On se sou­vient encore aujour­d’hui de cette for­mule du “détail” qui, pronon­cée en 1987 par le co-fon­da­teur du Front Nation­al Jean Marie Le Pen, fut réitérée jusqu’en 2009 par le même, au gré des besoins et cir­con­stances poli­tiques. Le père gégène fut d’ailleurs con­damné en 1988 “pour banal­i­sa­tion de crimes con­tre l’hu­man­ité et con­sen­te­ment à l’hor­ri­ble”. La petite his­toire dit que ce sujet fig­ure dans les motifs qui con­duisirent à la sépa­ra­tion poli­tique entre père et fille Le Pen, Marine demeu­rant ensuite seule à bord du “front”, devenu rassem­ble­ment, sous sa direction.

Le “point de détail” se rat­tache donc au courant anti­sémite néga­tion­niste min­imisant la Shoah et prin­ci­pale­ment la “solu­tion finale” et les cham­bres à gaz qui en furent l’in­stru­ment à grande échelle, après les tueries par balle. Quelques ouvrages par­ti­c­ulière­ment néga­tion­istes cir­cu­lent encore à l’ex­trême droite sur le sujet et ser­vent tou­jours de référence aux courants supré­macistes iden­ti­taires ou néo nazis.

Quand on s’in­téresse de près aux rela­tions qu’ont néan­moins entretenues l’ex­trême droite française et Israël, on peut pour­tant être étonnés.

Le même Jean Marie Le Pen, en 1987, par­ticipe “en même temps” au Con­grès juif mon­di­al à New York, où il est ova­tion­né pour ses pris­es de posi­tion en faveur de l’E­tat d’Is­raël. C’est alors la pre­mière Intifa­da en Pales­tine à ce moment, rap­pelons-le. Le même Le Pen père, alors qu’il pré­pare une can­di­da­ture élec­torale pour 1988, reçoit les faveurs de Don­ald Rea­gan, pour la ténac­ité de son com­bat anti­com­mu­niste et libéral. Il fera amende hon­or­able sur le “détail” en 1995, puis en 1997 repris le terme dans une déc­la­ra­tion à Munich auprès de néon­azis notoires. Ain­si, au gré des can­di­da­tures élec­torales, il pra­ti­qua ce “en même temps”, rap­proche­ment avec l’E­tat d’Is­raël et clins d’oeil vers les anti­sémites français et européens, que ce soit au sein du par­ti ou en dehors.

Il n’y a donc pas lieu de s’é­ton­ner que la descen­dance, le rassem­ble­ment nation­al actuel, ait défilé con­tre l’an­tisémitisme à Paris et que cela ait été accep­té et approu­vé par les organ­i­sa­tions de la com­mu­nauté juive en France. L’ex­trême droite étant actuelle­ment encore au pou­voir en Israël, on peut penser légitime­ment que ce sou­tien est idéologique et pas seule­ment de cir­con­stances. Le cli­mat poli­tique français se prê­tant à toutes les évo­lu­tions vers l’ex­trême droite, pour grande par­tie presse et médias inclus, on com­prend pourquoi le sou­tien intan­gi­ble à Israël est omniprésent et influ­ence con­sid­érable­ment la diplo­matie française, hors de ses posi­tions tra­di­tion­nelles et historiques.

Il est égale­ment utile de rap­pel­er que, en France, con­cer­nant la con­damna­tion claire par la jus­tice de l’an­tisémitisme, il faut atten­dre la Loi n° 90–615 du 13 juil­let 1990 ten­dant à réprimer tout acte raciste, anti­sémite ou xéno­phobe. Le Front Nation­al et une par­tie de la droite française la con­tes­ta alors au nom de la “lib­erté d’ex­pres­sion”. Il faut atten­dre tout autant juil­let 1995, pour qu’un Prési­dent français recon­naisse la respon­s­abil­ité de l’E­tat, de sa police et de son admin­is­tra­tion vichyste, dans les rafles de juifs et leur dépor­ta­tion vers les camps de la mort, les 16 et 17 juil­let 1942. Sous les huées là encore de tous les nos­tal­giques de Pétain et de la collaboration.

