Ajda Pekkan est telle­ment mon­di­ale­ment connue…

Avant de par­ler de la célèbre chanteuse, une note… En Turquie, une par­tie de la presse a l’habitude de se con­grat­uler du fait d’être turc et aime caress­er l’âme turque de ses lecteurs et lec­tri­ces. Cette presse là, a ten­dance à faire croire à son lec­torat que l’ob­jet de son sujet, l’artiste, ou le pro­duit, est ain­si mon­di­ale­ment con­nu. C’est sans doute aus­si, une méth­ode d’au­to-per­sua­sion… Si le Reis éructe haut et fort qu’il est “leader mon­di­al”, il n’a pas inven­té la poudre, mais il arpente un chemin tra­di­tion­nel de la com­mu­ni­ca­tion chau­vine, déjà expéri­men­té, et exis­tant depuis belle lurette. En Turquie, cette notion de “célébrité mon­di­ale” est tournée vers l’intérieur. Le reste du monde est totale­ment igno­rant de l’ex­is­tence de l’ob­jet, ou encore, s’en fiche, royalement.

A vrai dire, avant de venir en France, (ce qui m’a amené à regarder mon pays avec un œil extérieur), j’y croy­ais aus­si… Comme je croy­ais que pour le monde entier c’était bien la “con­quête” d’Istanbul en 1453 par l’Ottoman, qui met­tait le point final au Moyen-Age. Je l’ai appris à l’école… Même les indi­ens d’Amérique seraient des turcs et la langue turque serait la mère de toutes les langues…

Bref, le Turc est au top. Et donc Ajda est une célébrité mon­di­ale­ment con­nue… en Turquie.

On ne peut pas nier qu’elle fut l’une des chanteuses les plus aimées et écoutées du pays. Et très pro­duc­tive avec ça. Nom­bre d’al­bums, d’in­nom­brables con­certs, des pas­sages au petit écran, et sur le grand aussi.

Ajda bardakVoyez-vous ces ver­res à thé tra­di­tion­nels, en forme de tulipe, qui eux aus­si, sont util­isés dans divers­es régions et pays, mais sont mon­di­ale­ment con­nus comme “ver­res à thé turcs” ? Si le mod­èle de grande taille, une ver­sion revis­itée de la petite tra­di­tion­nelle, qui porte le nom “Aïda” chez le fab­ri­cant, est appelé par la pop­u­la­tion, par détourne­ment ou igno­rance, “ver­res Ajda”, c’est du juste­ment à la chanteuse. Le thé, étant bien plus qu’un rit­uel, un geste quo­ti­di­en, à chaque gorgée, on a l’impression d’attraper Ajda par sa fine taille. En quelque sorte, elle est du domaine publique, elle nous appar­tient, voix et corps.

Ajda Pekkan

 

Ajda est née le 12 févri­er 1946 à İst­anb­ul. Elle fut chanteuse, mais s’est essayée aus­si au cinéma.

La star Ajda a bril­lé, lorsqu’en 1963, à 17 ans, elle fut élue lors d’un “con­cours de star de cou­ver­ture”, par le mag­a­zine Ses, très en vogue dans la Turquie des sixties.

Elle com­mença aus­sitôt à jouer dans des comédies ou mélo­drames. Sa car­rière musi­cale débu­ta réelle­ment en 1964, avec son pre­mier 45 tours Her Yerde Kar Var (Tombe la neige d’Adamo).

Et c’é­tait parti !

