L’organisation non-gou­verne­men­tale Human Rights Watch a pub­lié le mois dernier un rap­port alar­mant inti­t­ulé « En déten­tion : tor­tures poli­cières et enlève­ments en Turquie ». [ver­sions en anglais et en turc ICI]. Il y est fait état de nom­breux actes de tor­tures, de mau­vais traite­ments, de dis­pari­tions et d’enlèvements for­cés par les forces de l’ordre à tra­vers toute la Turquie.

Ces néga­tions des droits humains élé­men­taires con­cer­nent essen­tielle­ment deux caté­gories d’individus. Ceux soupçon­nés d’appartenir à la mou­vance de Fethul­lah Gülen, FETÖ, et ceux soupçon­nés d’appartenir ou de col­la­bor­er avec le Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan, le PKK. Il est impor­tant de rap­pel­er ici que la notion de pré­somp­tion d’innocence n’est guère en vogue au sein d’une jus­tice turque soumise à la volon­té autori­taire d’Erdoğan. Depuis le coup d’Etat “man­qué” de juil­let 2016, plus de 4000 juges et pro­cureurs ont été limogés dont 2400 sont main­tenus en déten­tion dans l’attente de leur procès, tout comme des cen­taines d’avocats à tra­vers le pays. C’est donc tout l’appareil judi­ci­aire turc qui a été purgé et mis sous tutelle du pou­voir exécutif.

Le rap­port, disponible en anglais sur le site inter­net de l’organisation, rap­pelle à quel point l’impunité poli­cière est tenace en Turquie. Les cas de tor­tures et d’enlèvements for­cés soumis aux autorités judi­ci­aires turques reste dans leur écras­ante majorité let­tre morte. Seules quelques mis­es à pieds tem­po­raires ont été pronon­cées, aucune pour­suite judi­ci­aire sérieuse n’étant engagée à l’encontre des respon­s­ables de ces actes inhu­mains. Leur aug­men­ta­tion sig­ni­fica­tive au cours de ces deux dernières années a mené Human Rights Watch à com­par­er la sit­u­a­tion actuelle à celle pré­valant dans les années 90. La jus­tice est enrayée tan­dis que les forces de l’ordre sont déchaînées.

Accusé de soutenir l’organisation FETÖ et de ten­ta­tive de ren­verse­ment du gou­verne­ment turc, Hasan Kobal­ay est inter­rogé le 2 novem­bre 2016 par la sec­tion anti-ter­ror­isme de Kırıkkale, ville proche d’Ankara où il était directeur d’une école mater­nelle. Lors de son audi­ence du 17 févri­er 2017, il racon­te l’interrogatoire sur­v­enue trois mois aupar­a­vant : ” j’ai été désha­bil­lé, menot­té et bâil­lon­né avant d’être emmené dans une salle de bain, les yeux bandés. Là, ils m’ont jeté de l’eau froide sur tout le corps, surtout sur mes tes­tic­ules et mes fess­es… Là, ils m’ont frap­pé de partout, ils m’ont écrasé les par­ties géni­tales et on fait quelque chose à mon anus, mais je ne sais pas exacte­ment quoi. Ils m’ont demandé de par­ler et je leurs ai demandés ce que je devais dire… Ça a duré comme ça plus d’une heure et ils ont alors dit qu’ils amèn­eraient ma femme et qu’ils lui feraient la même chose qu’à moi. A ce moment-là, je me suis effon­dré en larmes car ma femme et mon enfant sont ce qu’il y a de plus impor­tant pour moi. Après, ils m’ont emmené dans une autre salle et m’ont aigu­il­lé sur ce que j’avais besoin de dire : « tu étais l’imam du groupe » affir­maient-ils mais je niais « non je ne l’étais pas » ; « tu l’étais, tu étais pro­fesseur et don­nait des leçons » ; « non je n’étais pas un imam » ; « si tu l’étais… »”.

Une douzaine de cas de tor­tures et d’enlèvements sont relatés dans le rap­port de l’ONG qui prend soin de pré­cis­er que ces affaires ne représen­tent qu’une infime par­tie des abus crédi­bles relatés par les médias et les réseaux soci­aux. Par­mi eux, celui des vil­la­geois de Şap­atan dans le dis­trict de Şemdin­li (province de Hakkari) illus­tre l’absence de droits des vic­times de vio­lence policière.