Il me parais­sait impor­tant, avant de pour­suiv­re, de rap­pel­er ce qui ne sont pas des détails de l’his­toire, mais des courants idéologiques de fond qui la traversent.

Revenons donc au 7 octo­bre 2023.

En Israël même, les mas­sacres ont été présen­tés comme “deux­ième Shoah” et, dans le monde, com­parés à un “11 sep­tem­bre”. Les représen­tants des Etats Unis ont même déclaré à chaud au pre­mier min­istre du gou­verne­ment d’ex­trême droite israélien que la riposte devait tenir compte des “erreurs” com­mis­es après l’at­ten­tat con­tre les tours jumelles.

Mais, NON, les mas­sacres du 7 octo­bre ne sont pas une deux­ième Shoah.

Et j’ose écrire qu’ils devi­en­nent un “détail”, certes extrême­ment impor­tant, dans l’his­toire qui va des années 1940 à 2024, pour cette par­tie du Moyen-Orient.

Oubli­er l’épu­ra­tion eth­nique que con­sti­tua la Nak­ba, en 1948, où 750 000 arabes pales­tiniens, sur les 900 000 sous con­trôle israélien, furent chas­sés de leurs ter­res et vil­lages, serait ne pas com­pren­dre qui sont les quelques mil­lions de descen­dants de ces pop­u­la­tions pales­tini­ennes réfugiées et mar­quées à vie d’au­jour­d’hui. La créa­tion par cette épu­ra­tion eth­nique de l’E­tat d’Is­raël n’est pas un “détail” anodin dans la région. Il a mar­qué au fer rouge les Pales­tiniens sur plusieurs généra­tions, comme le 7 octo­bre 2023 mar­que l’opin­ion israéli­enne dans son désir de vengeance en ce moment. Et, en 1948,  il s’ag­it déjà de l’op­po­si­tion de deux nation­al­ismes sur une même terre, instru­men­tal­isant des peuples.

La guerre civile écla­ta fin 1947, à la suite d’une déci­sion remise entre les mains des Nations Unies de partager la Pales­tine en trois entités, une juive, une arabe, et Jerusalem et Beth­léem sous con­trôle inter­na­tion­al. C’est dans ces moments que se pro­duisit la Nakba.

Et com­ment oubli­er, entre autres, le mas­sacre de Deir Yassin, à l’ouest de Jérusalem, per­pétré par 120 com­bat­tants israéliens. Les his­to­riens éval­u­ent aujour­d’hui le nom­bre de tués autour de 100 mais à l’époque, la presse rap­por­tait le nom­bre de 254 vic­times. L’ef­froi que devait répan­dre l’an­nonce du mas­sacre peut la faire qual­i­fi­er d’at­taque ter­ror­iste. Elle con­tribua au “suc­cès” de la Nak­ba. Peut-on en qual­i­fi­er pour autant les auteurs de ter­ror­istes ?

Loin de moi l’idée de dérouler la péri­ode de 1948 à nos jours, et de faire défil­er les “mas­sacres”, les guer­res, les exodes, la coloni­sa­tion des ter­res restantes de Pales­tine par l’E­tat d’Is­raël con­sti­tué, les réso­lu­tions de l’ONU restées let­tres mortes, les “attaques” et les “repré­sailles”, à Gaza, au Liban et Cisjor­danie, la résis­tance pales­tini­enne et son his­toire longue et diverse sur le plan poli­tique et militaire.…

Sur la Nak­ba, il existe, entre autres, un excel­lent livre qui va être réédité, alors que l’ex­trême droite française voulait le faire dis­paraître chez son édi­teur d’o­rig­ine, passé aux mains d’un cer­tain Bol­loré. Ce livre c’est  “Le net­toy­age eth­nique de la Pales­tine” par Ilan Pap­pé, his­to­rien israélien. Il sera disponible à nou­veau grâce aux édi­tions “La Fab­rique”, en 2024.

La nais­sance poli­tique de la résis­tance pales­tini­enne se fraya un chemin entre les guer­res israé­lo arabes pour trou­ver une autonomie et recevoir sou­tien et recon­nais­sance des pop­u­la­tions. La ques­tion des déplace­ments for­cés fut pri­mor­diale et c’est dans les regroupe­ments durables de réfugiés que la résis­tance trou­va logique­ment ses com­bat­tants, plus facile­ment d’ailleurs que dans les ter­ri­toires pales­tiniens occupés et colonisés, soumis à dure répression.

