ant ses per­ma­nences dans tous le pays il y a peu.

Curieuse cam­pagne élec­torale où le Prési­dent bat les estrades sans le dire pour son par­ti, où les ultra nation­al­istes se voient vol­er leur thème favori de l’u­nité nationale de la Turquie par des big­ots anti répub­li­cains, et où le par­ti tra­di­tion­nel d’op­po­si­tion laïque kémal­iste (hier allié des nation­al­istes) se con­tente de protes­ta­tions sans lende­main, sans s’en­gager réelle­ment dans la cam­pagne pour le rétab­lisse­ment de la paix civile pro­posée par le HDP, tou­jours qual­i­fié de « par­ti kurde ».

On voit mal com­ment dans ces con­di­tions les élec­tions de novem­bre pour­raient débouch­er sur une sor­tie poli­tique par le haut.
En effet, l’é­tat de guerre, même si pour l’in­stant la majorité de la société civile turque ne fait que s’en « inquiéter », va peser sur ce scrutin, comme c’é­tait d’ailleurs le but recherché.

Des bruits couraient hier de « listes » déjà établies de bureaux de vote qui seraient, ou sous sur­veil­lance mil­i­taire, ou resteraient fer­més, pour cause de « ter­ror­isme » en novembre.

On con­naît déjà les fraudes élec­torales qui chaque fois sont enreg­istrées dans tout le Pays. On peut sup­pos­er que sous la main poli­cière et mil­i­taire, les manip­u­la­tions d’urnes seront légions.

On peut égale­ment se ques­tion­ner sur le résul­tat qui s’en suiv­ra et le « gou­verne­ment  introu­vable » qui fera suite.

Les sondages têtus ne don­nent pas pour l’in­stant de recul pour le HDP, ni de majorité absolue pour le par­ti prési­den­tiel. Et comme aucune voix cohérente ne s’élève sur la suite côté par­ti kémaliste…

On con­naît le pro­jet Erdoğan de faire retourn­er la Turquie à une sorte de régime pré répub­li­cain, dou­blé d’un prési­den­tial­isme con­fi­nant qua­si au « cal­i­fat ». Si on écoute les dis­cours de big­ots qui accom­pa­g­nent les propo­si­tions AKP, l’avenir sera voilé.

Tout cela ressem­blerait à un con­flit de république bananière, cor­rup­tion à tous les étages à l’ap­pui, s’il ne s’agis­sait de la Turquie, pays de près de 77 mil­lions d’habi­tants, au PIB de plus de 800 mil­liards avec 600 mil­liards de dette dont des échéances impor­tantes envers les pays du golfe se rap­prochent. Un pays de sur­croît aux fron­tières du con­ti­nent européen et qui plonge des racines dans l’Asie et le Moyen Ori­ent. Bref, pas « exo­tique » du tout.

Tout cela ressem­blerait à des luttes pour le pou­voir dans une région où le gâteau est encore appétis­sant, si cela ne fai­sait écho à des reven­di­ca­tions his­toriques d’au­tonomie de peu­ples kur­des dans la région, dis­séminés sur plusieurs ter­ri­toires et « états ».

Si ces Peu­ples ont subi, vécu, des tra­jec­toires dif­férentes, en Iran, en Irak, en Syrie, en Turquie, depuis des décen­nies, si ces Peu­ples ont con­quis des pou­voirs poli­tiques ou ont subi le joug de pou­voir cen­traux qui ont nié leur spé­ci­ficité et cul­ture, voire leur exis­tence, il n’en demeure pas moins qu’ils con­stituent une entité de cul­ture, de modes de vie, quelle que soient les proces­sus d’« inté­gra­tions » au fil des migra­tions intérieures, aux métrop­o­les turques en particulier.

Les ultra nation­al­istes turcs peu­vent bien chevauch­er leur cheval mon­gol, ils n’en­lèveront pas à la Turquie sa mosaïque de pop­u­la­tions qui fait sa richesse et son énergie.

La donne « nationale » pour le Peu­ple kurde a changé depuis le fameux traité de Sèvres, qui se voulaient instituer dans les années 1920 un partage en règle des ter­ri­toires autre­fois Empire Ottoman, sur le mode une pop­u­la­tion, une nation, quitte à en regrouper pour en chas­s­er d’autres. Le géno­cide arménien venait à peine d’avoir lieu. Mustapha Kemal alors refusa ces zones d’in­flu­ences de nations européennes, mais ne don­na pas non plus suite aux promess­es faites aux Kur­des con­tre leur soutien.

Depuis, l’his­toire a porté les reven­di­ca­tions majori­taires du Peu­ple kurde vers l’au­tonomie démoc­ra­tique et non l’indépen­dance nationale pure et sim­ple. Les mou­ve­ments de pop­u­la­tions, iden­tiques à l’ex­ode rur­al d’Ana­tolie, ont changé aus­si la donne.

