Ecrire un billet à propos d’un livre pour lequel on a apporté une modeste contribution en langue française est probablement se faire juge et partie. Mais qui alors pourrait vous parler de l’alchimie à l’œuvre dans ce processus de traduction ?
Ces écrits de prison que vous découvrirez ne sont pas de simples chapelets de mots enchevêtrés utiles à découvrir l’univers carcéral des geôles de Turquie et le sort qu’on y réserve aux opposantEs, Kurdes ou non. Ces écrits forment une suite propre à découvrir une femme dans une prison de femmes, qui s’exprime aussi bien avec les mots d’une langue, qui n’est pourtant pas celle de son enfance, qu’avec des fragments et des pigments arrachés aux déchets du quotidien, en y projetant des images et des formes. Et le langage, comme la résistance picturale aux interdits, tissent une histoire de plus de deux années, riche de violences, mais aussi d’allers et retours entre quatre murs et celles qui les habitent. La langue du geôlier, feuille après feuille, soumise le plus souvent à la censure imbécile et machinale, mais opiniâtrement écrite, n’est pas seulement descriptive du quotidien de l’enfermement, mais interroge aussi les “beaux jours”, philosophe, peint, raconte, ironise, rage, débat ou poétise…
Et découvrir la traduction brute de ces écrits m’a enthousiasmé, bien que ces lettres ne me fussent pas destinées. A l’état brut, en transcription française, ces textes respiraient déjà la toile qui sèche. La traduction finale, livrée dans ce livre, ne fut finalement qu’un travail d’encadrement à quatre mains.
Pour avoir eu cette chance de retravailler aussi la traduction de nouvelles de Zehra, toujours en chantier, je sais qu’elle excelle autant dans l’écriture que dans son art pictural. Elle a autant “peint” ces années là avec des pinceaux de plumes qu’elle a écrit au stylo dont l’encre lui servit à dessiner.
Mais, m’objectera-t-on, ces écrits sont fondamentalement politiques ! Radicalement féministes même !
Et alors ? L’Art de Zehra Doğan se définit comme elle est : femme kurde, jeune et résistante à l’oppression, ancrée dans les couleurs et la culture des terres qu’elle a dû quitter, journaliste et archiviste de l’histoire douloureuse de son peuple, mais aussi porteuse de questions, de projets et de doutes pour l’avenir et pour elle-même. Son écriture en témoigne tout autant.
Et si le titre du livre, “Nous aurons aussi de beaux jours”, à sa façon, répond à une phrase de l’Internationale, de façon affirmative, c’est pour célébrer la vie, dans un monde qui l’enterre.