Je voudrais partager avec vous un bil­let d’humeur de Turquie qui a retourné le couteau dans mon ven­tre de femme.

Comme dans tous les pays, tous les ans les jour­naux turcs font un papi­er sur le pre­mier bébé de l’an­née. Nous apprenons donc, qu’en 2015 le pre­mier bébé turc est Meryem, une petite fille. Comme d’habi­tude son père Idris et sa maman Hamdiye ont été félic­ités. Les grands hommes se sont per­son­nelle­ment déplacés pour ser­rer la pince du père et surtout pour pass­er à la une des jour­naux leur image si “proche du petit peu­ple” et don­ner leur vision de “la maternité”.

Je vous épargne les adjec­tifs fémin­istes que je peux align­er sur cette vision. Je vous laisse trou­ver, les vôtres.

Nous avons aus­si le droit de nous pos­er des ques­tions. Ce bébé, est-il vrai­ment le tout pre­mier bébé de l’an 2015 ou un cas soigneuse­ment choisi dans plusieurs can­di­dats, pour plac­er une jolie petite cam­pagne de pro­pa­gande ? Je ne vais pas traduire l’en­cart des jour­naux écrit d’une plume neu­tre mais je vous apporte la déc­la­ra­tion du Min­istre de San­té, Mehmet Müezzinoğlu :

Tous les ans nous avons env­i­ron 1 mil­lion 150 milles bébés qui nais­sent. Nous souhaitons une vie en bonne san­té, pais­i­ble et prospère à nos généra­tions nées en 2014 et qui naitront en 2015. Nous souhaitons que ces enfants soient de bonnes per­son­nes d’abord pour eux mêmes, leur familles, puis notre pays et pour l’hu­man­ité. Le leader de notre civil­i­sa­tion a dit, les plus meilleurs d’en­tre vous sont ceux qui sont béné­fiques à l’humanité.”

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“Les mères ont une car­rière que per­son­ne d’autre au monde ne pour­ra avoir : la car­rière mater­nelle. Elles doivent se con­sacr­er unique­ment à cette car­rière. Elle doivent se con­cen­tr­er sur l’é­d­u­ca­tion de “bonnes” généra­tions. Le des­tin naturel de chaque mère est l’ac­couche­ment naturel*. Il faut donc met­tre l’ac­couche­ment naturel au cen­tre. La médecine est là, pour des cas excep­tion­nels. Nous voudri­ons que les médecins pren­nent les bonnes déci­sions qu’en cas de néces­sité. Il n’y a pas plus béné­fique que le lait mater­nel. Dans le lait mater­nel il y a aus­si bien l’al­i­ment que le médica­ment. Nous souhaitons que les mères allait­ent leur enfants au min­i­mum 6 mois, si pos­si­ble 1 an.”

Le min­istre a félic­ité le père en apprenant que Meryem est son 3ème enfant : “Donc tu es un de ceux qui écoutent la bonne parole.” a‑t-il dit en lui ser­rant la main.


Et voilà le bil­let d’humeur en par­o­die vit­ri­olée des paroles du père du bébé :

Hamdiye, l’ombre

Lève-toi Hamdiye, lève-toi ! Le Min­istre, le Préfet et d’autres hommes arrivent, lève-toi ! Même si tu viens d’ac­couch­er, lève-toi et habille-toi, tu ne peux pas rester comme ça. Cou­vre toi partout. Com­mence par cacher tes endroits insul­tants, et après cou­vre tes endroits qui appar­ti­en­nent à ton mari et qui sont inter­dits aux autres, ta peau… Et puis, cache tes cheveux qui ne sont que du péché. Qu’ils ne voient pas tout ça, Hamdiye. Tourne ton vis­age hon­teux de l’autre côté. Tu as mal ? Pos­si­ble, ce n’est pas grave. Reste dans ton coin, toute recro­quevil­lée, et attends. Donne ton bébé à son pro­prié­taire. Donne, pour que son père soit fier de sa vic­toire et qu’il reçoive les félicitations.
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Ils par­lent d’être mère, écoute bien Hamdiye. Regarde ton mari, il a bien écouté les ordres et il a fait trois enfants. Des grands hommes dis­ent bra­vo à ton mari, qui est un homme, même si c’est un petit homme. Ecoute, toi aus­si. Mais sans tourn­er ton vis­age de ce côté, tu sais bien c’est péché. Comme tu t’es bien con­cen­trée sur l’ac­couche­ment naturel, tu dois main­tenant te con­cen­tr­er sur ton devoir de mère, tu entends ? Regarde, comme c’est beau, tu as un utérus, tu peux enfan­ter. Tu as des seins, allaite main­tenant. Tu n’as même pas besoin de réfléchir com­bi­en de temps tu dois allaiter. Ils dis­ent que tu dois le faire pen­dant au moins un an. De toute façon tu n’as pas à réfléchir, tu n’es pas nour­rie pour réfléchir. Tu en as de la chance. Dans ta nature, il y a des choses comme l’utérus, comme les seins qui te ser­vent de car­rière. Et pour nous c’est pra­tique. Tu ne deviens pas un déchet, tu n’es pas gâchée. En échange de la cui­sine, le ménage, le sexe, tu ne con­sommes pas beau­coup, tu es rentable.

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Et toi Meryem… tu n’es pas un garçon mais tant pis. On ne te mets pas à la poubelle, tu vois ? Tu auras la car­rière de ta mère. Si tu étais un garçon, elle t’au­rait élevée pour que tu fass­es par­tie d’une bonne généra­tion, ça aurait pu être mieux, mais bon. Alors on va faire de toi une bonne mère. Ton plan de car­rière est tout prêt. Tu vas grandir, toi aus­si tu auras des seins et des ovules. Et Inchal­lah tu ne resteras pas sans pro­prié­taire, on t’en trou­vera un bon. Tu pro­duiras toi aus­si à ton tour, et tu don­neras des enfants à leur père et à l’E­tat. Pour l’in­stant ton vis­age est décou­vert, pour que tu puisse bien représen­ter la vic­toire. Mais dans l’avenir, tu appren­dras toi aus­si, à trans­former ton exis­tence en ombre.
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Une des marottes du gou­verne­ment est son com­bat con­tre la pra­tique de la césari­enne. Plutôt que de dénon­cer cette pra­tique qui par­fois dans cer­taines class­es aisées est de con­fort et d’un cer­tain rap­port financier pour les clin­iques, il s’ag­it d’une dénon­ci­a­tion religieuse comme “pra­tique con­tre l’é­tat de nature” avec tous les risques de non assis­tance que cela pour­rait entrainer.

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.