Après sa réunion de groupe parlementaire du 7 novembre, le CHP et Kemal Kılıçdaroğlu ont fait une déclaration en contradiction avec son soutien à l’état d’urgence, en parlant de la fermeture du quotidien Cumhuriyet et de l’arrestation des Co-présidentEs et députéEs du HDP.
Depuis, les coups de ping pong entre AKP et CHP continuent… Nous tenons à donner quelques extraits du communiqué et des réactions qui ont suivi, afin d’apporter quelques éclaircissements sur l’interprétation et les prises de position de chacun.
Voici ce que le CHP déclarait, en grandes lignes et extraits …
Liberté pour les journalistes de Cumhuriyet
“Ce procès illégal et irrationnel à l’encontre du journal Cumhuriyet doit prendre fin. La totalité de ses journalistes arrêtés doivent être libérés.”
Suites du coup d’Etat du 15 juillet
“Tous les éléments politiques, militaires et bureaucratiques ayant soutenu le coup d’Etat doivent être révélés et jugés. Le droit de chercher justice doit être donné à tous nos citoyens, limogés, licenciés, arrêtés.”
AKP complice des terroristes
“L’AKP avait poursuivi le ‘processus de résolution’ qui devait être conduit au sein du parlement, avec des élus, en reniant à l’époque le parlement et en entrant dans des négociations directement avec le PKK. L’environnement de violence et de terreur avec lequel notre pays se trouve maintenant face à face, prouve que cette méthode reniant le parlement fut une erreur. L’AKP répète aujourd’hui la même erreur, et en faisant arrêter les députés du parlement, sert le terrorisme. L’arrestation des “députés”, sans que les procédures judiciaires se termine, est contre la Constitution et les jurisprudences du Tribunal constitutionnel.”
“Le Régime autoritaire restreint les libertés d’expression, de rassemblement, d’organisation, et d’entreprise des citoyens et met sous pression intense toutes les couches sociales. Toutes les oppressions, menaces et attaques, visant les écoles, universités, travailleurs, femmes, organisations de société civile, le monde des affaires et la sécurité de vie de nos citoyens, doivent cesser.”
“Les autorités du Palais et de l’AKP, complices des organisations terroristes FETÖ, PKK et Daech, sont la plus grande menace pour notre démocratie et la survie de notre pays. Et cette menace donne à nos citoyens le droit de résister. Ce qu’il faut faire pour empêcher cette menace contre notre démocratie, notre union et l’atmosphère de sérénité et paix, est évident. Tous nos citoyens qui aiment leur patrie, qui croient à la démocratie, et qui défendent les droits et libertés fondamentaux, doivent se réunir afin de contrer cette grande menace qui vise notre République. le CHP est prêt à prendre les devants de ce mouvement de liberté, de démocratie, d’union et d’indépendance. Qu’aucun de nos citoyens n’aie de doute, le CHP remplira toutes les exigences de cette lutte.”
“Les efforts pour fonder une dictature, seront vaincus en peu de temps, par la volonté de notre peuple, amoureuse de liberté de Droit et de démocratie. Ceux qui ont trainé la Turquie vers la falaise, donneront inéluctablement des comptes à la Justice.”
Si, le jour de ces déclarations, en faisant une recherche tout à fait ordinaire sur le web, nous sommes tombés au premier clic sur autant de voix discordantes pour en parler, ce n’est pas un hasard.
Après l’unité nationale, en effet, le CHP avait accepté la “main tendue” d’Erdoğan, pour, dans un meeting commun, (Yenikapı), “l’unité de la nation, la démocratie et la lutte contre le terrorisme”. Kémalistes, ultra nationalistes et AKP, avaient ensemble alors communié pour “l’unicité de la Nation turque” et s’étaient vautrés dans le “roman national”, chacun dans un bout du drapeau. L’état d’urgence proclamé portait alors sur les fonds baptismaux la phase suivante du coup d’état civil d’Erdoğan, avec des parrains contre nature… qui déroule son tapis répressif comme on sait.