Les accords de paix qui étaient inter­venus entre le leader his­torique du PKK, Ocalan, tou­jours empris­on­né, au terme d’une guerre d’oc­cu­pa­tion de plusieurs décen­nies, avaient ouvert « l’e­spérance » d’une autonomie dans la république et la recon­nais­sance réciproque. C’est ce qu’a uni­latérale­ment rompu Erdoğan.

Le pro­jet de l’AKP, qui avait mis un temps entre par­en­thèse la ques­tion kurde, en s’accommodant du proces­sus de négo­ci­a­tions, tout en main­tenant la répres­sion mil­i­taire pour garder le rap­port de forces, était il y a plus d’une décen­nie sur une tra­jec­toire régionale dif­férente. Le départ des forces améri­caines de l’I­rak, lais­sant le chaos der­rière elles, le retour dans le jeu diplo­ma­tique de l’I­ran, et l’é­clate­ment de la Syrie, pour faire court, tout comme l’Eu­rope qui ter­gi­verse, ont bous­culé ces ambi­tions. On pou­vait donc s’at­ten­dre qu’à la pre­mière occa­sion, à la pre­mière con­tes­ta­tion con­séquente de son pro­jet et pou­voir (comme lors des dernières élec­tions), Erdoğan ré ouvre les hostilités.

La sit­u­a­tion géo stratégique a évolué très vite en quelques années, comme on pou­vait s’y atten­dre. Aux portes de la Turquie une men­ace s’est con­crétisée du fait de la guerre en Syrie, et de l’en­trée en lice d’un « parte­naire » encom­brant comme Daesh. La reprise de la guerre con­tre les civils à majorité kurde ne pou­vait donc se faire sans l’aval et le sou­tien des alliés européens et de l’Otan, aux­quels on peut ajouter des créanciers arabes.

La coali­tion con­tre Daesh a fourni le pré­texte « anti ter­ror­iste » pour lancer l’offensive.

Il y a donc certes une manip­u­la­tion des élec­tions autour de dif­fi­cultés poli­tiques, mais bien aus­si une volon­té de chercher une issue non con­sti­tu­tion­nelle si néces­saire, pour par­venir à faire avancer le pro­jet poli­tique de fond, pour des change­ments intérieurs conséquents.

Des questionnements utiles

Mais qu’ad­vien­dra-t-il du résul­tat élec­toral, qui même en cas de nou­velle vic­toire de l’AKP, ne per­me­t­tra pas d’a­vancer pour Erdoğan ?

Allons nous dans tous les cas de fig­ure vers une pour­suite de la guerre, qui a de fait déjà recom­mencé sur des ter­ri­toires impor­tants, et un pas­sage en force au final au sein des insti­tu­tions pré­tex­tant l’é­tat d’ur­gence nationale ?

Même si les élec­tions ne sont pas à notre avis les voies les plus directes pour chang­er les rap­ports de dom­i­na­tion, il n’empêche que dans des sit­u­a­tions ou une bas­cule de pou­voir est en jeu, elles peu­vent être con­séquentes pour la suite des proces­sus. Qu’en est-il en Turquie ?

Le HDP, prin­ci­pal regroupe­ment d’op­po­si­tions démoc­ra­tiques, a enfon­cé un clou dans le talon de l’AKP. A ce jour, la con­fi­ance sem­ble lui être main­tenue, mais l’équili­bre est fragile.

Un résul­tat élec­toral issu d’une sit­u­a­tion d’ex­trême oppo­si­tion, à l’is­sue d’une cam­pagne (si tant est qu’elle se déroule) essen­tielle­ment sur la ques­tion kurde, pour le HDP, le couperait irrémé­di­a­ble­ment des mou­ve­ments de société civile turcs, des minorités bafouées par le régime Erdoğan, comme des sim­ples petites gens qui ne veu­lent que la paix civile et l’ar­rêt des morts qui s’ac­cu­mu­lent. C’est pourquoi il la mène sur la paix civile et l’u­nité néces­saire con­tre les fau­teurs de guerre.

Rap­pelons une fois de plus que l’ar­mée turque est une armée de con­scrip­tion, où les jeunes ne sont pas oblig­a­toire­ment big­ots ou ultra nation­al­istes, qu’ils soient turcs, kur­des ou issus de minorités.

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Don­nez les 400 députés, pour que cette affaire se termine !”

Les dernières élec­tions ont fait se cristallis­er des oppo­si­tions démoc­ra­tiques très divers­es et mul­ti­ples, issues de vagues de fond anti Erdoğan, dans le vote HDP des métrop­o­les et d’ailleurs.

Ces mêmes vagues qui con­tin­u­ent à accuser Erdoğan « d’as­sas­sin des enfants du peu­ple », ne doivent pas se heurter en sens inverse à une mil­i­tari­sa­tion de la poli­tique par le PKK, provo­quée par les états de siège, et les vio­lences en tous genres.

