Il n’est pas dans mon intention de faire un cours magistral « d’histoire comparée » sur fond de putsch calamiteux à la turca, rassurez-vous.
Mais face au déferlement de certitudes complotistes assénées jusque dans les médias d’ordinaire les plus réservés en Europe, questionner un peu l’histoire des putschs ratés, mais qui ont fait cependant basculer des situations politiques, peut permettre de sortir d’un débat nébuleux. Et même si le faire en une page est risqué, qui ne tente rien n’a rien.
Les joueuses et joueurs d’échecs me comprendront lorsque je dis que toute nouvelle partie a dans son jeu des « coups » qu’on retrouve d’un jeu à l’autre, avec des variantes et des constantes, quels que soient les moments, le contexte et les partenaires… Le hasard et l’habileté tactique font le reste.
Et même si l’histoire n’est pas un jeu, elle n’en reste pas moins soumise aux règles humaines et à la configuration voulue et/ou subie de la planète.
Un dernier avertissement, pour vous éviter de perdre du temps.
Cette chronique n’a aucune ambition informative sur la situation en Turquie. Le site en regorge, et chacun(e) au Kedistan y contribue, himself inclus. Il s’agit seulement d’une prise de distance salutaire d’avec les images de barbus ou de foules hystériques, qui me font douter des efforts possibles pour que reste soutenable l’idée d’une Turquie apaisée et ouverte, sans Sultan à pouvoir théocratique, et débarrassée de l’exploitation de ses Peuples par une oligarchie intérieure et la finance européenne réunies.
Reste à commenter les derniers événements, des massacres à l’Est aux défilés vociférants pro-Erdogan, je finirais bien sans cela par aller soigner mes tomates, comme d’autres pensaient à leurs oliviers. Si vous êtes dans mon cas, souffrez donc qu’on s’éloigne un peu ensemble de quelques pas, et qu’on se fasse travailler l’esprit au jardin, par pur décrassage.
Le 21 avril 1961 est connu sous l’appellation de Putsch d’Alger, ou « putsch des généraux ».
Les complotistes divers et autres amateurs de salades russes étaient à ce moment-là dans le ventre de leur mère, et n’avaient pas encore disserté sur les tours jumelles. Dommage…
Car ils auraient pu nous expliquer et tenter de nous démontrer que le Général de Gaulle, père de la Nation française, avait fomenté de toutes pièces une tentative de coup d’État pour se faire accorder les pleins pouvoirs. Le même n’aurait-il pas fomenté plus tard de « faux attentats » contre sa personne pour affermir son pouvoir ? Louche, louche…
Bref, revenons sur une situation où, largement prévenu, dès l’année précédente, un Général président savait qu’il mécontentait une fraction de son état-major « Algérie française », en établissant comme une évidence que la colonisation en Algérie ne permettait plus en l’état de contenter les appétits français. Dans le même temps, ne l’oublions pas, ce même Général, aidé en cela par un ventre mou politique issu de la république antérieure, se servait de ces mêmes forces armées pour terminer un « nettoyage » de l’Algérie, avant fermeture définitive.
Que croyez-vous qu’il arriva ? Le Général, bien qu’intriguant en coulisses de toutes les manières, attendit que le loup sortît du bois. Il rajouta même un « référendum sur l’autodétermination » pour faire bonne mesure, qui mit en rage les futurs putschistes.
Le 21 avril 1961, les généraux prennent le contrôle d’Alger. Ils tentent en cela de mobiliser des soldats « appelés » qui font la sale besogne de répression depuis plusieurs années sur place, et s’appuient sur des ailes dures, des faucons nationalistes et colonialistes, mais en nombre bien insuffisant.
Le Général de Gaulle n’ignore rien des rapports de forces. Et pourtant, on croirait à ce moment-là, tous les témoignages historiques le démontrent, que la France est au bord du chaos et que la menace s’étendra jusqu’à Paris… Appels au Peuple, appels aux soldats fidèles, appels à rejoindre les aéroports, comme si des parachutistes ne pouvaient se « parachuter » que là…
Du coup, en sautant quelques pages du livre, on pourrait dire, ou que les généraux étaient mal préparés et que leur « vrai coup d’État » a échoué, ou que le Général, en fait, avait monté l’affaire de bout en bout. N’importe quoi, me direz-vous !
Effectivement, la réalité est bien plus complexe, et les ressorts de la machine, même déposés au grand jour, ne parlent pas d’eux-mêmes.
Dans ce cas précis, un contexte, des contradictions, des forces à l’œuvre et des institutions humaines, ont pour les uns tenté un coup, pour les autres contré à leur avantage. Tous avaient entamé la même partie, et contribué à en arriver là. Les rapports de forces, la stratégie mise en œuvre, ont fait la différence.
Il est des jeux de stratégie virtuels qui proposent de remettre en scène des « événements historiques », et de leur chercher une issue différente. Je me garderai bien de vous le proposer pour cette situation-là.
Alors… complotiste le Général ? Ce qui apparaît aujourd’hui comme un putsch minable voué à l’échec aurait-il en réalité été téléguidé depuis l’Élysée ? Le quarteron de généraux n’était-il donc qu’une tablée de comédiens ?
Continuer à creuser dans cette direction amènerait à ne plus se soucier de ce que furent les événements, et en leur sein les stratégies politiques et les idéologies des uns et des autres, dans ce processus sanglant de décolonisation. Réduire les événements à des manipulations de joystick, et l’histoire à des petites histoires de complot, ne permettra jamais d’en transmettre la mémoire, pour que d’autres générations changent le réel et reforgent leurs utopies.
Et que dire pour celles et ceux qui vivent en Turquie ce tomber de rideau noir comme une pelletée de terre sur leur cercueil d’enterré vivant ? La recette de la complote à la turca va sûrement leur redonner le goût de vivre ? Quand on prétend vouloir faire profession d’informer, d’aider à comprendre, on ne s’empresse pas de choisir le plus gros vol de corbeaux qui passe.
Bien malin celui ou celle qui peut affirmer sans retenue « coup monté, j’ai les preuves ! » à propos des événements de ces derniers jours en Turquie.
Et pendant que le débat « d’experts » se mène, la répression tous azimuts s’intensifie.
Erdogan a gagné un coup d’État « providentiel » dirigé contre lui et hâtivement bâclé.
Ce résumé pourrait je pense clore un faux débat. Et si cette « victoire » révèle un état de la Turquie qui fait peur, et qu’il nous faudra quelque temps pour l’accepter, jamais il ne faudra s’y habituer.
La poussière soulevée par les chars finira bien par retomber. Et comme lorsque la brume se déchire, le paysage aura changé par rapport à l’aube de la veille. À nous de retrouver les constantes qui l’ont amené à cette configuration, les choses nouvelles, et celles malgré tout en devenir qui annoncent un possible retour du soleil.
Sans ce travail, ce réel réexamen de l’échiquier à la turca, autant baisser les bras devant le grand sultan comploteur.
À toi de jouer !
Et en complément de ce billet, lire cet excellent article