Les enseignants et les étu­di­ants ne sont pas contents…

Avant de revenir sur les faits il faut que je vous explique com­ment sont élus les Recteurs d’U­ni­ver­sités en Turquie.

Ces derniers sont élus par les votes des enseignants. Une fois le vote effec­tué, le Con­seil de l’Enseignement Supérieur (YÖK) a le choix de pro­pos­er la liste élue dans l’or­dre qui lui con­vient au Prési­dent de la République afin d’obtenir sa confirmation.

Selon l’article 131 de la Con­sti­tu­tion de 1982, le Con­seil de l’Enseignement Supérieur est chargé de plan­i­fi­er, ori­en­ter, diriger et inspecter l’Enseignement et la Recherche dans les étab­lisse­ments de supérieurs, et de gér­er les ressources. La loi 2547 sur l’Enseignement Supérieur de 1981 avait restruc­turé le sys­tème édu­catif supérieur en Turquie, en trans­for­mant les académies en uni­ver­sités, les insti­tuts d’éducation en fac­ultés et en rat­tachant les con­ser­va­toires et les écoles supérieures pro­fes­sion­nelles aux uni­ver­sités. C’est ain­si que le le Con­seil de l’Enseignement Supérieur, organ­isme pub­lic autonome, était devenu l’organisme unique respon­s­able de tous les étab­lisse­ments de l’enseignement supérieur.

Le Con­seil de l’Enseignement Supérieur est con­sti­tué d’une ving­taine de mem­bres (actuelle­ment 18) pro­fesseurs et académi­ciens, nom­més par le Prési­dent de la République, le Con­seil des Min­istres, ou par le Con­seil Inter-universitaire.

En inter­venant sur la liste des can­di­dats élus et pro­posés, le Con­seil de l’Enseignement Supérieur ne donne aucun motif ni expli­ca­tion de ses choix.

Nous voilà donc ren­dus ce jeu­di 2 avril ! Des élec­tions ont été réal­isées dans 6 uni­ver­sités. Le Con­seil de l’Enseignement Supérieur a envoyé sa liste au Prési­dent, en mod­i­fi­ant l’ordre de 3 noms des 6 élus.

A l’U­ni­ver­sité d’Is­tan­bul, le Prof. Dr. Raşit Tükel venait d’obtenir 1202 votes. Il était talon­né du Prof. Dr. Mak­mut Ak avec 908 bul­letins. Mal­gré les résul­tats Tayyip Erdo­gan a nom­mé comme recteur : Mah­mut Ak.

L’Université d’Istanbul est la plus anci­enne et l’une des plus impor­tantes uni­ver­sités du pays, fondée en 1453 par Mehmet II le Con­quérant, l’an­née même où celui-ci con­quit la Cité.

Il va sans dire que cette nom­i­na­tion illégitime a provo­qué de nom­breuses contestations.

Sachez que Mah­mut Ak était vice-prési­dent de l’université et qu’ il a  rem­placé le recteur à par­tir du mois de févri­er, après sa démis­sion afin de pos­er sa can­di­da­ture pour les prochaines élec­tions lég­isla­tives. Pen­dant cette péri­ode de rem­place­ment, l’Université d’Istanbul a été sec­ouée par plusieurs scandales.

Des groupes rad­i­caux islamistes et fas­cistes con­nus par leur prox­im­ité avec DAECH entrant sans aucune dif­fi­culté dans le cam­pus avaient attaqué les étu­di­ants pro­gres­sistes, révo­lu­tion­naires et anar­chistes à plusieurs repris­es sur une ving­taine de jours. La police avait égale­ment effec­tué plusieurs attaques con­tre les universitaires.