Pour avoir côtoyé, en 1972, à l’U­ni­ver­sité de Tours, des étu­di­ants pales­tiniens alors mem­bres de l’OLP, au moment des atten­tats de Munich, je peux témoign­er des débats que nous avions alors dans l’ex­trême gauche française avec eux, devant l’ar­rivée d’un courant prô­nant les actions spec­tac­u­laires et les atten­tats ciblés, voire aveu­gles, pour remet­tre la cause pales­tini­enne déjà trahie par les direc­tions arabes, au devant de la scène. Ces ami.es et cama­rades étaient d’ailleurs des militant.es poli­tiques laïcs très cri­tiques sur ces pra­tiques. Ils ont tous dis­parus aujour­d’hui, liq­uidés au sein de leurs mou­ve­ments au fil de leurs évo­lu­tions poli­tiques, avec l’in­flu­ence crois­sante de l’is­lamisme, facil­ité par les choix libéraux et stratégiques des USA, guerre froide oblige. Il ne faut jamais oubli­er le sou­tien apporté aux religieux par la puis­sance améri­caine, y com­pris les choix faits en Irak entre le camp sun­nite et chi­ite, pour com­pren­dre. L’E­tat d’Is­raël a tou­jours joué un rôle de proxy dans cette poli­tique, jusque même avant le 7 octo­bre. Le finance­ment du Hamas à Gaza ne sor­tait pas de nulle part et était même revendiqué par le pre­mier min­istre israélien ouverte­ment en 2019, pour “ruin­er les chances d’un pos­si­ble Etat pales­tinien”.

Je ne peux dévelop­per dans un arti­cle l’his­toire de la résis­tance pales­tini­enne, soumise aux soubre­sauts poli­tiques, aux guer­res menées par Israël, à sa poli­tique d’oc­cu­pa­tion et de coloni­sa­tion, à ses ten­ta­tives d’in­vis­i­bilis­er la ques­tion pales­tini­enne avec l’aide des Etats arabes, après l’échec des accords d’Oslo et l’as­sas­si­nat du seul dirigeant israélien qui avait cru à une solu­tion de paix comme seule garantie de sécu­rité défini­tive pour les Israéliens…

La direc­tion pales­tini­enne en par­tie recon­nue a, dans cette poli­tique, évolué elle aus­si vers la cor­rup­tion et la col­lab­o­ra­tion sécu­ri­taire avec l’E­tat israélien, et cela s’est traduit en 2016 par sa défaite à Gaza au prof­it du Hamas. L’ac­céléra­tion des implan­ta­tions de colons rad­i­caux dans les ter­ri­toires occupés et une poli­tique d’emprisonnements sys­té­ma­tiques et de répres­sion en Cisjor­danie  a con­tin­ué à ten­dre la sit­u­a­tion et à don­ner la prime aux plus rad­i­caux. Référez vous à la décen­nie écoulée.

Le 7 octo­bre 2023 éclate alors comme une bombe dans ce con­texte, et ce d’au­tant que la poli­tique sécu­ri­taire du gou­verne­ment d’ex­trême droite israélien a ten­du à faire oubli­er le con­flit avec les Pales­tiniens, relégués der­rière les murs, au prof­it d’une coloni­sa­tion accrue, apartheid et épu­ra­tion eth­nique, y com­pris à Jerusalem Est. Plus d’un mil­li­er de morts civiles en 24h, la sécu­rité désor­gan­isée, Tsa­hal pris de court, des otages enlevés, la fail­lite poli­tique est fla­grante, alors même que les pop­u­la­tions israéli­ennes con­tes­taient déjà les évo­lu­tions cri­tiques du régime vers l’ex­trême droite, y com­pris religieuse.

