Viens, frappe de ton petit poing et je t’ouvrirai.
Je t’ai tou­jours ouvert.
Je suis aujour­d’hui par delà de hautes montagnes,
par delà le désert, le vent, la chaleur torride.
Mais je ne t’a­ban­don­nerai jamais…”

Anna Akhma­to­va

Ce vieux sac de plastique
qui flotte au vent,
bal­ayant le trot­toir de l’hô­tel de la gare,
c’est moi.

Quand le vent souf­fle à l’intérieur,
dehors, tout est calme.

Je sais
que tu me comprends,
tu saisis,
à pleines pensées,
mon allu­sion désolée.

Endors toi,
Réveille toi,
Recouche toi, à nouveau,
som­bre dans le sommeil,
c’est ta mer salée.

Recueille, sur la terrasse,
ce cail­lou noir fine­ment poli,
et lance le par-dessus la rambarde.
Vois comme il roule dans la vallée.

Nul écho.

Depuis qu’un pre­mier souf­fle a écarté tes lèvres,
ouvrant ta gorge au vent du sud,
un oiseau muet aux ailes brûlées
soupire en toi.

Quel vent a asséché le fil de cette voix?
Quel feu a réduit ces plumes en cendre?

Tu lèves ton poing vers le ciel,
tel un arbre après l’orage,
fiévreux et trempé.

Des jours puis des années ont passé
et la même parole secrète ruisselle.

Le temps ne compte pas,
ni ta peine,
ni le prix du sel,
ni ta vie.

Ton pays endormi,
je l’ignore,
je le contourne.

Les algues gonflent
comme on respire,
au ressac essoufflé
de la mer jalouse du rivage.

Si elle savait
comme la falaise
bouil­lonne intérieurement.

J’ai branché le courant en prise avec ta vie,
j’ai puisé ton élec­tric­ité sur le seuil,
elle m’a déchiré sans pitié,
je suis un fil con­duc­teur tra­ver­sé d’éclairs,
une poignée de châ­taigne dans le coeur,
j’ai pris le jus de ton flux,
je suis en prise avec la terre aussi.

Com­ment doser
en juste mesure
le poids du monde
sur ton front,
esclave de la lumière?

Esclave de l’aube,
esclave des reflets qu’aiguisent nos regards
sur ta face.

Esclave d’un désir qui a déchiré ton voile
et le mien.

Esclave d’un boi­teux rêve de retour.

Com­ment doser
en juste mesure
le poids du monde
sur ton front?

J’ouvre un ciel rouge et pur sang
qui cav­ale sur ton dos rouillé,
écail­lé, moulu.

Ren­tre chez toi si tu peux,
je dormi­rai en pleine mer,
car seuls les hauts fonds comprennent
le poids de mon amertume.

Lorsque le vent se lève,
les habi­tants de la val­lée pren­nent peur,
son souf­fle les rend fou.

La mer et le désert se déchirent à l’ombre des dunes.
Per­son­ne n’en dit rien.
Les grains de sable et l’écume ont dess­iné sur sa peau ten­dre la carte d’un monde en feu.
Per­son­ne n’en dit rien.
Iqbâl a par­lé, Heaney lui a répondu,
per­son­ne n’en dit rien.
Tu t’es levé, vent du Sud,
avec les lèvres sèch­es et une soif de pierre noire.
Per­son­ne n’en dit rien.
Et pen­dant ce temps, à l’ombre des dunes,
se déchirent le désert et la mer.

Titi Robin

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Vidéo | texte : Titi Robin (2016) | musique : Titi Robin (B.O. La Mentale 2002) | photos : ©Georgi Licovsk.
Pour survoler le travail du photographe macédonien Georgi Licovsk, visitez son site
Illustration : ©Georgi Licovsk | Epa | Corbis
Elue photo de l’année en 2015 par UNICEF

Vous pou­vez aus­si entr­er dans sa musique par la porte du triple album “Les Rives”,  (Inde, Maroc et Turquie).


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Titi Robin
Auteur
Musi­cien. Cartes postales musi­cales et poé­tiques. www.titirobin.net |