Réactions
Le porte parole du gouvernement et le Vice-premier ministre Numan Kurtulmuş :
“Il n’aurait pas fallu écrire tout cela, dire tout cela. Quoi que cette déclaration dise, l’esprit de Yenikapı continue pour les électeurs du CHP. Nos frères du CHP considèrent eux aussi, le FETÖ et le PKK comme des organisations terroristes, comme des ennemis de la Nation. Vous pouvez écrire, une dizaine de personnes, un communiqué mais cela n’a aucune valeur à nos yeux. Pour nous aussi, l’esprit Yenikapı continue. Nous conseillons à la direction du CHP de revoir leurs visions. Dire à une délégation politique qui est revenue de la mort “Vous êtes complices avec ces organisations” est la plus grande des injustices. Si le coup d’Etat avait abouti, nous ne serions plus en vie, et ils ne pourraient pas trouver la possibilité d’écrire de communiqué. Il n’y a pas de sens à dévier le problème.”
le Premier ministre, Binali Yıldırım :
“Et le CHP fait une déclaration. Que s’est il s’est passé pour que tout d’un coup, vous vous réunissiez ? Leur déclaration est un exemple d’incompétence politique. Une infamie. C’est comme les tracts que les étudiants lisent devant la porte après le cours. Vous êtes le parti principal d’opposition. Avec ce cerveau vous ne viendrez pas au pouvoir avant belle lurette.”
“A chaque ligne, le communiqué pose ses pieds à l’endroit où l’organisation terroriste a levé le sien. Le CHP, en voulant faire l’opposition à l’AKP, fait opposition à la Turquie.”
“Il faut qu’ils sachent que nos citoyens qui ont voté pour le CHP, sont aussi dérangés du soutien du CHP à l’organisation terroriste. Nous nous sommes réunis avec nos citoyens électeurs de CHP, dans l’esprit Yenikapı, nous sommes unis. Le CHP n’aura pas assez de forces pour défaire notre unité, notre union, notre serment. Au nom de notre pays, Gardez la responsabilité d’être le parti d’opposition, le respect et la politesse.”
Le Ministre de Justice Bekir Bozdağ :
“J’ai du mal à comprendre le comportement du CHP. Si Atatürk et Inönü [compagnon de route de Mustafa Kemal, et fondateur du CHP] se lèvent de leur tombeaux et voient que le CHP apporte de l’eau dans le moulin du PKK, qu’il fait l’avocat du FETÖ, que diraient-ils ? Je voudrais bien le savoir. Ils disent que le CHP est le parti fondé par Atatürk, le parti qui a fondé la République, mais c’est le CHP qui donne le plus grand soutien aux ennemis de la République, de l’unité et la sérénité de cette Nation, qui font souffler le vent de terreur partout en Turquie. Il se fait presque leur porte parole. Y a‑t-il une différence entre les paroles du Président du CHP et les déclaration de Qandil ?
Je lis le communiqué du M Kılıçdaroğlu, je me demande s’il est préparé par le PKK ou le FETÖ, ou par les deux en complicité, ou encore par tous les trois, ensemble. Je ne comprends toujours pas.
Bekir Bozdağ, exprime que Kılıçdaroğlu, en tenant l’AKP responsable, interfère avec la justice, et précise que la théorie sur le fait que la Turquie aiderait Daech, est “un projet international” monté :
“C’est une opération pour coincer la Turquie, et la mettre en difficulté. Elle est lancée par les terroristes gülenistes [infiltrés] dans le corps de la Justice, et par les terroristes dans les forces de sécurité, sur l’ordre de l’organisation terroriste FETÖ et son leader et son fondateur terroriste Fetullah Gülen,
Devlet Bahçeli le leader du MHP, ultra-nationaliste a declaré :
Le fait que le CHP tienne les devant de cette campagne et soutienne les traitres séparatistes sera enregistré dans notre histoire politique comme une tache noire. Il n’est pas possible d’excuser le fait que le CHP se fasse l’avocat des séparatistes.
Quant à Erdoğan, tout en gardant son “prestigieux style” et la langue qui le caractérise, et surtout en évitant de prononcer le nom de Kemal Kılıçdaroğlu, il a remis une couche :
“Ce n’est pas digne d’un politique d’attaquer le Président de République et le gouvernement de ce pays, par communiqué interposé. Après on [nous] demande, pourquoi vous allez à la Justice ? Bah alors, on va aller où ?”
