Ahmet Davu­toğlu, le pre­mier Min­istre de la Turquie, veut sauver l’Eu­rope du chô­mage, et pour cela il pro­pose des emplois. Si vous êtes deman­deur d’emploi, ne ratez pas cette occasion. 

Voici quelques extraits de son dis­cours adressé aux ressor­tis­sants turcs de Zurich, lors du « Ren­con­tre suisse », le 23 jan­vi­er  2015. Amusez-vous bien!

Ahmet Davu­toğlu a souligné qu’il a marché avec les lead­ers mon­di­aux con­tre l’attaque ter­ror­iste à Paris, pour mon­tr­er que per­son­ne ne peut soutenir “le ter­ror­isme islamiste” au nom des musul­mans d’Europe, voilà ce qu’il a déclaré :

L’islam est la reli­gion fon­da­men­tale de l’Europe et elle la restera. Les sons de l’appel à la prière, les mosquées éparpil­lés en con­fet­tis un peu partout en Europe, ont été apportés par des gens courageux venus d’une région qui va de l’Andalousie à l’Empire Ottoman. Ils seront pro­tégés et nous allons nous bat­tre con­tre ceux qui essayent de les détruire. 

 Une vision impéri­al­iste et colonisatrice héritée de l’Em­pire Ottoman…

Je salue nos ressor­tis­sants et leur enfants. Ce sont de saintes per­son­nes qui ont semé cette graine [l’is­lam]. Avec la volon­té d’Allah, cette graine s’élèvera comme le pla­tane de la Jus­tice. Per­son­ne ne pour­ra empêch­er cela. 

Mal­gré tous les embuch­es, les préjugés, les provo­ca­tions, la Turquie est décidée à marcher sur la route qui va vers l’Union Européenne. Savez-vous pourquoi ?

D’une part parce que l’Europe sans la Turquie n’est pas com­plète et d’autre part parce que nous allons con­tin­uer pour vous. Parce que nous avons des frères et des soeurs qui représen­tent ici, notre cul­ture, nos tra­di­tions, notre langue et notre reli­gion, parce qu’en Europe il y a 48 mil­lions de musul­mans, la Turquie fera par­tie de l’Europe. Nous allons entr­er dans l’Union Européenne. Nous n’allons pas sup­pli­er, ni mendi­er, nous n’allons pas atten­dre des priv­ilèges. Nous allons y entr­er, la tête haute et avec honneur. 

Quand nous sommes arrivés au pou­voir en 2002, ils dis­aient à voix basse, en mur­mu­rant et par­fois en cri­ant : “La Turquie est trop pau­vre, trop faible pour entr­er dans l’Europe. Si on la prend, elle sera un poids. Il va fal­loir injecter des mil­liards d’Euros d’aide.”

Grace à Allah, sans leur aide, sans rien leur deman­der, nous sommes arrivés là où nous sommes. Le pays qu’ils traitaient de pau­vre [est-ce une insulte ?] est aujourd’hui une force mon­di­ale ascen­dante, qui pré­side le G‑20. Nous y sommes arrivés avec notre sueur, tous seuls, sans réclamer des mil­liards d’aide comme les autres pays. Nous y sommes arrivés grâce aux impôts que notre peu­ple a payé sur son tra­vail hon­nête. Qu’Al­lah nous pro­tège de la honte, qu’il nous garde de la néces­sité de deman­der de l’aide. Nous savons tous quel genre de courbettes ont été faites dans le passé, pour 1 mil­lions de dol­lars. Mais main­tenant ce n’est plus pareil.

Cepen­dant L’Eu­rope annonce 902,9 mil­lions d’eu­ros de dota­tion pour la Turquie rien que pour 2013…

Les mêmes per­son­nes dis­ent main­tenant que la Turquie est trop forte pour entr­er dans l’Europe, que si elle en fait par­tie, sa présence chang­era le car­ac­tère de l’Europe. Ils ont peur que le quart du par­lement européen soit turc. 

L’ar­gu­ment est caduque car au Par­lement Européen, tout comme dans tout autre par­lement, les groupes ne se fondent pas sur une iden­tité cul­turelle, mais sur les idées. 

Ain­si, le CHP turc, par exem­ple, mem­bre de l’in­ter­na­tionale social­iste, rejoindrait le groupe social­iste au Par­lement Européen. L’AKP, les con­ser­va­teurs. Les Verts Turcs (Yeşiller), les verts européens. Le TKP, Par­ti Com­mu­niste turc, les com­mu­nistes européens. Ain­si de suite…

Je le pré­cise encore une fois ici, si l’Europe devient un jour un pou­voir mon­di­al, elle le sera grâce à la présence de la Turquie. Si l’économie européenne sort de la crise, ce sera grâce à la force d’entreprendre de la Turquie et à sa pop­u­la­tion dynamique.