Son expéri­ence ciné­matographique cor­re­spond à une péri­ode où le ciné­ma turc pro­dui­sait des films tournés surtout pour cas­er des chan­sons dans les scé­nar­ios. On allait alors au cinoche, un peu comme à un con­cert. Instal­léEs sur des chais­es de café en bois du ciné­ma de plein-air, sachet de grains de tour­nesol sur les genoux, crachant les écorces au point de tapiss­er le sol, on pas­sait du rire aux larmes. C’é­tait notre Bol­ly­wood à nous, quoi…

Fille de l’été 1961, je vous racon­te une façade de mon enfance là…

Bon, je sais, le son de la vidéo suiv­ante est très moyen, mais c’est une pièce d’archive… Elle est extraite d’un film, un de ceux où le rôle de “jeune pre­mier” comme on dit en turc, est tenu par Zeki Müren, qui volait la vedette aux beaux acteurs de l’époque. Ce chanteur, pour­tant gay, était très aimé du pub­lic dans la Turquie bien macho et homo­phobe. Mais ça, c’est toute une autre his­toire. Vous pou­vez faire sa con­nais­sance musi­cale dans mon arti­cle “Globe-trot­ter amoureux”, et com­pren­dre le para­doxe, avec les deux arti­cles suc­ces­sifs d’E­ti­enne Copeaux, sur Susam Sokak.

Con­cen­trons-nous donc sur Ajda.
Bouche cousue, je ne dis pas quelle est la chan­son orig­i­nale. Si vous don­nez la langue au chat, la réponse est cachée sous la vidéo…

Réponse1

Si vous lisez sa fiche en français, vous remar­querez cette phrase se ter­mi­nant par un point d’exclamation, chose rare sur Wikipé­dia : “En 1971, elle se fiance à l’av­o­cat français Jean-Paul Carteron au cours d’une mag­nifique soirée dans les jardins du Hilton Istan­bul. Peu après, elle vien­dra à Paris et, suc­cès extra­or­di­naire, elle chantera à l’Olympia !”. C’est qu’on est si fiers, nous les turcs.

Ajda brûla les planch­es en Turquie et en Europe. Par­ti­c­ulière­ment à Paris, à l’Olympia, en mars 1976, et en duo avec Enri­co Macias. Faut-il l’a­jouter, une presta­tion bien sûr perçue en Turquie comme “événe­ment mon­di­al”.

Ajda Pekkan, dont les dis­ques se sont ven­du à plus de 15 mil­lions d’ex­em­plaires, est l’une des chanteuses les plus ven­dues de tous les temps en Turquie” dit le Wikipé­dia en turc et il con­tin­ue : “Elle compte par­mi les fig­ures de proue de l’oc­ci­den­tal­i­sa­tion de la Turquie, tant par son art que par son image”.

C’est en 1980 qu’elle sera une chanteuse ambas­sadrice, en représen­tant la Turquie pour la 25ème édi­tion du Con­cours de l’Eu­ro­vi­sion. Là aus­si, ce con­cours est très impor­tant à nos yeux, nous les turcs. Une ver­sion musi­cale de coupe du monde en quelque sorte… On con­court per­son­nelle­ment, par procu­ra­tion, à tra­vers notre artiste, comme on met les buts par le pied de notre footballeur.

Sauf que La Turquie est déçue, d’une année sur l’autre. La pre­mière par­tic­i­pa­tion de la Turquie à l’Eu­ro­vi­sion remonte à 1975. Son entrée en jeu, tombant pile au moment de la crise gré­co-turque à pro­pos de Chypre. La Grèce s’est retirée du con­cours, par acte de protes­ta­tion. La Turquie, représen­tée pour cette pre­mière ten­ta­tive par Semi­ha Yankı, arri­va bonne dernière, avec les 3 points de Mona­co. Les années passèrent, et “On” n’obtint aucun suc­cès, et encore si lorsqu’on n’a pas fini derniers de la course. Et, chaque année, les con­tes­ta­tions et insultes se déver­saient des lèvres, “c’est poli­tique !”“regarde Chypre grec à voté encore pour la Grèce”, “les enne­mis de la Turquie inter­fèrent !”… Enfin, les refrains du pou­voir actuel ne sont pas des nou­veautés, eux non plus…

Pour vous met­tre dans l’am­biance ; Ajda déclar­era plus tard, dans un reportage sur la BBC, “Je fus telle­ment poussée que si je ne par­tic­i­pais pas [à l’Eu­ro­vi­sion], j’al­lais être déclarée presque comme ‘pas turque’. En vérité, j’ai dit ‘d’ac­cord’ suite à ces inquié­tudes, et aus­si un peu pour prou­ver quelque chose”.