Les suites don­nées aux mas­sacres com­mis le 7 octo­bre par le Hamas par le gou­verne­ment israélien, soutenues par des alliés inter­na­tionaux trans­for­ment la réal­ité, brouille tous les repères et font d’un événe­ment mar­quant à son tour un “détail” dans la suite des autres et la façon dont le régime va les instru­men­talis­er. C’est le régime israélien d’ex­trême droite lui-même qui va opér­er la trans­for­ma­tion d’un mas­sacre en élé­ment fon­da­teur d’une guerre aux accents géno­cidaires, pour en finir avec les Pales­tiniens. Ce qui pou­vait être un sanglant éveil des con­sciences, une remise au pre­mier plan de la néces­sité impérieuse d’un plan de paix, à mille lieux d’un “détail”, est devenu un spec­tre agité par la pro­pa­gande où les vic­times devi­en­nent des pré­textes à tueries supplémentaires.

Les vic­times du 7 octo­bre devi­en­nent une exhi­bi­tion de corps et d’im­ages, un objet de pro­pa­gande des­tiné à attis­er les haines et légitimer une vengeance, à peine cachée par la reven­di­ca­tion d’un “droit à se défendre”. Au choc sécu­ri­taire s’a­joute le choc des hor­reurs ressas­sées, dev­enues cir­cuit obligé pour la presse. Il devient très vite impos­si­ble d’avoir une vue exacte des mas­sacres, tant men­songes ouverts, et dis­sim­u­la­tion des vic­times faites par la riposte mus­clée de Tsa­hal, sont légions. Même la presse dite de gauche en Israël ne peut résis­ter au rouleau com­presseur de la pro­pa­gande, très rapi­de­ment prise en main. Et lorsqu’elle le fait, elle est men­acée. Ain­si monte d’abord un sen­ti­ment de haine qui sub­merge toutes les couch­es de la pop­u­la­tion israéli­enne, déjà sidérée par l’at­taque. “Le droit de se défendre”, accordé d’habi­tude aux vic­times d’une occu­pa­tion, devient “droit à la guerre et à la vengeance”, accom­pa­g­né d’un défer­lement pro­pa­gan­diste de Tsa­hal. Les fils et filles d’Is­raël sont légitimes désor­mais à mas­sacr­er à leur tour du Pales­tinien, selon le cab­i­net de guerre. “Qu’un sang impur…”.

Et, pour répon­dre à un argu­ment récur­rent qui con­siste à com­par­er en chiffres l’im­pact du 7 octo­bre, en met­tant côte à côte les 9 mil­lions d’Is­raéliens et les 1200 vic­times, je ferai de même avec des chiffres encore bien pro­vi­soire pour Gaza, plus de 20 000 morts pour 2 mil­lions et demi de per­son­nes. Out­re le fait qu’ils s’ag­it là de vies humaines, d’his­toire et de tra­jec­toires per­son­nelles, cette immonde sta­tis­tique cache qu’à Gaza, ces vies étaient celles de mil­liers d’en­fants, broyés par des bombes. Un immense détail que les suites de cette His­toire géno­cidaire ne pour­ra ignorer.

Sous nos yeux, devant notre impuis­sance, sauf à “pro­test­er”, “Droit de la guerre”, “Crimes de guerre”, “Droit humanitaire”,“Crimes con­tre l’hu­man­ité”, “Géno­cide”, tout est con­testé, nié, rel­a­tivisé. L’ex­trême droite israéli­enne qual­i­fie même d’an­tisémitisme tout ce qui pour­rait être réac­tion inter­na­tionale au mas­sacre en cours à Gaza. Tous ces “détails” pour le gou­verne­ment israélien font l’ob­jet de négationisme.

Et il y aurait bien d’autres “détails” dont il faudrait par­ler. Ces 4500 réservistes fran­co israéliens qui se sont pré­cip­ités pour aller “cass­er du Pales­tinien” en Israël par exem­ple. Seront-ils inquiétés, fichés, sur­veil­lés, comme celles et ceux qui sont allé.es com­bat­tre Daesh au Roja­va ? Ou con­sid­érés comme des héros “anti boug­noules” con­tem­po­rains ?  Charles Mar­tel ressuscité.

Les petits fils et petites filles des quelques rescapés de la Shoah racon­teront-ils dans les écoles et col­lèges leur “guerre” à Gaza ? J’ig­nore ce détail.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…