Nous ne sommes pas un poids pour l’Europe. Pour l’Europe, la Turquie est un remède. Un remède con­tre la mal­adie du racisme, un remède pour l’économie stag­nante, et un remède qui ramèn­era la force de l’Europe. 

Davu­toğlu a rap­pelé que dans les années passées la Turquie avait besoin des devis­es envoyées par les ressor­tis­sants turcs en Europe :

Dans les années 70, si vos pères, vos grand pères n’avaient pas envoyé des devis­es au pays, l’économie de la Turquie se serait arrêtée. Nous en avions besoin. Aujourd’hui, alors que l’Europe est déchirée par le chô­mage, nous avons la Turquie a pu créer 1,5 mil­lions d’emplois nou­veaux. Depuis 2008, en pleine crise, la Turquie a créé 6 mil­lions d’emplois et a bat­tu un record mon­di­al. Aujourd’hui la péri­ode des dif­fi­cultés est ter­minée. Si les européens ont besoin de tra­vail, il y a une Turquie source d’emplois, avec une grande porte à laque­lle ils peu­vent frapper.

A écouter ce dis­cours, tant mieux si les ressor­tis­sants turcs de Zurich sont par­tis ras­surés et fiers. 

Mais les chiffes dis­ent autre chose. En Suisse le chô­mage était de 3,4% en décem­bre 2014. Le plus haut taux de chô­mage jamais vu en Suisse est de 5,4%. Rap­pelons égale­ment que la Suisse n’est pas mem­bre de l’UE. L’endroit pour faire un tel appel est donc un peu mal­adroite­ment choisi, mais passons… 

Si nous prenons en compte les taux de chô­mage des pays mem­bres de l’Union Européenne, tout en inté­grant les pays en dif­fi­cultés avec des taux de chô­mage très impor­tants comme la Grèce et l’Espagne, l’Europe affiche un taux de chô­mage de 10% (octo­bre 2014). Quant à la Turquie les chiffres don­nent 10,4% de chômage. 

En Turquie le chô­mage touche beau­coup de jeunes. Selon TUIK (Insi­tut offi­ciel des sta­tis­tiques en Turquie), le chô­mage chez les jeunes de 15–24 ans est de 19,1%. 

En décem­bre 2014, Le nom­bre de chômeurs turcs en recherche de tra­vail était de 3,64 mil­lions aux­quels s’a­joutent env­i­ron 3 mil­lions de chômeurs dés­espérés qui ne cherchent plus ou pas encore de travail. 

Mais vis­i­ble­ment nar­guer l’Europe est plus impor­tant pour Davu­toğlu que de s’oc­cu­per des chômeurs de son pays.

Par ailleurs, on ne com­prend pas très bien à qui s’adresse cet appel.

Les européens (excep­tés les bi-nationaux) actuelle­ment sur place, expri­ment leur inquié­tude devant le fait que l’obtention et le renou­velle­ment des per­mis de tra­vail devi­enne de plus en plus difficile.

Faut-il encore que ceux qui n’ont pas peur de se bagar­rer avec les admin­is­tra­tions turques, veuil­lent tra­vailler et vivre dans un pays où le SMIC est env­i­ron de 315€, et où la vie est très chère, surtout dans les grandes villes, notam­ment les loyers.

Les con­di­tions de tra­vail, le sys­tème de sous-trai­tance sauvage, les raque­ttes, le tra­vail dis­simulé, le manque de sécu­rité au tra­vail, sont régulière­ment mis à jour en Turquie à tra­vers des acci­dents ou de cas de corruption.

Il est dif­fi­cile d’imaginer ce qui attir­erait pro­fes­sion­nelle­ment, les chercheurs d’emploi européens en Turquie, à moins de tomber amoureux du pays, de son peu­ple ou d’une jolie personne.

L’entrée de la Turquie dans L’Union Européenne est donc en effet très logique. 

Elle en fait par­tie depuis longtemps car elle réu­nit aisé­ment tous les élé­ments qui font d’un pays un « bon mem­bre » de l’Europe actuelle : le chô­mage, la pré­car­ité, la décom­po­si­tion des droits des salariés, la pri­vati­sa­tion des ser­vices publics, des méth­odes de pro­duc­tion qui dévas­tent la vie et l’environnement, la com­péti­tion entre les indi­vidus, le patri­ar­cat, le sex­isme, la xéno­pho­bie et la racisme, des relents nation­al­istes et iden­ti­taires fas­cisants, saupoudrés de la rad­i­cal­i­sa­tion religieuse…

J’e­spère que vous ne m’en voudrez pas si je mets cet arti­cle dans la rubrique “humour”.

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Lila Montana
REDACTION | Journaliste
Voyageuse, pho­tographe, jour­nal­iste. Lib­er­taire, fémin­iste, activiste têtue et déterminée.
Trav­eller, pho­tog­ra­ph­er, jour­nal­ist. Lib­er­tar­i­an, fem­i­nist, stub­born and deter­mined activist.