Alors, le soir du 19 avril 1980, la Turquie entière attendait, souf­fle coupé. Tout le monde était cloué devant la télé. Les rues étaient vides, comme un soir de loi-mar­tiale. “C’est Ajda qui chantera, et on gag­n­era, pour sûr !”. A La Haye, Ajda arri­va sur la scène et com­mença la chan­son, Petrol. Comme les jours précé­dents on avait écouté en boucle et appris la chan­son, on l’ac­com­pa­gna sur nos canapés, tout en suiv­ant la chanteuse avec atten­tion, sans per­dre un seul de ses gestes, et en scru­tant la réac­tion du pub­lic dans la salle. Arri­va ensuite le moment des votes. Les com­men­taires s’échauf­faient dans les chau­mières, comme d’habitude. Et comme d’habi­tude, décep­tion ! C’est John­ny Logan qui empor­ta la coupe pour l’Ir­lande avec What’s Anoth­er Year. Notre Ajda était à la 15e place, sur 19 par­tic­i­pants, avec seule­ment 23 points, des cadeaux de l’I­tal­ie (8 points), de l’Autriche (3 points) et du Maroc (12 points).

Mais cette défaite ne la découragea pas, elle con­tin­ua à chanter et à habiter le cœur de son public.

Dans la pre­mière ving­taine de sa car­rière de chanteuse, elle s’est fait remar­quer par les adap­ta­tions de chan­sons con­nues en langues étrangères, notam­ment française. Celles-ci sont appelées en turc “aran­j­man”. Vous l’avez com­pris, de nou­velles paroles qui sou­vent n’ont rien à voir avec les orig­i­nales, sont posées sur la musique. Le roi de cet art est Fecri Ebcioğlu, paroli­er, com­pos­i­teur, DJ, chanteur et “aran­jör”, feu en 1989. C’est lui qui fut le père de la “pop turc”, avec une pre­mière chan­son “arrangée”, C’est écrit dans le ciel de Bob Azzam, chan­tée en 1961, par Ilham Gencer : Bak Bir Var­mış Bir Yok­muş (Il était une fois). Avec un autre paroli­er et com­pos­i­teur Sezen Cumhur Önal la pop turc s’est élevée au ciel. L’autre ver­sant de ce courant fut l’arrivée des chanteurs et chanteuses étrangères, comme Adamo, Marc Aryen, en Turquie, pour chanter leurs pro­pres chan­sons en turc, réécrites par ces paroliers…

Pas éton­nant que la musique joyeuse et dansante d’Enrico Macias, dans la bouche d’Ajda, ait séduis les oreilles turques. Mais il y en a eu d’autres. Hervé Vilard, Dean Mar­tin, Marc Aryan, Gilbert Bécaud, Dal­i­da… Je sais que ça vous amuserait de devin­er de quelle chan­son il s’agit, en écoutant Ajda Pekkan. Alors je ter­min­erai mon arti­cle avec une sorte de blind test…

Elle a aus­si chan­té en français et sor­ti un album en 1978, “Pour Lui”. Vous pou­vez l’é­couter cette playlist. Au menu : Com­bi­en je t’aime, Je danse, Loin de nous je t’aime, Un amour qui s’en va, Et je voy­age, Le jardin d’Ori­ent, Si j’é­tais magi­cien, Laisse-moi des sou­venirs, En oubliant qu’on était deux, Mon cœur est comme ça, Pour lui.

Pour la suite de sa car­rière musi­cale, elle a tra­vail­lé avec des artistes réputés comme Şehrazat, Garo Mafyan, Mustafa San­da, Sezen Aksu, Ser­dar Ortaç, Muazzez Abacı, pour ne citer que quelques noms… Ajda, surnom­mée “Super­star”, fut une des artistes qui ont con­tribué à l’ex­is­tence de la pop turc. D’ailleurs, en 1998, elle fut hon­orée du titre de “Artiste d’Etat”, l’équiv­a­lent de l’ “Ordre des Arts et des Lettres”.

