On n’est pas dans Jimmy’s Hall, le film de Ken Loach mais en Turquie. Il y a du whisky et de la lutte des classes… et si le jazz manque au paysage, la dérision est là pour régler des comptes.
S’il est vrai qu’une frange éclairée des milieux d’affaires a largement déchanté de l’AKP qui a fini par mettre en péril une certaine “façon de vivre” et se retrouve en décalage culturel avec les parvenus enrichis et bigots, il n’en reste pas moins que cette frange sociale, ou une partie de sa jeunesse, révoltée par l’obscurantisme, a encore majoritairement voté pour le parti dit démocrate laïc CHP pro européen (et kémaliste) et ainsi maintenu ses scores, même si le “pari” de la nouveauté (HDP) faisant tomber le gouvernement a pu être tenté par quelques un(e)s.…
D’où la “fumée” du feu qui s’est allumé, comme une “part des anges”…
Au premier abord cette histoire a l’air d’un ragot de comptoir, d’un crépage de chignon à la turque, d’un incendie dans un verre de whisky. En vérité elle donne un aperçu de la bassesse politique, du langage grossier, méprisant et populiste de certains politiques en Turquie.
On va donc faire un tour, tout en trinquant quelque soit la breuvage qui remplit nos verres, whisky, rakı, bière ou un excellent rouge…
Précisons d’abord que “Şerefsiz”, traduit en français mot à mot, “sans honneur”, est une injure importante en turc. Bien que les dictionnaires traduisent ce mot par “malhonnête”, il n’y a pas d’équivalent précis en français. Sachez qu’il est au même niveau que les injures “salopard” ou “connard”, pour mieux comprendre le poids du terme utilisé.
L’histoire a démarré suite au discours de Devlet Bahçeli, le leader du MHP, parti ultra nationaliste, lors de la réunion consultative élargie de son parti, où on parlait votes, élections, coalition :
Les “sans honneur” qui sirotent leur whisky dans leur villa au bord du Bosphore, ceux qui mangent la crème de la Turquie, ceux qui sont avachis dans leur maison d’été à Izmir, à Marmaris qui ne voulaient pas de l’AKP mais qui n’ont pas donné leur vote à MHP, ces minables qui ont emmené le HDP à l’Assemblée Nationale… Allez, construisez donc la coalition avec le HDP maintenant !
Ces propos insultants et méprisants ont provoqué de nombreuses réactions dans les médias et sur les réseaux sociaux. Chroniqueurs, journalistes et citoyens lambda ont fait couler beaucoup d’encre et cela continue encore aujourd’hui.
Selahattin Demirtaş, le co-président du HDP répondait à Bahçeli :
Le HDP est le 3ème parti à Istanbul. Il a reçu plus de voix que le parti des nationalistes qui ne sont même pas capable de parler le turc correctement. Ces personnes qui sont incapables de construire une phrase sans insulte, sans injure, devraient savoir que le HDP a reçu les voix des quartiers les plus pauvres et c’est ainsi le HDP est devenu le 3ème parti d’Istanbul. Ne serait-ce qu’un seul de nos électeurs nous est cher. Nous sommes derrière chaque personne qui a voté pour nous.
Je retourne tout ce qu’il dit à celui qui insulte et injurie nos électeurs, et multiplié par mille. L’honneur appartient-il à ceux qui ont prétendu avant les élections qu’ils allaient demander des comptes au voleur, et qui vivent après les élections, le plaisir et la volupté d’aller se vautrer dans le palais du voleur ? Qu’ils n’essayent pas de nous donner des leçons d’honneur ni utiliser le mot « honneur ». Qu’ils se tiennent tranquilles.
Le lendemain, le conseiller de communication et des médias du MHP Metin Özkan prenait la défense de son leader :
Tant que le pauvre, le miséreux, l’orphelin, la veuve de ce pays ne trouve pas de pain pour apporter à la maison, ceux qui boivent du whisky au bord du Bosphore, et qui se nourrissent du terrorisme et des terroristes peuvent effectivement être décrits par ce mot.
De qui il s’agit ? J’ai la liste dans mon sac. Il y a 3.000 noms dessus. Je ne vais pas vous énumérer tous, il n’y aura pas assez de temps. Nous, en tant que MHP, nous ne fichons personne. Mais le MHP note toutes les erreurs. Nous tenons la liste.
Comme d’habitude, la colère devint une source d’inspiration et explosa sur les réseaux sociaux. L’humour et la dérision transformèrent tout en finesse, la lourdeur des propos initiaux en sourires, tout en décrédibilisant leur auteur.
Le mot “kurde” vient des bruits de glaçons qui fondent en faisant “krrt, kuuurtt” dans les verres de whisky en cristal des paysans de l’Est.
A mon avis, le soucis de Bahçeli vient du fait qu’il n’ait pas pu partir en vacances. C’est pour ça qu’il embête les vacanciers. S’il prenait 2 semaines de vacances à Bodrum (ville balnéaire du Sud-Est), à son retour, il pourrait même faire une coalition avec le HDP.
Ben voilà, c’est parce que ces gens ont grandi en regardant Dallas quand ils étaient enfants. JR, “le mal absolu” buvait lui aussi du whisky dans son ranch. Ici il n’y a pas de ranch, mais des “villas”.
Sebastien, servez moi un whisky, apportez également du caviar et du foie gras. Tout en caressant mon déshabillé en soie et en contemplant le Bosphore, je vais voter pour HDP
Base de données “quel boisson va avec quel parti”.
HDP — whisky
CHP ‑Rakı et leblebi (pois chiches grillés)
AKP — ayran (boisson à base de yaourt)
MHP — kımız (lait de cheval)
LDP(Parti libéral-démocrate) — absinthe.
Si on devient homme d’honneur en se nourrissant de la guerre et en applaudissant, il est devoir d’humanité de boire du whisky face au Bosphore, et d’être sans honneur.
Quand on dit, villa et whisky, moi je pense à Rıza Sarraf.
(Homme d’affaire azerbaïdjanais d’origine iranien, proche d’Erdogan)
Tu dis Whisky mais tu ne précises pas si c’est “single malt”, “bourbon” ou “malt”. Ces groupes ne se saluent même pas entre eux. Tu vois j’ai fait encore du séparatisme, bon dieu !
La partie verte de la carte, c’est l’endroit où il y a plus de villas dont les propriétaires sirotent du whisky face au Bosphore.
Pendant que les internautes indignés des propos de Bahçeli s’exprimaient sur les réseaux, les supporters du MHP ne chaumaient pas : ils déchiffraient des messages ultra secrets :