La chaîne de télévi­sion améri­caine CBS a pub­lié un reportage sur les enfants syriens exploités à Istan­bul. Plusieurs ate­liers et entre­pris­es ont été repérées assez facile­ment par les jour­nal­istes, car il devient presque impos­si­ble de ne pas tomber sur des entre­pris­es qui n’exploitent pas ce filon de main d’oeuvre bon marché. La majorité de ces endroits font tra­vailler de dizaines d’enfants syriens cer­tains d’à peine 10 ans.

Dans l’atelier de tex­tiles situé dans la cave d’un immeu­ble où le CBS a pu accéder pour filmer en caméra cachée, le per­son­nel est inté­grale­ment con­sti­tué d’en­fants syriens.

[Désolée, vidéo supprimée depuis…]

Ces enfants sont certes sauvés des griffes de la guerre, mais se trou­vent dans les entrailles de l’exploitation qui n’est autre chose qu’un esclavagisme con­tem­po­rain. Selon le jour­nal quo­ti­di­en Cumhuriyet, par­mi les plus de 2 mil­lions de syriens qui se trou­vent en Turquie, la plu­part des familles se trou­vent dans l’obligation de faire tra­vailler leurs enfants pour survivre.

Par exem­ple Hüseyin Ömer affirme dans le doc­u­men­taire, tra­vailler pour épauler sa famille de 9 per­son­nes, 6 jours dans la semaine et 12h par jour, pour un salaire heb­do­madaire de 22€. (Pour com­para­i­son, en Turquie, le revenu min­i­mum est de 278€/mois = 69€/semaine )

Hüseyin, tra­vaille dans un super­marché à la vente des légumes. L’enfant explique qu’il avait pu aller à l’école pen­dant un an, avant le début de la guerre, et qu’ils ont fui de Syrie l’année dernière.


The Guardian pub­li­ait déjà en sep­tem­bre 2014 un reportage sur les “tra­vailleurs-enfants-syriens”. Hamza, a 7 ans, est l’ainé d’une fratrie de 3 . Il tra­vaille pour une bri­que­terie à Antakya, 12h par jour. Il s’ex­prime “Je veux aller à l’é­cole… j’aime l’é­cole vrai­ment. Mais ma mère ne va pas m’in­scrire parce qu’il faut que je tra­vaille. Mon père a été blessé et il ne peux pas tra­vailler. En Turquie la vie est très chère”.

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Der Spiegel avait égale­ment pub­lié en 2014, un arti­cle illus­tré des pho­tos des enfants-tra­vailleurs syriens à Urfa, dans l’Est de Turquie.
(pho­tos : Ulas Yunus)

Aziz Kadir, 12 ans, tra­vaille dans une entre­prise de répa­ra­tion de l’équipement agri­cole. Il gagne 7* par semaine. Il voudrait retourn­er à l’école à Kobane où il vivait.

 

Fer­zad Habesi, 14 ans, dans un restau­rant de Lah­ma­cun (Turk­ish tra­di­tion­al pita) à Suruc. Il gagne 1,7€ par semaine. Il voudrait beau­coup retourn­er à son école en Syrie.

 

Mahir Mustafa, 14 ans, plongeur dans un restau­rant à Suruç. Il tra­vaille entre 7 à 12h par jour et gagne 7€ par semaine. Mahir veut aller à l’université pour faire des études de pharmacologie.

 

Mustafa Aziz, 12 ans, tra­vaille chez un coif­feur à Suruç, 5, 8h/j, pour un salaire jour­nalier de 3,5€. Il a 10 soeur et frères. Son père avait une garage auto qu’il a aban­don­né fuyant son pays. Mustafa voudrait que Daesh s’en aille pour retourn­er chez lui et repren­dre sa scolarité.

 

Hamude Karhu, 11ans, mag­a­sin de vête­ments à Suruç. : 7 €/semaine. Son père, ingénieur en bâti­ment est sans emploi. Les 3 frères de Hamude, tra­vail­lent également.

Il est dif­fi­cile de trou­ver des chiffres. Ceux de 2014 annon­cent que pour 1 mil­lions de réfugiés syriens se trou­vant en Turquie (aujour­d’hui, 2 mil­lions, voire plus…) la moitié sont des enfants. 60% des enfants logés dans des camps de réfugiés sont inscrits à l’école, quant à ceux qui sont dehors, 73% ne vont pas à l’école. L’u­nicef esti­mait à son tour en fin 2014,  qu’un enfant syrien sur 10, tra­vail­lait. Au début c’é­tait plutôt les garçons qui tra­vail­laient, mais le nom­bre de filles mis­es au tra­vail aug­menterait sensiblement.