Ajda Pekkan, élue en 2017, “icone gay”, par les sym­pa­ti­santEs et mem­bres du Kaos GL (la plus anci­enne asso­ci­a­tion LGBT en Turquie), est con­sid­érée, dans la lignée de Dal­i­da, comme une des per­son­nal­ités sym­bol­iques du monde LGBTI en Turquie.

Même si elle déclare en 2013, “Je suis la Turquie, je n’en­tre pas dans les polémiques”, ses actions et pris­es de posi­tion vari­ent d’une époque à l’autre. Sa chan­son Sana Ne Kime Ne (ça ne te regarde pas, ni per­son­ne) adap­tée de la chan­son Megie Mele de Fil­ip­pos Niko­laou fut perçue comme un cri fémin­iste : “je suis née libre, je vis libre”. Dans la même lignée, dans Bam­baş­ka Biri, elle dis­ait à l’homme, “la porte est ouverte, retourne-toi et dégage !”

Dans les sujets qui deman­dent un brin d’en­gage­ment, on peut citer une chan­son qu’elle a chan­té pour illus­tr­er un pro­jet de lutte con­tre les vio­lences faites aux femmes. Ayant des chats et chiens, elle a aidé les ani­maux des rues, et ren­du vis­ite à l’Assem­blée Nationale, en 2013, pour attir­er l’at­ten­tion pour les droits des animaux.

Elle a chan­té avec la chanteuse Aynur, Keçe Kur­dan (Fille kurde), la chan­son inter­dite en 2005. Elle a apporté son sou­tien au sem­blant d’ou­ver­ture démoc­ra­tique entamée par le gou­verne­ment AKP, et, égale­ment con­cer­nant “le proces­sus de réso­lu­tion”, qui devait met­tre un terme à la “ques­tion kurde” en Turquie, et qui fut aban­don­né par le même gou­verne­ment, mi 2015… Mais aus­si, en 2011, elle visi­ta la Soma­lie avec un groupe d’artistes et… Erdoğan, alors Pre­mier Min­istre, et chan­ta lors d’un con­cert de sou­tien aux Soma­liens. Plus récem­ment, en avril 2018, elle soutint L’opéra­tion rameau d’o­livi­er, menée con­tre les Kur­des en Syrie, et ren­dit même vis­ite aux sol­dats, tou­jours aux côtés d’Er­doğan… Un mys­tère, cette franche con­tra­dic­tion, mais la même que celle du CHP, le par­ti d’op­po­si­tion, qui tout empochant les votes kur­des à Istan­bul, sou­tient en même temps l’in­va­sion du Rojava…

Aujourd’hui, à 74 ans, elle chante tou­jours. Par­ti­c­ulière­ment atten­tive à sa garde-robe, à son aspect physique, adepte de toutes les tech­niques esthé­tiques, qu’elles soient pho­to­shop ou médi­cales, elle prend le soin de rester belle et jeune, pour son public.

Le pub­lic, elle l’a tou­jours, c’est indé­ni­able. C’est tou­jours un plaisir d’écouter ses chan­sons. Par­ti­c­ulière­ment pour les nos­tal­giques de ma généra­tion, et de celle d’avant… Rien de mieux pour retourn­er au passé, s’immerger dans sa jeunesse lointaine.

Alors, on va tester main­tenant, pour voir si, dans le désor­dre, vous con­nais­sez bien vos classiques…

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Si vous voulez con­tin­uer, vous pou­vez sur­v­ol­er les playlist organ­isées par épo­ques, ici. Et si quelques autres chan­sons vous parais­sent famil­ières, mais vous séchez, vous pou­vez vous référ­er à cette liste des chan­sons “aran­j­man”. Vous y trou­verez d’ailleurs un sacré nom­bre de chan­sons adap­tées et chan­tées par dif­férentEs artistes.

Allez, la dernière, un bijou dans la domaine du mau­vais play­back, dans laque­lle, à l’époque, Ajda excel­lait, en faisant sourire tout le monde…

https://youtu.be/ng7hxAQFmAY

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.