Des com­bat­tants inter­na­tion­al­istes au Roja­va détail­lent leur présence sur le front, semaine après semaine…


Le 21 avril 2016

Il y a quelques jours l’a­mi C.C. nous a quit­té pour rejoin­dre un autre tabour. Depuis nous avons été déplacés sur le front près de Shé­dade (env­i­ron 50km) dans un vil­lage for­ti­fié par des mon­tic­ules de terre. On se retrou­ve au milieu du désert coupant la route entre Raqqa et Mossoul. Depuis nos postes de garde on peut apercevoir les camps retranchés de Daech a env­i­ron 3km de nos posi­tions. Chaque jour ils nous souhait­ent un bon réveil avec une pre­mière salve de tirs de morti­er et bonne nuit avec une deux­ième, le soir. Au loin on aperçoit le dra­peau noir au cer­cle blanc… Du moins on l’aperce­vait. Hier un drone patrouil­lait notre zone de front quand les daechiens ont eu la mau­vaise idée d’u­tilis­er leur katioucha (ver­sion mod­erne des fameux orgues de Staline) du coup une ving­taine de min­utes plus tard un chas­seur est passé lâch­er trois bombes d’une tonne qui ont sec­oué toute la région. Depuis le dra­peau de Daech ne flotte plus et on aperçoit une tache noire là où se trou­vait l’ar­tillerie des djete (les poux en kurde). La vie dans notre tabour s’est détéri­orée, de nom­breux trans­ferts ont eu lieu et les meilleurs élé­ments du groupe sont par­tis dans d’autres groupes. A cela on peut ajouter une très mau­vaise ges­tion logis­tique du respon­s­able qui n’est pas à son affaire et un nou­veau com­man­dant incom­pé­tent. Nous plan­i­fions de quit­ter le tabour au plus tôt pour rejoin­dre une autre unité un peu particulière…

A suivre

D. I.



Le 8 Avril 2016

J’ai con­fir­ma­tion que Pitt Bull ne me rejoin­dra pas avant au moins un mois au sein de l’unité 223. L’encadrement m’a pré­cisé qu’à leurs yeux c’était le délai min­i­mum pour qu’il puisse s’entraîner cor­recte­ment pour les tests sportifs et aus­si per­dre du poids. Ça m’embête pour lui d’autant qu’il m’est très dif­fi­cile d’avoir de ses nou­velles car nous sommes une unité à part. Cepen­dant, je pense que l’encadrement à rai­son. Les tests sportifs ne sont qu’un petit avant-goût de l’entraînement.

Nous sommes qua­tre recrues qui avons rejoint cette unité dans un pre­mier temps, deux autres suiv­ront quelques jours plus tard.

Cette unité a été créée par un améri­cain en octo­bre 2015 à la demande du haut com­man­de­ment des YPG et YPJ. Elle est l’unité de pointe avec le tabour « sab­o­tage » sur toutes les opéra­tions majeures, appuyées par­fois par le tabour « sniper ». En clair cette unité qui fait par­tie des tabours heriketli (mobile) est réelle­ment au con­tact de DAECH lors des offen­sives où elle est présente. Elle est appuyée par cer­tains tabours YPG et YPJ selon les cir­con­stances et le type d’opération, tous font par­tie des tabours mobiles dit égale­ment heriketli. Depuis sa créa­tion, l’unité 223 est présente sur tous les com­bats majeurs : Hawl, Kobani (bar­rage de Tim­içrin), et Shada­di. Sur cette dernière elle a eu un sniper de blessé (une balle de douch­ka dans sa lunette de tir) et deux autres qui ont sauté sur une mine avec leur véhicule en retour d’opération sur le réseau routier.

L’unité a per­du un homme (ṣehid) lors de l’opération de Hawl. Il s’agit d’un cana­di­en nom de guerre kurde : ṣ Gabar.

L’unité 223 porte son nom en mémoire d’un ṣehid inter­na­tion­al mort au Roja­va le 23 févri­er 2014, il s’agit de ṣ Bagok de nation­al­ité australienne.

Pour accom­plir ses mis­sions, l’unité 223 dis­pose d’un large pan­el de matériel. Au plus haut niveau, le respon­s­able négo­cie la logis­tique et rien ne lui est refusé même si par­fois ça prend du temps. Des trouss­es de sec­ours com­plètes indi­vidu­elles et col­lec­tives, aux kar­nass (svd) en pas­sant par les véhicules, tout est mis en œuvre pour la réus­site des mis­sions. Ceci dans un con­texte d’entraînement quo­ti­di­en et d’une dis­ci­pline de fer mélange de Marines et de la Légion qui sont bien représen­tés ici. Les tenues sont pro­pres à l’unité et elle pos­sède ses sigles et couleurs.

