Je n’ai pas trop le moral  ces derniers jours, alors je n’ai pas voulu vous noir­cir l’esprit.

Voilà l’ex­pli­ca­tion de mon silence.

L’en­vie de pouss­er des gueu­lantes ne me manque pas, surtout quand j’en­tend des voix ‑et elles sont nom­breuses- qui dis­ent “La troisième guerre mon­di­ale com­mence !” Bah, mes enfants, ça fait longtemps qu’elle a commencé.
Elle est un peu dif­férente de celles d’a­vant, car elle se fait d’une façon éclatée un peu partout celle-ci. Vous vous en ren­dez compte, seule­ment quand elle sonne à votre porte ?

Juste­ment je dis­cu­tais de tout cela avec ma voi­sine pas plus tard que ce matin. Mais comme on avait sans doute besoin de douceurs, la con­ver­sa­tion avait glis­sé petit à petit vers le temps, le ciel, la terre, la nature, la beauté… C’est à ce moment là, qu’une paire de mous­tach­es est apparue sur le palier, et qu’une voix suff­isante a coupé notre papotage : “Non mais, le plus beau pays du monde c’est la Turquie !”.

Ah oui ?

paysages-choisir-1Déjà, j’adore les affir­ma­tions qui com­men­cent par “non mais”, surtout quand elles tombent comme l’eau de jav­el dans la soupe, puisqu’elles sont émis­es sur les quelques derniers mots enten­dus, sans con­naitre vrai­ment de quoi ça cause.

J’ai telle­ment enten­du cette phrase creuse, partout… Dans la bouche de mes proches, celle des incon­nus croisés dans le bus ou sur le banc d’un parc. “Le plus beau pays du monde c’est la Turquie”. L’est il vraiment ?

Cette paire de mous­tach­es a été trim­bal­lée dans com­bi­en de pays pour affirmer cela ? Elle a tout vu, tout vécu ? Des chutes du Nia­gara à l’ Ama­zonie ? De l’équa­teur jusqu’aux pôles ? Allons bon…

Com­ment peut on com­par­er l’in­com­pa­ra­ble. Et d’ailleurs qu’est-ce qu’on com­pare ? On com­pare la Cap­padoce, lieu poé­tique d’une autre planète avec la muraille de Chine ? Ou les quartiers bidonville qui sur­vivent sous les jupes des quartiers chics d’Is­tan­bul avec ceux de Rio ? Est-ce les forêts ver­doy­antes au Nord de la Turquie, ces mon­tagnes que les investis­seurs de toutes sortes essayent de bousiller ver­sus les rési­dences arti­fi­cielles à Dubai ? N’im­porte quoi… Com­pare-t-on le quart d’heure de bien être en tra­ver­sant le Bor­phore par le “vapur” entre Karaköy et Kadıköy avec un thé à la main, ou le temps qui se ral­longe en silence, en voy­ageant sur un traineau tiré par les chiens aux poils gelés ?

Alors mous­tach­es, tu con­nais cer­taine­ment tout ça, donc tu peux affirmer : “Le plus beau pays du monde c’est la Turquie !”.

Jugeote.
Tu aurais pu dire “J’aime mon pays qui est la Turquie, avec ses beautés et ses laideurs”. Là oui, les mous­tach­es n’au­raient pas bougé pour dire une connerie.

D’abord, “le plus beau” est basé sur des critères sub­jec­tifs. Tout dépend de tes lunettes. Tes critères pour class­er les pays peu­vent vari­er du béton flam­boy­ant au mètre car­ré, aux fleurs des champs, de cen­tres com­mer­ci­aux illu­minés aux sourires des habi­tants dans la pénom­bre d’une bougie à la case.

pays à choisir

Et puis, pourquoi on aime un pays ?