“Mais quel genre d’opposition sont ceux-là ? Une mentalité comme ça, est-ce possible ? C’est nous qui menons cette lutte [contre le terrorisme], de la façon la plus déterminée, et toi, tu essayes de nous attraper, genre ‘le voleur futé fait arrêter le propriétaire’ ”.1
“Chacun doit reconnaitre sa place. Dans ce pays, ceux qui se font avocats des traitres de la patrie et souffleurs de vents de terreur, doivent donner des comptes et en payer le prix.”
Kemal Kılıçdaroğlu a répondu à Erdoğan à son tour :
“Nous sommes heureux d’entendre que Erdoğan veut comme nous que les traitres à la patrie et souffleurs de vents de terreur se fasse juger.
Il est inutile d’ajouter que les plaintes se déposent dans tous les sens… Abdülhamit Gül de l’AKP a déclaré que son parti portait plainte contre le CHP, pour ce communiqué. Tayyip Erdoğan a également annoncé qu’il porterait plainte pour “insulte au Président”.
Voici donc ce qui est donné à voir et lire aux “opinions publiques” turques en ce moment, en plus bien sûr des déclarations et démentis prononcés ou envoyés en réponse aux “vives inquiétudes européennes”. Cela fait le bonheur des “tablées télévisées” et des “éditorialistes”, des chaînes “d’unité nationale” alliées. C’est le “jeu démocratique parlementaire”… ou plutôt le ping pong politicien autour du pouvoir.
La décision de ce qui subsiste du groupe parlementaire du HDP de boycotter ce cadre n’en est que plus justifiée.
Il y a cependant deux évidences dans cette situation.
Le parti CHP, force d’opposition parlementaire, tente de s’abriter derrière des réactions européennes à minima sur les questions de “démocratie”, pour gauchir un discours devenu inaudible depuis août. Ses prébendes dans les institutions en dépendent, et sa crédibilité politique aussi en tant qu’opposition.
Il oscille donc entre dénonciation des “abus” et craintes de s’en trouver la prochaine victime, sans plus avoir de soutien dans le Pays… Sa prise de position de juillet, a placé le CHP dans le rôle de l’idiot utile, rabroué dès qu’il se rebiffe. Sa défense des députés du HDP en devient d’autant non seulement sans portée, mais extrêmement ambigüe sur la dénonciation du “séparatisme”. Ne parlons pas de son appel à constituer autour et derrière lui “un front de démocratie et de paix”, alors même qu’il soutient le principe de l’état d’urgence qui prioritairement aujourd’hui s’applique contre l’opposition démocratique, qu’il continue à soutenir l’idée que combattre le terrorisme c’est faire la guerre au mouvement kurde, et que la négation des Peuples de Turquie au profit de l’unicité nationale derrière l’Etat reste son idéologie. Trois énonciations en contradiction totale avec la Paix.
Ajoutons à cela l’idée du militant CHP de base, qui considère que l’AKP, la “modernité” de la Turquie pour 2023 n’est pas le problème, mais qu’il ne s’agirait que d’Erdoğan et ses envies de présidentialisation, et vous avez la mesure réelle des apparentes “divergences” de ces jours derniers…
Les politiciens du CHP n’ont guère de soucis à se faire, dans ce rôle d’idiots utiles de la “démocratie”. Il n’en est pas de même pour celles et ceux qui les prennent au mot et sont alors entraînés vers l’impuissance, avant que d’être victimes à leur tour du coup d’état civil, après les fonctionnaires, les chercheurs, les enseignants, les juristes, les journalistes…
Ne parlons pas non plus des difficultés quotidiennes, des questions sociales non réglées, du populisme nationaliste et bigot qui détourne les rapports de classes, de la peur ou la haine, c’est selon, qui saisit les “apolitiques” d’hier…
La deuxième évidence, est qu’on ne peut s’empêcher de penser que ces “polémiques” laissent de fait l’opposition démocratique entre les mains de l’oppression et ne fait que la “commenter”.
Le gouvernement AKP légitime ainsi sa démocrature aux yeux de tous.