Ce mois ci, un court-métrage d’animation, mais qui n’est pas pour autant pour les enfants.
En noir et blanc, les coups de crayons du réalisateur Hüseyin Karabey dessinent au fur et à mesure que le tumulte s’amplifie. Une foule en colère, en révolte, qui sort du silence et de la peur suite à l’assassinat de Hrant Dink, journaliste et écrivain turc d’origine arménienne, fondateur, directeur de publication et chroniqueur en chef de l’hebdomadaire Agos, créé en 1996, un journal édité à Istanbul en arménien et en turc. Il a également écrit pour les journaux nationaux, et devint peu à peu le chef d’opinion de la communauté arménienne de Turquie.
Hrant Dink reste de toutes les actualités au moment où en Turquie les médias “libres et non inféodés”qui subsistent avec tant de difficultés sont poursuivis, leurs journalistes traînés devant les tribunaux sous des prétextes grotesques de “terrorisme”. Il rappelle qu’élever sa voix peut condamner à mort en Turquie, et que le président lui-même serait décidé à demander dans un grand élan de populisme, légalement le rétablissement de cette peine.
Assassiné parce qu’Arménien, mais surtout pour sa voix qui portait, pour que la Turquie se regarde en face.
Celui pour qui le règlement du problème arménien n’était qu’un volet de la démocratisation générale du pays se battait, la plume à la main, et avait reçu en 2006 le prix Oxfam Novib/PEN pour la liberté d’expression.
Poursuivi en 2005 pour “dénigrement de l’identité nationale turque”, il est condamné à six mois de sursis. Le 19 janvier 2007, il est assassiné par un nationaliste turc de 17 ans dans le quartier d’Osmanbey à Istanbul, devant les locaux de son journal bilingue Agos.
Marquant durablement le paysage politique turc, cet assassinat déclenche d’importantes manifestations à l’international, au fil des dates anniversaires, jusqu’en 2013 où les manifestants rebaptisent une avenue du Parc Gezi à son nom.
La justice turque n’a jamais démasqué les commanditaires du meurtre.
Emaillé de références religieuses, le discours de sa veuve Rakel Dink exhorte la foule silencieuse à s’emparer de ces combats, pleure son amour et encourage chacun à demander justice et à lutter contre l’oppression …
Les dessins, subtils, font allusion au dernier texte du journaliste :
« Je me sens comme une colombe dans les rues d’une grande ville, craintive et libre à la fois. Mais je sais que les gens de ce pays n’oseraient jamais toucher une colombe.»
Ses vœux pieux résonnent malheureusement aujourd’hui dans le silence. Et la mort de Hrant Dink, que nulle ténèbre ne nous fera oublier, trouve dix ans plus tard un écho dramatique dans les colonnes de nos journaux.
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Nulle ténèbre ne nous fera oublier — No darkness can make us forget
Animation | Turquie 2011 | 10 minutes (version intégrale)
Réalisation, scénario, production : Hüseyin Karabey
Son : Rakel Dink | Montage : Baptiste Gacoin, Ebru Karaca, Hüseyin Karabey
Ce film a été projeté lors de la 39ème édition du Festival de film de Douarnenez en août 2016.
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