Parce qu’on le con­nait, ou on pense le con­naitre, car on y est né et/ou vécu. Parce qu’on con­nait une par­tie de ses paysages, ses villes. Parce qu’on con­nait ses peu­ples, leurs langues, leurs cul­tures, des choses qu’on apprends pas spé­ciale­ment que dans des livres, mais au fil des jours, à tra­vers des ren­con­tres. On peut aimer des choses dans un pays, on peut en détester d’autres. On peut tomber en pâmoi­son devant un paysage, un regard d’en­fant, un arbre, une bâtisse, un ciel, un geste, un poème, un accueil, une sol­i­dar­ité… On peut aus­si pester face à la nature saccagée, un édi­fice mal restau­ré, des vio­lences con­sid­érées comme tra­di­tions, des façons d’être général­isées racistes, sexistes…

Tu vois, mous­tach­es, un pays c’est tout ça.

En plus ça veut dire quoi “un pays” ?

Un : il peut représen­ter les ter­res d’un Etat, d’une nation.
Mais pas que…

Deux : Quand un ancien, ou un “paysan”, que du haut de tes mous­tach­es, tu qual­i­fies de “plouc” te demande “De quel pays tu es ?”, tu com­prends tout de suite pour­tant qu’il ne te demande pas si tu viens de France ou du Zim­bab­we, il demande “de quel coin de Turquie est tu ?” Quelle région, quel village.

Trois : Un pays est en effet aus­si bien un vil­lage, l’en­droit natal, qu’une large région. Cette région peut être définie par la géo­gra­phie comme la Mésopotamie entre l’E­uphrate et le Tigre, ou encore par l’é­conomie ou l’ac­tiv­ité prin­ci­pale qui serait, je ne sais pas moi, la pêche par exem­ple, ou le pét­role, tiens…

Qua­tre : Un pays peut être aus­si un con­cept féérique, mag­ique, légendaire…

Le plus beau pays du monde c’est la Turquie !”  Je suis sure qu’il y a des indi­ens qui dis­ent ça pour l’Inde, ou des français pour la France… Ca revient finale­ment au “Le plus beau pays du monde est le mien”.

Je pense que la paire de mous­tach­es et ceux qui sont capa­bles de me pon­dre la même phrase, vivent dans un pays qui joigne la pre­mière descrip­tion rigide à la dernière volatile. Mous­tach­es a du voy­ager entre Etat-nation, dra­peau et pays féérique. Il a donc bouclé la boucle. Rien d’é­ton­nant que son disque soit rayé.

Voy­agez mes enfants, voy­agez. Et ouvrez bien vos yeux, observez. Faites des ren­con­tres, écoutez, décou­vrez. Immergez-vous dans le quo­ti­di­en pour con­naitre les cul­tures. Que dit le proverbe turc ? “N’est pas sage celui qui vit le plus, mais celui qui voyage”.

Le plus beau pays du monde se trou­ve tout sim­ple­ment dans votre coeur. A vous de le fleurir, cul­tiv­er ses ter­res et réchauf­fer son ciel.


Je viens de recevoir un mes­sage de la part d’une jeune lec­trice. Je voudrais telle­ment partager ses paroles avec vous, que je les ajoute ici et je la serre très fort dans mes bras :

Chère madame, je m’ap­pelle Suzanne, j’ai lu votre arti­cle, j’ai 8 ans mon papa est Turque-Kurde, il me dit que tous les pays sont la terre et moi je trou­ve que ce qu’il dit est cor­rect. Et moi je pense que votre arti­cle est très juste. Je l’ai lu toute seule. J’ai aimé que vous par­liez à mous­tache mais je n’ar­rive pas à me dire qui c’est. Qui c’est ? Pour moi un pays c’est la sagesse. La sagesse c’est tourn­er sept fois la langue avant de dire quelque chose. Moi mon pays c’est la France et je veux qu’on arrête de dire que le plus beau pays est… voilà Güle Güle <3 
Suzanne.


Bonus :
On a dit beaux vil­lages ? En voilà quelques uns…

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Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…