Que le HDP se retrou­ve entre tous les feux est le but d’Erdoğan.
Ce n’est pas par hasard qu’il choisit de dis­courir sans cesse sur « l’u­nité du pays, la paix con­tre les ter­ror­istes », se faisant le rem­part et le futur sauveur du Pays.

Cette ques­tion de la paix civile reste donc cen­trale, puisqu’elle est la préoc­cu­pa­tion majeure de l’im­mense majorité, divisée entre les par­tis, répar­tie entre class­es sociales certes, mais unie pour une part dans un sen­ti­ment fort anti AKP désigné « respon­s­able de la guerre ».

Et plus l’al­liance autour de la « paix civile » sera forte, plus les coups de force post élec­toraux éventuels trou­veront de résis­tances con­jointes dans les pop­u­la­tions turques et kurdes.

Nous ne pou­vons exclure que cette spi­rale échappe à la rai­son même de ceux qui l’ont sus­citée, et que la guerre civile s’am­pli­fie à l’Est, et la répres­sion dans les métropoles.

C’est pourquoi il ne viendrait à l’idée de per­son­ne d’en­tretenir des illu­sions « paci­fistes » en allant jusqu’à deman­der aux com­bat­tants kur­des de ten­dre l’autre joue et de désarmer uni­latérale­ment, dans la sit­u­a­tion où sont les populations.

Mais on peut légitime­ment, nous ici qui sommes engagés dans un sou­tien qui nous l’e­spérons peut s’am­pli­fi­er, con­sid­ér­er que l’au­to défense n’est pas la guerre ouverte, bombes à l’ap­pui, dans des attaques qui en amè­nent d’autres et leurs cortèges de repré­sailles con­tre les civils.

L’Est de la Turquie ne peut être com­paré au Roja­va et à la résis­tance à la fois con­tre Daesh et les incur­sions turques. Faire ce par­al­lèle con­duirait à nier tout le proces­sus ini­tié en son temps par Ocalan, et met­trait aus­si en dan­ger la dias­po­ra kurde des métrop­o­les. Cela, le HDP le développe à juste titre. Une stratégie pure­ment mil­i­taire pour­rait détru­ire les liens frag­iles qui se sont étab­lis en Turquie.

Il est donc temps qu’i­ci, en France et ailleurs, cette dis­cus­sion se déroule entre celles et ceux prêts à don­ner de leur énergie pour con­stru­ire un sou­tien, et les forces poli­tiques kur­des ou pro kur­des présentes. Sans cette fran­chise et ce débat ouvert, sur les enjeux uni­taires entre pop­u­la­tions, nous voyons mal se con­stru­ire des mobil­i­sa­tions de façon large, con­tre nos dirigeants poli­tiques qui sou­ti­en­nent Erdoğan.

A l’in­verse, vouloir ici ren­voy­er dos à dos au nom de la paix, de soit dis­ant « bel­ligérants » comme le font des forces poli­tiques, serait la pire des manières, puisqu’elle jus­ti­fierait la qual­i­fi­ca­tion de « ter­ror­iste » portée à l’en­con­tre des Kur­des. Une non con­damna­tion de l’en­trée en guerre d’Er­doğan ne per­me­t­trait à per­son­ne de soutenir le Peu­ple kurde et ne serait que phras­es creuses pour la paix à tous prix. Soutenir la lutte du Roja­va du coup paraî­trait dif­fi­cile et incongru.

C’est donc bien la recherche d’une unité large pour la paix civile, dirigée comme arme poli­tique con­tre le régime diviseur AKP qui peut en Turquie comme ici éclair­er les con­sciences et bris­er le mur du silence.

Et pour celles et ceux qui auraient encore besoin d’un dessin, comme hier d’une pho­togra­phie, l’en­jeu d’une guerre civile ouverte sup­plé­men­taire dans la région, alors que l’ex­ode des réfugiés syriens ne cesse de divis­er les gou­verne­ments, devrait con­stituer un déclic.

Après la Syrie.… la Turquie ?

Jusqu’où iront les dirigeants poli­tiques inter­na­tionaux dans la veu­lerie et le déni de réal­ité, devant les dan­gers qui guet­tent, pour de som­bres intérêts géos­tratégiques, économiques et financiers. L’his­toire bégaie.

Et quid des Peu­ples qui en subis­sent déjà toutes les conséquences ?

*Les liens con­tenus dans ce bil­let ne m’en­ga­gent pas sur les con­tenus et le sont à titre d’in­for­ma­tions complémentaires
Voir égale­ment sur le même sujet les arti­cles de Car­ol Mann

Daniel Fleury 
Anjou rouge et coquelicots


 

Et pour une pre­mière riposte ici, aller dire deux mots à Stras­bourg ne serait pas de trop, même si les armes ne sont que des oeufs pourris…

Contre la terreur : L'Unité Nationale, Erdogan à Strasbourg

Con­tre la ter­reur : L’U­nité Nationale
Erdo­gan à Strasbourg

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…