Alors que les chaînes d’in­fos français­es ne par­lent plus de la Turquie que sous forme « d’in­crus­ta­tions » en bas d’écran, les radios et la presse écrite s’es­saient à l’analyse, et balbutient.
Et là, comme on pou­vait le prévoir, le copi­er coller d’in­for­ma­tions gou­verne­men­tales turques, véri­fié dans la tra­duc­tion de la presse pro AKP dans le meilleur des cas, dicte bien sou­vent l’écriture.

Même Libéra­tion n’y échappe pas, qui tente pour­tant de press-francaise-libe-1pren­dre un éclairage dif­férent, en par­tant d’Adiya­man, dont tout le monde par­le maintenant.

Nous com­men­tions déjà en août, l’alerte don­née par une com­mis­sion d’en­quête dili­gen­tée par le par­ti social libéral kémal­iste CHP sur ce sujet. L’ar­ti­cle de Libéra­tion, qui press-francaise-libe-1ressem­ble comme deux gouttes d’eau à toutes les enquêtes déjà livrées par la presse démoc­ra­tique turque, main­tenant sous forte cen­sure et men­aces, ne se con­tente pas de décrire cette local­ité turque à très forte pop­u­la­tion kurde, proche des cen­tres de Daech en Syrie, mais fait état de con­nivences qui auraient existé entre les com­bat­tants kur­des et les dji­hadistes… Et ce au détour d’une phrase, alors qu’à plusieurs repris­es, l’in­sis­tance est mise sur ce lieu « kurde » dont seraient orig­i­naires les auteurs soit dis­ant con­nus des atten­tats per­pétrés depuis juin.

Ce mélange des gen­res, entre infor­ma­tions offi­cielles des ser­vices du pre­mier Min­istre AKP, qui tente d’ac­créditer la piste Daech et elle seule, et des élé­ments d’en­quêtes qui ne sont pas nou­veaux n’aboutit qu’à un mot et un seul : Kurde.

C’est bien sim­ple, kurde PKK, kurde dji­hadiste, mais kurde ter­ror­iste… Et même si le jour­nal­iste veut « bien faire », en décrivant cette local­ité où se mêlent tous les trafics, toutes les con­nivences entre Daech et des dji­hadistes turques et kur­des, tous les recrute­ments dans des milieux de jeunes kur­des paumés et pau­vres, il doc­u­mente sans s’en ren­dre compte la « piste » du Pre­mier Min­istre Davu­to­glu qui fait point­er les accu­sa­tions vers l’E­tat islamique. Il ne prend aucune dis­tance dans les rac­cour­cis de son bil­let qui a été, n’en dou­tons pas partagé large­ment. Fort heureuse­ment, il laisse la pos­si­bil­ité ouverte qu’il y ait eu « manip­u­la­tions » de ser­vices turcs de l’E­tat profond.

Le Monde, lui titre sur « les atten­tats désen­clavent la ques­tion kurde », par­lant de fin de l’isole­ment de la com­posante kurde « légal­iste » (le HDP) et de la dif­fu­sion enfin à l’échelle de la Turquie des mas­sacres qui se déroulent à l’Est. La prise de con­science qu’un mou­ve­ment de société civile se ren­force autour de la ques­tion de la paix con­tre Erdo­gan com­mence à faire son chemin.

L’Ex­press con­sacre peu de titres, mais martèle la ver­sion offi­cielle sur Daech, fait part d’in­for­ma­tions déjà trou­vées dans d’autres médias, selon lesquelles Daech règlerait un con­tentieux avec le PKK sur des rap­proche­ments anciens… Encore cette his­toire insis­tante de con­nivences entre Daech et PKK. Rien n’est doc­u­men­té, tout cela est cité au détour d’une phrase, con­traire­ment à l’Obs, qui a pris le par­ti de con­damn­er le pou­voir, quel que soit le poseur de bombes.

Il reste bien ça et là des « com­men­ta­teurs » pour repren­dre la thèse de la presse Erdo­gan sur « les Kur­des qui se font sauter eux mêmes », mais le ridicule les amène à pré­cis­er très vite que « l’hy­pothèse sem­ble peu prob­a­ble ». Semons le doute, il en restera tou­jours quelque chose.

Comme cette lec­ture de presse a été ennuyeuse et fas­ti­dieuse, parce que telle­ment prévis­i­ble, je me suis rabat­tu sur les inter­views « d’in­tel­lectuel turcs » de pas­sage. Et là, j’ai lu un dis­cours qui con­vient telle­ment bien à une men­tal­ité fran­co française.…

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Les atten­tats d’Ankara divis­eraient la Turquie.… et cette oblig­a­tion de pren­dre le « par­ti kurde » deviendrait intolérable ! Voilà les mots qui sor­tent de la bouche d’in­tel­lectuels turcs en vis­ite ici.

