Bon ben, on y est ! Et voilà le résul­tat du référen­dum. 51% oui à 49% non, qua­si­ment. On doit en être mécon­tents ? En per­dre le moral ?

On a passé des semaines à faire cam­pagne. Enfin, dis­ons que les défenseurs du OUI ont mis le paquet. Facile pour eux, dotés d’une armée de médias achetés, affich­es géantes à je ne sais com­bi­en d’eu­ros le m2, meet­ings aux bud­gets de peplum. Nos yeux et oreilles ont été rem­plis d’ig­no­bles pro­pos, désig­nant toutTEs celles et ceux qui refusent le rêve d’Er­do­gan, la prési­den­tial­i­sa­tion, comme “ter­ror­istes” voire “traîtres à la Patrie”.

Pen­dant ce temps là, des hommes et des hommes dis­tribuant des tracts pour le NON ont con­nu gardes-à-vue ou au mieux coups de poings ou matraque. Les chan­sons de cam­pagne se sont faites inter­dire parce qu’en kurde. Des lanceurs d’alerte, auteurEs, jour­nal­istes, avo­catEs, mil­i­tantEs, uni­ver­si­taires, et la moitié des mem­bres et sou­tiens du HDP, du chauf­feur aux maires et députéEs, croupis­sent en prison.

La péri­ode de cam­pagne à armes iné­gales est donc ter­minée. Nous étions 58 366 647 électeurs et élec­tri­ces à pou­voir vot­er dans 167 140 urnes. Autour de 50 000 000 ont votés. Nous fûmes 49% à met­tre le bul­letin, dans des con­di­tions plus ou moins accept­a­bles, dans un pays sous état d’ur­gence et atmo­sphère ten­due. Et voilà que nos votes ont été manip­ulés en plus.

Diyarbakır, quarti­er Sur. (22 juin 2015 et 26 juil­let 2016)

Une par­tie du peu­ple et pas des moin­dres, surtout au Sud-Est du pays, a fait comme elle a pu. Leurs villes étant quand même un peu saccagées, il fal­lait par endroit, que les électeurs et élec­tri­ces se dépla­cent, par­fois fassent 50 km pour attein­dre les urnes. Des cars ont été organ­isés alors, par manque de moyens, en piochant dans les cagnottes réservées nor­male­ment à l’aide aux familles mis­es à la rue dont la plu­part ont vu leur mem­bres jetés en prison ou tués. Bien que par­mi eux, il y en a qui ne croient plus aux urnes pour les mêmes raisons que les lib­er­taires dont je vais vous par­ler ci-dessous, ces gens là, sont allés vot­er quand même, mal­gré la présence intim­i­dante, des chars et blind­és, les mêmes qui ont rasé leur ville, ressor­tis pour l’oc­ca­sion, pour faire peur… Et le Reis nous dit ce soir à la télé qu’ils ont moins voté con­tre lui et qu’il y a du progrès…

Sur tout le pays 251 788 policiers et 128 445 gen­darmes ont été déployés, comme l’avait annon­cé préal­able­ment le min­istre de l’intérieur Süley­man Soy­lu, et 17 000 employés de sécu­rité bénév­oles ont pris du ser­vice. Les chats ont quand même trou­vé le moyen d’entr­er dans les trans­fos pour provo­quer des coupures d’électricité encore une fois, pour empêch­er les dépouillements…

A Sil­van, juste après la fer­me­ture des urnes, un chat qui est entré dans le trans­fo, et l’a fait explos­er provo­quant une demie heure de coupure d’élec­tric­ité dans le district.

Les votes sont comp­tés. Des bul­letins venus d’on ne sait où aussi.

Les sondages qui dis­ait OUI, qui dis­aient NON ont eu tort et rai­son. Un  NON/OUI est sor­ti des urnes, avec à peine plus d’un mil­lion 300 000 d’a­vance pour le OUI.… Pour une fois, le Reis pour­ra dire que les bonnes nou­velles sont venues de l’é­tranger… Parce que nos com­pa­tri­otes qui ne subis­sent rien de ce qui se passe ici con­tin­u­ent à nous enfon­cer vis­i­ble­ment si on regarde les résul­tats… Bon, je garde le moral, car ma ville a dit NON majori­taire­ment. Fau­dra quand même que je me méfie d’un pas­sant sur deux.

Pen­dant toute la cam­pagne et la péri­ode qui l’a précédée, en voy­ant l’op­po­si­tion se déchir­er je me posais des ques­tions… Ces femmes et hommes, de divers­es ten­dances qui se sont réu­niEs autour du NON, ont des argu­ments telle­ment dif­férents. Les unEs dis­ent que le NON, n’est pas un sim­ple non à un pro­jet de change­ment con­sti­tu­tion­nel, mais un non à toutes les poli­tiques menées par Erdoğan et son AKP au pou­voir depuis des années, non aux vio­lences faites aux femmes, non à ce qu’est devenu l’é­cole et l’u­ni­ver­sité, non au muselle­ment de la presse, non à la polar­i­sa­tion de la pop­u­la­tion, non à la dis­crim­i­na­tion des minorités, eth­niques, religieuses, femmes, LGBTI tous con­fon­dus… Avec les mêmes argu­ments, les Kur­des expri­ment que “leur NON, est un NON de 100 ans”. Les autres glis­saient dans cette cam­pagne de refus, avec des nuances et pas des moin­dres “Si le OUI d’Er­doğan emporte, il se met­tra à nou­veau à la table des négo­ci­a­tions avec les Kur­des, donc dis­ons NON.” Il y a même eu des appels à vot­er NON de dernière minute, de la part de “per­son­nal­ités” qui n’avaient jamais ouvert la bouche pour dénon­cer ce qui se pas­sait à “l’autre bout” du pays.