 

Pas plus loin que le 1er avril dernier — et ce n’est mal­heureuse­ment pas un pois­son — lors des protes­ta­tions des étu­di­ants, la police était encore une fois inter­v­enue vio­lem­ment, rap­pelant drôle­ment les arresta­tions agres­sives de l’époque du coup d’Etat mil­i­taire du 12 sep­tem­bre 1980. Les étu­di­ants ont été frap­pés, insultés, men­acés, et du atten­dre de con­naitre leur sort pen­dant des heures, menot­tés dans le dos, couchés par terre, et cer­tains avec des sacs sur la tête, comme de véri­ta­bles ter­ror­istes. Et 21 d’entre eux on été mis en garde à vue.

Aus­si le fait qu’aujourd’hui Erdo­gan nomme à la direc­tion de l’Université d’Is­tan­bul Mah­mut Ak, recteur rem­plaçant lors de ces évène­ments, en dit long à la fois sur les méth­odes stal­in­ni­ennes d’Er­do­gan pour plac­er ses pio­ns et garder le pou­voir, ain­si que sur sa volon­té de main mise sur les uni­ver­sités turques tra­di­tion­nelle­ment con­nues pour être des foy­ers de résis­tance laïque.

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Le 3 avril, le Prof. Dr. Raşit Tükel a par voie de presse apos­trophé en retour le Prési­dent, lui deman­dant : « Si vous n’alliez pas respecter le résul­tat qui sort de l’urne, pourquoi alors faire des élec­tions ? ». Il a souligné qu’une demande avait été adressée au Con­seil de l’Enseignement Supérieur pour le ques­tion­ner sur les motifs de ses mod­i­fi­ca­tions, mais qu’au­cune réponse n’avait encore été obtenue. Les académi­ciens et étu­di­ants con­sid­èrent Raşit Tükel comme « le recteur légitime » de l’Université et affir­ment que l’Université d’Istanbul n’est pas le seul cas de figure.

En effet, pen­dant que les con­tes­ta­tions con­tin­u­ent, l’Université Ulu­dağ est égale­ment vic­time de cette façon de faire anti­dé­moc­ra­tique. Sur les résul­tats des élec­tions, Kamil Direk qui vient en tête avec 576 votes devait être le recteur mais c’est Yusuf Ulcay, ayant reçu 265 votes, qui est assigné à sa place, encore une fois par Tayyip Erdogan.

Ces nom­i­na­tions ne sont pas anodines mais dans la con­ti­nu­ité du pro­gramme de théol­o­gi­sa­tion de l’enseignement de l’AKP. Kedis­tan a déjà pub­lié plusieurs arti­cles con­cer­nant les cours oblig­a­toires de reli­gion, la mise en place de cours de langue ottomane, l’ouverture des écoles aux asso­ci­a­tions et fon­da­tions civiles inté­gristes, voire dji­hadistes… Dans la même lignée, l’en­seigne­ment supérieur et les uni­ver­sités n’échap­pent pas au déman­tèle­ment du sys­tème édu­catif laïque instau­ré depuis les débuts de la République.

N’ou­blions pas que ce n’est pas la pre­mière fois que cela arrive. Depuis qu’Erdogan est Prési­dent (2014), des élec­tions de recteurs ont été faites dans 34 uni­ver­sités et Erdo­gan est inter­venu sur 13 noms et a nom­mé recteur 11 can­di­dats qui n’étaient pas en pre­mière place mais qui étaient « sug­gérés » par le Con­seil de l’Enseignement Supérieur.
En pas­sant, soulignons que les 34 recteurs sont tous des hommes.

Ce qui est ironique c’est que Tayyip Erdo­gan a coutûme de répon­dre à ses détracteurs : « c’est aux urnes que cela se réglera et qu’il respecte le vote démoc­ra­tique ».
No comment…

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Les étu­di­ants déclar­ent qu’ils sont décidés à défendre leur uni­ver­sité. Ils se sont réu­nis aujourd’hui lors d’un forum et ont organ­isé une impor­tante mobil­i­sa­tion pour dimanche 6 avril avec la par­tic­i­pa­tion d’ac­teurs civiles de l’opposition.
Affaire à suivre…

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