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Imen a 13 ans. Elle tra­vaille debout 7h/jour, dans un ate­lier de cou­ture, comme son père. Elle a 3 frères et soeurs. Elle gagne 176€ mensuel.

Non seule­ment les con­trôles de l’ex­ploita­tion des enfants sont qua­si inex­is­tants, mais les démarch­es admin­is­tra­tives pour une quel­conque demande de con­trôle ou plainte ne sont pas organ­isées. Il est donc très rare de voir des entre­pris­es recevoir une quel­conque amende, ou être condamnée.

Beau­coup d’ou­vri­ers en général, tra­vail­lent dans des con­di­tions de sécu­rité absol­u­ment exécrables,  et les acci­dents de tra­vail sont très fréquents. (1800 morts en 2014 avec 50% par rap­port à 2013). La Turquie vit pleine­ment son sys­tème économique néo libéral. Le pre­miers frap­pés sont les tra­vailleurs sans qual­i­fi­ca­tion, la main d’oeu­vre bon marché, les “facile­ment rem­plaçables” et bien sûr les réfugiés syriens, adultes et enfants faisant par­tie de ce groupe. Il n’est pas dif­fi­cile d’avoir toutes les craintes pour la vie et la san­té des travailleurs/réfugiés enfants.

D’ailleurs, en juil­let 2015, Dr.Ergün Demir et Dr.Yücel Demi­ral pub­li­aient un rap­port sur les enfants exploités dans le cité des fab­ri­cants de chaus­sures à Izmir, Işıkkent. Ce rap­port de médecins dénonçait les con­di­tions de tra­vail de nom­breux réfugiés adultes et enfants dans les ate­liers et l’utilisation de colles tox­iques qui provo­quaient des mal­adies graves, notam­ment des polyneuropathies.

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Kedis­tan avait par­lé dans un arti­cle récent des con­di­tions dif­fi­ciles con­cer­nant les femmes syri­ennes, sys­té­ma­tique­ment vic­times d’agressions dans leur lieu de tra­vail, ain­si que des réseaux de pros­ti­tu­tion : Femme et réfugiée : dou­ble dis­crim­i­na­tion ! Un autre arti­cle relayait un reportage avec une jeune fille syri­enne qui racon­tait son quo­ti­di­en, illus­trant la réal­ité autour des 22 camps de réfugiés, situés dans dif­férentes villes de Turquie : Ces syriens mis­éreux qui défig­urent nos villes.

Les syriens venant se réfugi­er en Turquie espèrent trou­ver des con­di­tions de vie plus décentes, mais com­pren­nent très vite l’impossibilité de cet espoir. Une par­tie des réfugiés déci­dent donc de quit­ter la Turquie et ten­tent le pas­sage vers l’Europe mal­gré les dan­gers, en met­tant tout leur bien en jeu, afin d’offrir une vie meilleure à leurs enfants quitte à per­dre la vie sur le chemin.

Quand on entend ici les dis­cours de doctes per­son­nes, sur l’ex­ode de réfugiés qui devraient rester pour la recon­struc­tion future de leur pays, ou ne pas trop s’en éloign­er, on peut mesur­er le degré d’ig­no­rance et de cynisme que ces pro­pos con­ti­en­nent. Quand à “dénon­cer” l’ac­cueil en Alle­magne comme un effet d’aubaine pour la main d’oeu­vre, com­ment reprocher à des familles de vouloir pour­tant la rejoin­dre, sim­ple­ment pour que leurs enfants n’aient plus à trimer ?

C’est par­fois même là où on s’at­tendrait à trou­ver des alliés que l’hypocrisie est la plus forte.

Quand on ne veut pas pren­dre en con­sid­éra­tion une ques­tion qui dérange tant et qui deman­derait de s’élever en con­tre la xéno­pho­bie, l’é­goïsme social et le racisme latent, tous les pré­textes sont bons à pren­dre, y com­pris sa pro­pre igno­rance des sujets.

Ce bil­let tente d’y remédi­er à sa manière, espérons qu’il trou­ve sa place, pour que cette ques­tion des réfugiés syriens en Turquie ne soit pas que de sim­ples chiffres sans chair ni sang.


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.