Nous sommes deux français dont l’un est sur le départ ayant rem­pli ample­ment son con­trat (min­i­mum qua­tre mois au sein de l’unité), il y a bien enten­du des améri­cains (ils for­ment la majeure par­tie du per­son­nel) mais aus­si espag­nol, por­tu­gais, cana­di­en, etc sont représen­tés suiv­ant les épo­ques et le renou­velle­ment de ceux qui par­tent après leur temps.

Il n’est pas pos­si­ble de se porter volon­taire dans ce tabour, vous êtes approchés par le respon­s­able qui a ses entrées et ses infor­ma­tions dans tout le Roja­va. Au sein de l’unité, on par­le anglais et kurde car les ordres aux com­bats sont générale­ment don­nés dans cette langue afin de faire la coor­di­na­tion avec les autres unités YPG et YPJ sur le terrain.

Les opéra­tions durent générale­ment un mois à un mois et demi. A l’issue, l’unité rejoint ses quartiers qui sont situés à part et qui pos­sède tout le con­fort pos­si­ble : (cui­sine, machine à laver, eau chaude, ven­ti­la­teurs, etc). N’ayant que des sol­dats pro­fes­sion­nels, il y règne une très bonne hygiène et les corvées sont faites au quo­ti­di­en. L’ambiance y est bonne et la hiérar­chie directe sans les galères de devoir subir les humeurs ou idées abscons des « adju­dants Kro­nen­bourg » comme on en a tous connu.

Durant sa péri­ode au quarti­er, l’unité remet en état son matériel, s’entraîne, améliore son can­ton­nement et fait pass­er les tests aux nou­velles recrues qui ont été approchées pour les rejoin­dre. En cas de réus­sites celles-ci vont devoir pass­er un test pro­ba­toire de 21 jours divisés en une semaine (de « mise à l’épreuve ») et deux semaines (de vie et inser­tion au sein de l’unité). En cas de blessure au com­bat ou autre, le per­son­nel de l’unité qui a besoin de soin est trans­féré dans une clin­ique privée soit en Syrie ou en Irak ou en Europe s’il le faut. Il dis­posera des meilleurs chirurgiens et des struc­tures adéquates pour le soign­er. En cas de décès, les dernières volon­tés seront exaucées.

Enfin pour con­clure cette présen­ta­tion j’ai réus­si ain­si que mes trois autres com­pagnons la semaine de « mise à l’épreuve ». Beau­coup d’éloges me con­cer­nant, fier en tout cas de représen­ter dans une élite la Légion Etrangère et l’image de pro­fes­sion­nal­isme qu’elle véhicule aux qua­tre coins du monde. Ceci étant, je dois boss­er mon kurde et l’anglais bien trop faible pour le niveau atten­du au cours des opéra­tions et çà ce n’est pas une mince affaire. Il reste deux semaines de tests, et main­tenant fini de dormir dans la salle com­mune, j’ai droit comme mes cama­rades à avoir accès aux chambres.

Ceci étant, j’ai du quit­ter l’u­nité 223 suite à une broutille avec mon chef d’équipe mais comme une seule voix peut vous éjecter du tabour c’est chose faite. Ironie du sort, il s’ag­it d’un légion­naire déser­teur. Dès le 12 avril, je rejoindrai Pitt Bull et mon ancien tabour sur la ligne de front aux alen­tours de Chédade.

Le 30 avril 2016

Bon­jour à tous,

Tout d’abord bon Camerone à tous mes frères d’armes.

Les jours au front sans trop ren­tr­er dans les détails se sont déroulés sans sur­prise : des bom­barde­ments de DAECH au morti­er et des YPG en dessous des attentes. Des sit­u­a­tions par­fois très dan­gereuses dûes à leur inex­péri­ence patente dans le combat.

Je suis repar­ti pour ma part à l’is­sue à l’académie afin de faire le point sur de nom­breux sujets.

Le plus préoc­cu­pant est tou­jours cette fron­tière blo­quée avec l’I­rak. Impos­si­ble de la pass­er sans goûter aux geôles iraki­ennes avant d’être expul­sé avec une inter­dic­tion de ter­ri­toire pen­dant un an. Voilà pour les brèves du jour, je reviendrai plus longue­ment sur tous ces sujets un peu plus tard.

Le 2 mai 2016

Bon­jour à tous,

Je reprends enfin la plume élec­tron­ique après un péri­ode d’absence suite à dif­férentes mis­sions pour vous faire un peu le point sur la sit­u­a­tion au Roja­va et sa com­plex­ité. Ceci avec les infor­ma­tions que je dispose.

