Comme ça, pour le plaisir, je vais vous décrire trois chats, habitants une maison, dans un joli village du Pays Basque. J’écris “habitants”, mais en fait, ce sont les propriétaires de cette demeure, car ce sont eux qui décident des us et coutumes des lieux.
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Ce matin, comme à l’habitude, je me suis réveillé à l’appel de Soré, frappant la porte de ses pattes, “allez Erco, lève-toi, j’ai faim, moi !”. En saison d’hiver, Soré et Çiya dorment au rez de chaussée, dans le grand salon, avec le piano à queue et où se trouve la cheminée qui nous réchauffe. A cette saison, c’est plus confortable pour moi, car je me réveille selon mon horloge biologique, je descends et je leur verse leur petit déjeuner. Mais, depuis, les beaux jours venant, ils se sont réinstallés dans toutes les pièces, les chambres, même dans le grenier, partout…
Je vous fais les présentations.
Xuçka vit dans cette maison depuis 12 ans, depuis qu’il y est arrivé bébé. Il se pavane, avec l’air de dire “C’est moi qui ai élevé Samuel et Joseph”, les autres habitants humains de la maison. Une année pour nous, c’est sept ans pour les chats.
Alors que je venais d’arriver dans cette maison, il y a un an, j’avais appris que Xuçka en était le véritable propriétaire. Il est calme, parfois gâté, et a l’habitude de disparaitre subitement, dès que Joseph crie son nom “Xuçkaaaa !”. Même s’il n’arrive pas à faire jeu égal avec moi dans l’art de la dissimulation, il est aujourd’hui en compétition avec Çiya. Une poignée de blanc, qu’il cache sous son menton lui donne l’air d’être à l’aise dans un costume de pingouin.
Çiya et Soré, chatons qui remplissaient la paume d’une main, ont débarqué à la maison l’été dernier. Il y a donc à peine un an. La première réaction à l’intrusion est venue de Xuçka. Elle fut puissante. Il ne les a pas aimés. Il n’en a pas voulu. Ni Çiya, ni Soré n’étaient à l’âge de comprendre qu’ils étaient non désirés. Ils ont alors interprété chaque feulement de Xuçka comme un jeu, et ils ont essayé de jouer avec insistance, jusqu’à ce que Xuçka eut quitté l’arène, en déclarant forfait. Dans leur découverte, Çiya était le plus rapide, quant à Soré, il prenait son temps. Ils ont découvert le jardin à leur rythme , et les étages de la maison.
Bien évidemment, après l’arrivée de Soré et Çiya, Xuçka a déserté un bon moment le salon avec le piano, où les petits squattaient. Joseph a essayé de l’encourager à revenir, mais en vain. Il n’a pas accepté son aide. Çiya et Soré on très vite grandi. Ils ont commencé à maitriser le jardin, et tous les recoins de la maison. Dans le même temps, ils ont changé de caractère. C’était comme un échange permanent. Soré le calme se transformait en Çiya l’intenable, et vice-versa. Avec le temps, il y a eu des moments où tous les trois se retrouvaient quand même ensemble. Çiya, calmé, ne réagissait pas, mais ces instants créaient des espaces d’affrontements entre Soré et Xuçka.
Petit à petit, mon horloge biologique s’est calquée sur des heures plus matinales, du fait des appels miaulants des chats “allez Erco, allez Erco”. Joseph, qui apprécia l’habitude de débuter la journée avec eux, nous rejoignit désormais après le petit déjeuner. Pendant cette période, il fallut que je m’habitue aux réprimandes que Joseph engageait de temps à autre contre les trois poilus. J’ai appris qu’élever des chats était comme élever des enfants. Il fallait parfois leur dire holla. La plus grand différence, c’est que les chats sont comme des bébés qui ne grandiraient jamais.
Durant tout l’hiver, le spectacle de leur jeux près de la cheminée, surtout lorsqu’ils se chamaillaient, nous a fait passer des moments très agréables. Çiya et Soré ne pensaient qu’à jouer. Et, après avoir avalé leurs croquettes, cette façon de se laisser aller à la chaleur dégagée de la cheminée… A cet instant, tu t’arrêtes et tu penses ; sans attendre quoi que ce soit de la vie, laisser le temps à son cours, et savourer le plaisir d’un temps qui s’écoule au ralenti… le bonheur, c’est peut être cela. Désormais, je regarde la vie, de temps à autre, à la manière de Xuçka, Çiya et Soré : “Ralentit ta vie ami !”.
