Au hasard des plus de mille personnes jugées pour injures, prenons l’actrice et chanteuse Zuhal Olcay qui vient d’être condamnée à dix mois de prison pour “insulte” au président Erdoğan.
Il s’agit d’une des multiples activités de l’injustice turque : juger les opposants qui ont encore le courage de résister, en catégorisant leurs propos ou attitudes comme “insultes au Président”. S’agissant de “personnalités” bien sûr, la sanction a valeur de mise en garde pour “les autres”, principe de la sanction collective déguisée qui conduit au silence.
Zuhal Olcay avait été inquiétée après un concert en août 2016. Durant ce concert, elle avait modifié les paroles d’une chanson, et visé de fait le président, doigt d’honneur à l’appui.
Mal lui en a pris, car la vidéo du spectacle avait été transmise au procureur qui avait établi immédiatement un dossier d’inculpation, demandant jusqu’à quatre années d’incarcération.
Pour celles et ceux qui connaissent, il s’agissait de la chanson “Boş Vermişim Dünyaya”, et la chanteuse y avait glissé un message d’espoir du genre “Recep Tayyip Erdoğan, tout un vide, un mensonge, cette vie se terminera un jour et vous direz, un jour, j’avais un rêve...”.
La version originale de “Boş Vermişim Dünyaya”, chantée par Ajda Pekkan (45 tours, pressage 1967)
Cela n’avait d’ailleurs pas été du goût de tous les spectateurs, et explique largement le doigt d’honneur qu’elle avait adressé aux mécontents qui s’exprimaient. Bref, le geste insultant a suffi à la faire condamner à dix mois de prison. Qu’aurait-ce été si elle avait parlé des massacres à l’Est, ou tiens, de la fermeture des journaux et de la condamnation des journalistes et écrivains à des peines de perpétuité ?
1080 personnes auraient été selon des chiffres ministériels, condamnés pour “insultes”, rien qu’en 2016, alors que le Président, de son côté, ne se privait pas d’injurier le monde entier dans ses discours fleuve.
Il est quai impossible aujourd’hui de documenter par le menu toutes les procédures, garde à vue, inculpations, enquêtes, condamnations, incarcérations… Fort heureusement quelques sites s’y sont spécialisés et tentent de suivre au jour le jour la majeure partie de cette répression quotidienne. Et cette partie n’est que la plus visible, car concernant des personnalités ou journalistes. L’homme ou la femme de la rue, qui tombe victime d’une dénonciation, échappent souvent à cette vigilance.
Voilà pourquoi des “noms” portent souvent tous les autres, et lorsqu’ils déclenchent un soutien et attirent l’attention, ils dénoncent l’ensemble.
Ce fut le cas d’Aslı Erdoğan, qui parle aujourd’hui abondamment, puisque libérée à la suite d’une campagne de soutien transnational, bien que toujours sous le coup d’une demande de perpétuité dans un procès non clos. C’est le cas pour Zehra Doğan, qui a fait l’objet cette quinzaine d’une mise en pleine lumière dans la presse internationale, suite à l’oeuvre bienvenue de l’artiste Bansky à New York, qui rend hommage à son courage, sa résistance, et demande sa libération.
Vous connaissez, lectrices et lecteurs, les liens qui unissent Zehra et Kedistan. Et nous vous donnons rendez-vous dans les expositions de ses oeuvres qui s’organisent ou se déroulent en ce moment.
Chaque soutien qui s’organise, qui unit ses forces pour la solidarité, qui fédère des associations, comme le PEN, Amnesty pour ne citer qu’elles, permet à minima de protéger chacunE des personnes incarcérées, et à travers elle des milliers d’autres. Et ce minima est si important pour elles. Et même si envisager, dans le climat ubuesque de la Turquie, qu’une libération puisse intervenir est aléatoire, il est indispensable de poursuivre cette solidarité.
Alors, ce n’est pas une insulte que de chanter l’espoir.