Le ques­tion­nement qui me préoc­cupe le plus, c’est de voir toute cette masse qui se dynamise mais qui ne se focalise que sur le référen­dum. Un référen­dum sur le change­ment con­sti­tu­tion­nel, c’est bien beau, son résul­tat est utile, pour pren­dre la ten­sion, et mesur­er com­ment Erdoğan est soutenu et suivi… Mais je me dis­ais que quelque soit ce qui sort des urnes, Erdoğan ferait son pos­si­ble, trou­verait un sub­terfuge pour pouss­er le bou­chon jusqu’au bout de son pro­jet. Son porte parole n’an­nonçait-il pas claire­ment récem­ment, “Même si les Turcs reje­taient la réforme con­sti­tu­tion­nelle lors du référen­dum du 16 avril, le pro­jet ne sera pas aban­don­né”. Il n’au­ra pas besoin de le faire… Il vient de dire à la télé que la Nation turque était désor­mais la sienne.

Y en a qui par­le de la triche. Mais qu’est-ce qu’ils croy­aient ? Que l’AKP a une morale ? Dans la démoc­ra­ture, c’est le chef qui a le pou­voir de d’in­ven­ter la réal­ité des chiffres. L’im­por­tant, c’est de savoir à quoi on doit s’at­ten­dre, pas de pleur­er sur la morale… On pleure assez comme ça. Le régime AKP ne tombera pas sur un cours de morale démoc­ra­tique. Et il nous en pré­pare de bien pires.

Les lib­er­taires, pub­li­aient il y a envi­rons un mois, un long texte qui allait dans le même sens que mes craintes et ques­tion­nements. Si je résume avec mes mots, ce com­mu­niqué dis­ait “En principe, nous sommes con­tre le vote, les élec­tions et référen­dum… Mais nous ne jugeons pas celles et ceux qui veu­lent vot­er NON. Par sol­i­dar­ité, nous les soutenons. Mais nous tenons à exprimer notre avis. Un change­ment doit être rad­i­cal et cela ne peut être fait par les urnes. Le fait de se con­cen­tr­er sur le vote, enlève toute pos­si­bil­ité de s’or­gan­is­er véri­ta­ble­ment. Selon nos con­stats, nous pen­sons que la chose la plus impor­tante serait que la pop­u­la­tion s’or­gan­ise dans l’idéal pour une révo­lu­tion, et au point où le pays se trou­ve, pour faire face à une guerre civile. Par con­séquent cette cam­pagne est à nos yeux, une péri­ode trompeuse qui ne fait que retarder ce qui doit se pass­er”.  En gros, méfions-nous, vous allez vous retrou­ver comme un pois­son sor­ti de l’eau…

Et j’ap­prends aujour­d’hui, pen­dant que les unEs votaient, et que les autres boudaient, que les groupes anar­chistes ont fait plusieurs actions simul­tanées dans divers quartiers à Istan­bul, accrochant des ban­nières avec des slo­gans “Retrou­vez-vous les unEs et les autres, organ­isez-vous, lut­tez ensem­ble !” “Oui à la rébel­lion, non à l’E­tat”, “L’E­tat pro­duit la guerre”, “Pas d’élec­tion mais révo­lu­tion. Pas d’E­tat mais Com­mune” “Ne sois pas larbin des larbins. Tu n’as pas de représen­tantE autre que toi-même”. Et le texte com­mu­niqué à l’oc­ca­sion, dis­ait à peu près ce que j’ai dans la tête, mais je n’ar­rive pas à for­muler avec ces mots : “Ne lais­sez pas étein­dre votre désir de révo­lu­tion dans dans urnes, ou sous l’om­bre des milieux autori­taires et réformistes. Ne dépensez pas votre énergie en emprun­tant des rac­cour­cis devenus des labyrinthes, canalisez le vers la lutte pour la lib­erté. Organ­isez-vous, coor­don­nez-vous, agissez.”

Ils n’ont pas tort les gars et les filles. Qu’ils/elles me par­don­nent, tout en me posant ces ques­tions, je suis allée vot­er quand même.

Et voilà, ce soir, nous avons donc la réponse. C’est OUI paraît-il.

Quand même… Je ne suis pas une fan de sta­tis­tiques, mais quand je compte, je remar­que que les pro-Erdoğan (AKP et con­sorts) ont per­du plusieurs mil­lions de sou­tiens depuis les élec­tions de novem­bre 2015. Les ultra-nation­al­istes dans le tas, n’ont pas suivi beau­coup le OUI sans doute… Ajouté à cela la fraude autorisée par la Com­mis­sion électorale…

Tout le monde va faire la gueule avec le résul­tat d’au­jour­d’hui, sans voir qu’en fait, plus il cogne le Reis main­tenant, plus il purge, moins il récolte vrai­ment… Et ça, c’est impor­tant pour demain, cette ten­dance qui s’in­verse un peu. Lui le sait bien, qui crie pour­tant vic­toire, mais on peut penser qu’il va taper encore plus fort, alors que les “démoral­isés” des urnes ne ver­ront même pas que leur nom­bre se ren­force, pour résis­ter demain, main­tenant que ses pleins pou­voirs sont estampil­lés et que les gou­verne­ments européens auront une rai­son de le féliciter.

C’est la démoc­ra­tie non ?

Ben quoi, vous vous attendiez à du plus sérieux ? A chaud comme ça, ce serait pas raisonnable… Laiss­er moi recompter.

Atten­dons la suite…


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Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…