Pour eux, la « ques­tion kurde », qui « divise le pays » depuis longtemps, trou­verait un parox­ysme dans la sit­u­a­tion actuelle et les élec­tions de novem­bre. Tout est dit comme si une grande part de la société turque était prise en otage entre les Kur­des et Erdo­gan et som­mée de choisir un camp.

Ces « intel­lectuels », dont on devine très vite les con­vic­tions kémal­istes pro­fondes, se com­por­tent comme la direc­tion du prin­ci­pal par­ti libéral, le CHP, en « obser­va­teurs » refu­sant de s’al­li­er à un « camp ou un autre ».

Cette vision gomme au pas­sage la nature pop­u­laire et de société civile des mou­ve­ments et mobil­i­sa­tions pour la paix et la démoc­ra­tie, et sa com­po­si­tion très en mosaïque fédérant les oppo­si­tions, surtout à gauche. Elle insiste aus­si sur la ques­tion kurde en la posant en per­ma­nence comme « un prob­lème de tou­jours », en refu­sant de voir qu’elle s’est élargie à d’autres dis­crim­i­na­tions, d’autres minorités. Bref, c’est l’analyse clas­sique des trois com­posantes turques soudaine­ment empêchées d’in­sti­tu­tion­nalis­er en rond par l’ir­rup­tion d’une com­posante de gauche démoc­ra­tique qual­i­fiée de « source de divi­sion ». Fort heureuse­ment on sait qu’en Turquie, les mil­i­tants et électeurs du CHP n’ont pas atten­dus les atten­tats d’Ankara pour rejoin­dre l’op­po­si­tion civile à la guerre, ni les belles analy­ses kémal­istes sur l’u­nité nationale de la Turquie con­tre les dan­gers séparatistes.

Finale­ment, ces intel­lectuels font bon ménage avec nos Char­lie socialistes.

Mais atten­tion, ils se qual­i­fient cepen­dant eux mêmes comme de « farouch­es opposants », ce qui leur donne ouver­ture de portes et oreilles atten­tives dans une cer­taine presse à gauche… à des kémal­istes de fait à droite.

Le prisme de Char­lie sem­ble quand même bien présent encore dans la tête de nos « spé­cial­istes » dans la presse française.

Sans états d’âme, les ques­tions d’u­nité nationale et de ter­ror­isme sont maniées en même temps qu’une insis­tance très forte sur les appel­la­tions « kur­des » et « pro kur­des »  comme si l’op­po­si­tion de la société civile n’avait pas de socle pop­u­laire au delà de ces seules bases. Le dis­cours donc, des intel­lectuels kémal­istes, con­vient très bien à ce sché­ma de pen­sée. Ce dis­cours là gomme égale­ment deux autres réal­ités, Kobane d’un côté, et la guerre ouverte con­tre les civils à l’Est.

Par con­tre Samim Akgönül à qui imprudem­ment on avait don­né la parole sur BFM Tv et ailleurs, a dis­paru des écrans. Poli­to­logue au CNRS peut être, mais avant tout excel­lent obser­va­teur et cri­tique de son pays d’o­rig­ine, son dis­cours n’a pas du paraître, com­ment dire… suff­isam­ment Charlie.

Il reste à espér­er que ces élec­tions, et surtout ceux qui se ren­dront aux urnes, cette fois sondage grandeur réelle, mar­queront le début de la fin de ces divi­sions qui n’ont cer­taine­ment pas atten­du le PKK pour mar­quer la société civile turque, puisqu’elles ont été opérées par le par­ti au pou­voir, qui en a fait son mode de gou­verne­ment. Ces élec­tions à haut risque, si elles ne résoudront rien, vont avoir valeur de “référen­dum” avant tout.

Puisqu’on par­le d’in­tel­lectuels, je vous con­seille de lire le bil­let très doc­u­men­té d’Er­wan Kerivel,publié sur Kedis­tan, qui pose tout autrement les équa­tions pour la Turquie.

Et pour toutes celles et tous ceux qui voudraient con­tin­uer à don­ner de la réal­ité l’idée sim­ple d’un affron­te­ment Turques/Kurdes sur l’u­nité du Pays, je con­seille de sim­ple­ment con­sul­ter cette paru­tion, qui a elle seule, en dit plus long sur la con­ver­gence d’Ankara que cent dis­cours. Qui était réelle­ment là pour se dress­er con­tre le régime assas­sin d’Er­do­gan ?  Une con­ver­gence démoc­ra­tique de la société civile.

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…