Bien évidemment, il est des moments où les querelles entre nous autres prennent de l’ampleur. Tout doit être comme ils désirent, et dès qu’ils le veulent, sinon c’est une guerre de fin du monde. Ils ne m’ont pas épargné non plus… Un jour, j’avais un bus à prendre à Pau, pour aller à Paris. Joseph devait m’y déposer, à une heure de route. Mais que se passa-t-il ? Çiya miaulait à la cime d’un platane, un arbre centenaire du jardin. Impossible de comprendre par quel moyen il avait atterri là haut. Mais il n’en descendait pas. Enfin, il ne pouvait plus en redescendre. Joseph est en état de panique. Joseph peut parfois s’avérer plus paniqué et plus enfant que Çiya et Soré. C’était ce cas de figure. Mon heure de départ se rapprochait, mais nous ne pouvions pas démarrer. Je n’eus pas même la possibilité de placer une phrase, du genre “Joseph, je vais rater mon bus”. Nous essayions de descendre Çiya de l’arbre, à tout prix. Finalement, le bus est parti sans moi. Et, quelques temps plus tard, qu’avions-nous vu ? Çiya, tranquille, était descendu de l’arbre.
Ce n’est pas tout. Un moment Çiya a décidé de jouer du piano. Figurez-vous que ce n’était pas juste des pattes qui frôlent plus ou moins quelques ivoires, en produisant quelques sons. Va savoir comment il l’a découvert, il a inventé un jeu en harmonie avec la musique des touches. A vrai dire, même si je ne voudrais pas empêcher le fait que Çiya révèle son potentiel artistique, je crains que Joseph ne risque à nouveau de prendre des airs d’éducateur. Car, à maintes reprises, en observant les postures de Joseph face à ces trois félins, je me demande parfois lequel est le plus puéril. Mais, parait-il, il faudrait élever les chats comme des enfants ; “Tu ne peux pas jouer du piano, parce que ce n’est pas ton affaire. En plus, ce piano ne t’appartient pas, il est à Juliette”, ou encore “Ecoute, tu ne peux pas te bagarrer avec Xuçka, car il vit dans cette maison, lui aussi”, genre… Les efforts de redressement se poursuivent encore aujourd’hui…
Maintenant que la saison d’hiver a laissé sa place au printemps, nous, les habitants, allons avec des amis de passage, nous balader près de la rivière proche de la maison.
Un jour nous fûmes étonnés par Çiya et Soré qui nous emboitèrent le pas, l’air de dire “nous aussi, nous venons avec vous”. Un peu plus tard, Çiya a fait demi tour, mais Soré, lui, a continué jusqu’à la rive. Et là, il s’est arrêté. “Ce n’est qu’à quelques centaines de mètres de la maison” nous sommes-nous dit, “il peut rentrer comme Çiya”. En fin d’après-midi, en rentrant, pas de Soré. Allons y, encore une panique… Nous avons commencé à refaire le parcours en le cherchant dans tous les recoins. C’est seulement une heure après que nous avons retrouvé Soré. Il était là où on l’avait laissé. Il était resté sans bouger. Nous sommes alors revenus heureux de finir la journée sans que personne ne manque à l’appel.
Le printemps arrivé, nous nous sommes affairés dans le potager, au jardin. Chaque fois que nous y allons, Soré et Çiya viennent avec nous avec détermination, et il y restent jusqu’à ce qu’on finisse nos tâches. Je ne sais pas moi, les chats que j’avais connu dans mon enfance, n’étaient pas comme cela. Ce sont, carrément des enfants. J’ai comme une impression qu’ils ne se voient pas non plus comme des chats. J’avoue que je les comprends… Après les avoir vu être bercés dans les bras de Samuel et de Joseph, des jours durant, il est impossible de ne pas les comprendre.
Ah oui, évidemment, les querelles perdurent. Surtout quand il s’agit de décider qui dormira dans le lit de qui. Çiya, plus autonome, dès qu’il a avalé ses croquettes, va trainer au village. Soré, lui, est insatiable. Ses yeux, ses oreilles, sont continuellement à l’affut du bocal de croquettes. Il préfère alors rester près de la maison. Quant à Xuçka, il continue à savourer le jardin pour lui, en toute sérénité.
Et nous autres, habitants subsidiaires de la maison, mais avec le plaisir de partager une vie avec des chats, faisons le plein de souvenirs, à vous raconter…
Image à la une : Soré, Çiya ve Xuçka