Le 5 août un offici­er de police est tué suite à un accrochage avec le PKK dans cette région que le pou­voir cen­tral à les plus grandes peines à con­trôler. Avides de revanche, les forces de sécu­rités investis­sent le vil­lage dès le lende­main et rassem­ble en son cen­tre plusieurs dizaines d’hommes. Une unité spé­ciale de la police d’une douzaine d’individus passe à tabac les vil­la­geois. Les coups pleu­vent durant des heures et se pour­suiv­ent à la direc­tion de la sécu­rité de Şemdin­li : “une fois arrivés dans le bâti­ment de la sécu­rité un offici­er nous a dit « que nous n’avions encore rien vu, que le tabas­sage ne fai­sait que com­mencer… ». Il nous a fait allonger à plat ven­tre et nous a frap­pé sur le dos avec un manche à bal­ai” racon­te l’une des victimes.

Un autre vil­la­geois affirme que “des officiers de police ont frap­pé à ma porte à 4h du matin. J’ai à peine eu le temps d’ouvrir la porte qu’ils ont com­mencé à me frap­per, à m’insulter. Comme ma mère de 80 ans essay­er de s’interposer, ils l’ont aus­si frap­pée. Ça a con­tin­ué jusqu’à 6h, jusqu’à ce que je m’évanouisse. Ils m’ont alors jeté sur le bal­con de la mai­son en me lais­sant pour mort.” Cette puni­tion arbi­traire et col­lec­tive, en dehors de tout cadre légal, a été dénon­cée par de nom­breuses vic­times à la pré­fec­ture de Hakkari qui, si elle a dans un pre­mier temps qual­i­fié les accu­sa­tions de tor­tures comme étant “totale­ment infondées et des­tinées à faire la pro­pa­gande d’une organ­i­sa­tion ter­ror­iste”, a néan­moins sus­pendu quelques jours plus tard un seul offici­er de police. Aucune suite judi­ci­aire n’a pour l’instant été don­née aux 38 plaintes déposées pour actes de tortures.

Human Rights Watch s’indigne de la pra­tique “général­isée” de la tor­ture dans les pris­ons turques. Elec­tro­chocs, mis­es à nues for­cées, sévices physiques et sex­uels, men­aces ver­bales à l’égard des proches des per­son­nes incar­cérées ; les his­toires sor­dides se suiv­ent et se ressem­blent aux par­loirs. Lorsque les détenus osent bris­er la loi du silence. C’est pour ren­forcer cette chape de plomb sur les pris­ons et ce qu’il s’y passe que la Fédéra­tion des asso­ci­a­tions d’aide et de sol­i­dar­ité aux familles des pris­on­niers (TUHAD-FED) a été con­trainte de fer­mer ses portes par un décret-loi du gou­verne­ment en 2016.

Comme le souligne un mem­bre de l’antenne locale de Van, les activ­ités de l’association dis­soute “sont essen­tielles car il y a de nom­breuses vio­la­tions des droits humains en prison, avec beau­coup de cas de tor­ture psy­chologiques ou physiques. Pour obtenir des aveux, des dénon­ci­a­tions, pour que les pris­on­niers renon­cent à leurs activ­ités passées ou sim­ple­ment pour hum­i­li­er et bris­er la per­son­ne. Nous con­nais­sons un pris­on­nier qui n’a pas de bras et qui est tou­jours détenu mal­gré une exper­tise médi­cale indi­quant que son état n’est pas com­pat­i­ble avec une incar­céra­tion. Quant aux mineurs, plus vul­nérables, ils sont l’objets de pres­sions et vio­lences pour tra­vailler avec la police. Ça se passe comme ça dans les pris­ons turques.”

A l’extérieur des cen­tres péni­ten­ti­aires, per­son­ne n’est à l’abris et la lib­erté de cha­cun peut s’interrompre bru­tale­ment. Le rap­port de Human Rights Watch s’émeut du recours de plus en plus courant aux dis­pari­tions for­cées et enlève­ments. Sont con­sid­érés comme tels les cas où une per­son­ne est détenue par les autorités sans que celles-ci ne le recon­nais­sent ou lorsqu’une per­son­ne ne con­naît pas le lieu de sa déten­tion. Ces agisse­ments sont con­traires à de nom­breuses lois inter­na­tionales dont la Turquie ne sem­ble pas avoir ouvert les livres. L’arrestation début octo­bre de sept mem­bres pré­sumés du PKK dans la région de Muğla, à l’ouest de la Turquie, est un con­den­sé du rap­port de l’ONG. Dénudés sur la route et plaqués au sol, l’identité et la mise en déten­tion de ces per­son­nes n’ont pas été com­mu­niquées par les autorités. Le lende­main en revanche, elles ont affir­mé avoir abat­tu cinq mem­bres du PKK dans cette même région de Muğla…

LISEZ AUSSI
La torture, ce terrorisme d’état
De la torture, conçue comme encart publicitaire
La torture de retour, et dans les prisons de femmes

Traductions & rédaction par Kedistan. Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Kerema xwe dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas.
Translation & writing by Kedistan. You may use and share Kedistan’s articles and translations, specifying the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you.