Nous sommes ren­trés dans la cinquième année de guerre. Autant dire que l’ensemble des fac­tions (armée syri­enne, YPG, etc) sont en règle générale exsangues. L’armée d’Assad bom­barde depuis des jours Alep sans véri­ta­ble­ment de gain de ter­rain. Les unités d’élite de DAECH (tchétchène pour la plu­part) ont été majori­taire­ment décimées, il ne reste que des com­bat­tants « provin­ci­aux ». Chez les YPG même con­stat, les bons fight­ers sont par­tis sur d’autres fronts à Bakûr et du côté d’Afrin où les com­bats font rage. La ligne frontal­ière entre la Turquie et le Roja­va turc est lit­térale­ment rem­plie de sol­dats turcs lour­de­ment armés et appuyés par des blind­és légers et lourds. Des tirs à l’arme lourde se font enten­dre au quo­ti­di­en sur les villes kur­des frontal­ières entre ces deux pays. Cer­taines villes sont par­fois coupées en deux (d’un côté la Turquie, de l’autre la Syrie). Tant à Bakûr qu’à Afrin, les volon­taires étrangers sont inter­dits. De ce fait la grande ligne de front au sud du Roja­va est plus ou moins sta­ble, où cha­cun tient ses posi­tions et les renforce.

Dans le couloir d’Afrin (à l’ouest), Al Nos­tra est en train de per­dre le ter­rain face à Daech. Cette mou­vance islamique est essen­tielle­ment con­sti­tuée ici de turk­mènes. Ce qui donne une bonne oppor­tu­nité à Erdo­gan d’avoir un pré­texte à ren­tr­er dans le Rojava.

La grande offen­sive prévue est repoussée, suite à l’incapacité de la coali­tion inter­na­tionale (excep­té la Russie) de se met­tre d’accord et aus­si par les pres­sions inces­santes de la Turquie qui est con­tre. Erdo­gan ne veut pas d’un Roja­va réu­nifié par ses trois cantons.

La Turquie tou­jours a trou­vé un accord avec Barzani (Irak) pour qu’il bloque sa fron­tière com­mune avec le Roja­va. Il faut savoir que l’Est du Roja­va est un ancien fief de Barzani et celui-ci entre autres n’a pas appré­cié en bon dic­ta­teur d’en avoir été évincé et que sa représen­ta­tion au sein des instances dirigeantes soit ramenée à peau de cha­grin. Il a donc placé sa garde pré­to­ri­enne (per­son­nelle) sur cette fron­tière. Si cer­tains arrivent encore à ren­tr­er au Roja­va, il est impos­si­ble par con­tre d’en sor­tir sans se faire arrêter. Pour tout étranger dans ce cas, un petit séjour dans les geôles iraqui­enne (compter entre dix jours à un mois), et l’interdiction de séjour à l’issue dans ce pays pour un an avant d’être expul­sé du pays. Quelques alter­na­tives exis­tent. Excep­té la voie diplo­ma­tique, toutes les autres restent dan­gereuses et dans tous les cas de fig­ures, il faut voy­ager léger.

Les irakiens ont ten­té de repren­dre la ville de Mossoul, il y a deux à trois semaines de çà. Les améri­cains leur avaient con­seil­lé d’engager dix divi­sions. Mal­heureuse­ment, ceux-ci n’en ont alignés que deux …. Bilan : une nou­velle béréz­i­na côté irakien.

Pour ceux qui voudraient encore rejoin­dre le Roja­va, je voudrais bien pré­cis­er que je ne suis pas une agence de recrute­ment, et que surtout la sit­u­a­tion est de plus en plus ten­due ici compte tenu du con­texte que je viens d’expliquer. Les con­di­tions de vie sont dif­fi­ciles, voire mau­vais­es et sans hygiène. Plus vous vous rap­prochez de la ligne de front, et plus ces con­di­tions se dégradent. Je vous con­seille pour l’instant et compte tenu du con­texte, de ne pas rejoin­dre les YPG mais plutôt l’International Free­dom Bataillon.

A bien­tôt.

C.C.

 


Hors quelques reportages, il n’est pas simple de se faire une idée du quotidien d’unE combattantE des YPG-YPJ au Rojava. Lorsqu’il s’agit de volontaires étrangers, ces reportages prennent parfois des tournures incongrues, dérivant vers la fascination des armes.
Par ailleurs, il est bien évident que des informations d’ordre purement militaires ne peuvent faire l’objet de publications tous azimuths. Là, des « volontaires internationalistes » nous ont proposé de diffuser leurs notes personnelles prises au jour le jour, pour relayer leur propre carnet de bord. Nous avons accepté, tout en sachant qu’il nous était impossible de vérifier ces informations. Nous vous livrerons donc de façon brute « une chronique de guerre au Rojava ». Kedistan se fera donc un simple vecteur de publication de ces notes, respectant la subjectivité et le style de leurs auteurs.
Voir chroniques précédents ici : Chroniques du front

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