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Le ven­tre est encore fécond d’où a sur­gi la bête immonde”, écrivait Brecht. Cette phrase ter­mine une pièce “La résistible ascen­sion d’Arturo Ui”, qui ne fut jamais pub­liée ni jouée de son vivant, bien qu’il ait ten­té de le faire durant son exil aux Etats-Unis, de 1941 à 1947.

Bertold Brecht n’avait ni pub­lié ni mon­té ce texte, car il avait été cri­tiqué pour cette pièce écrite aux Etats-Unis, cette parabole sur le fas­cisme, par le mou­ve­ment com­mu­niste très stal­in­ien de l’époque, et surtout par ses pairs “engagés”, pour avoir lais­sé place à l’idée de “total­i­tarismes”, en extrap­olant à par­tir d’un épisode du nazisme de 1941 et en le trans­posant dans le Chica­go des années 1930. Con­traint à aut­o­cri­tique par des cama­rades artistes, Brecht avait fini par expli­quer que sa pièce ne se voulait pas une expli­ca­tion du fas­cisme éten­due au “total­i­tarisme”. Il lui fut aus­si entre autres reproché de déroger aux règles du “réal­isme social­iste” par la RDA où il vécut jusqu’à sa mort en 1956.

Cette phrase, abon­dam­ment citée, a donc une his­toire par­ti­c­ulière, et cette his­toire, inscrite dans le con­texte des années 1950, nous autorise à l’emprunter pour, à notre tour, “extrapol­er” sur le ou les fas­cismes d’au­jour­d’hui, les iden­ti­fi­er comme tels ou utilis­er le voca­ble “total­i­tarisme”, diver­sion lan­gag­ière pour ne pas déranger “la bête”.

Etre anti-fasciste aujourd’hui a‑t-il un sens, “contre la bête” ?

Je pose la ques­tion volon­taire­ment de façon polémique, comme on pour­rait deman­der de la même manière si le terme de fas­cisme ain­si bran­di n’a pas un côté désuet et passe partout ?

Met­tons de côté les répons­es sur le thème “l’an­tifas­cisme est une tra­di­tion ouvrière, un fon­da­men­tal anar­chiste” à laque­lle on ne peut déroger. Car, en dehors d’avoir rem­pli une ligne sup­plé­men­taire, cela ne nous dit rien du com­bat à men­er, de la nature changeante de “la bête”, et, nous le savons, n’a jamais pro­tégé per­son­ne de ses pro­pres dérives poli­tiques. L’an­ti-fas­cisme “de tra­di­tion” est un oxymore.

On peut envis­ager aus­si cette façon de pro­cras­tin­er avec des titres comme “le fas­cisme qui vient”, qui évi­tent de décrire “la bête” à laque­lle on fait face, en ren­voy­ant au lende­main l’analyse de ses excré­ments. C’est autant pour éviter de pronon­cer un gros mot qu’ad­met­tre que “la bête” a des apti­tudes de caméléon pas tou­jours prévisibles.

En réal­ité, avant d’être anti-fas­ciste, on se doit tou­jours d’être human­iste, pour décel­er ces moments où “la bête” veut avoir rai­son de l’hu­man­ité, de son organ­i­sa­tion sociale, de ses lieux de vie, de ses pos­si­bles vies en com­mun, de ses éco-sys­tèmes, au prof­it d’un intérêt supérieur qui, même si son idéolo­gie change, lie tou­jours pou­voir, pro­priété et prof­it. Etre anti-fas­ciste, en réal­ité, c’est aller rechercher sous les cen­dres, les lazz­is, et les couch­es de ter­res mor­bides ou la pous­sière, accu­mulées par les faus­saires de l’his­toire, l’in­tel­li­gence que quelques unEs, assez nombreux/ses cepen­dant, met­taient en oeu­vre aux sor­ties des guer­res qui rav­agèrent le monde, pour décrire juste­ment com­ment “la bête” n’é­tait pas morte, et qu’un sim­ple “plus jamais ça” ne pou­vait rem­plac­er la vig­i­lance et le combat.

Plutôt que cul­tiv­er des mythes de la “Résis­tance”, dont tous les nation­al­istes se dis­putaient la dépouille avec les com­mu­nistes de l’époque, recon­stru­isant ensem­ble des Etats-nations tout en con­ser­vant jalouse­ment les “colonies”, ces anti-fas­cistes “d’après-guerre” ont entamé la lutte décolo­niale, la con­sid­érant comme pro­longe­ment naturel de leur lutte con­tre “la bête”. Un Albert Camus serait donc aujour­d’hui ren­voyé dans les cordes de l’is­lamo-gauchisme, à l’heure où la philoso­phie se vend au ray­on de Mein Kampf.

L’an­ti-fas­cisme ne peut donc être une réac­tion sim­ple­ment vio­lente face au dés­espoir, mais au con­traire une propo­si­tion human­iste de com­bat, fut-elle très minori­taire, face à ces déf­i­ni­tions pour demain des sor­ties de crise cap­i­tal­iste, prô­nant à la fois sauve­tage des prof­its et régimes poli­tiques dits “forts”, déf­i­ni­tions portées par des petits de “la bête”, nés dans la fange de la période.

Et je voudrais pren­dre mon temps pour, tour à tour, désign­er ces petits de “la bête” qui ne se ressem­blent pas entre eux, se nour­ris­sent l’un l’autre, s’abreuvent à leur mère, seule source com­mune, très iden­ti­fi­able : le fascisme.

Voici donc l’in­tro­duc­tion d’une chronique qui se poursuivra.

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Image :  CC Lila Mon­tana pho­tographe jour­nal­iste solidaire

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…