Si la Con­sti­tu­tion turque prévoit la fin des cam­pagnes élec­torales une semaine avant le ren­dez-vous des urnes pour le référen­dum, force est de con­stater que celle-ci bat tou­jours son plein, que l’on dis­tribue des tracts estampil­lés Evet ou des stick­ers siglés Hayır. Chaque camp jette ses dernières forces dans une bataille qui n’en finit plus de divis­er en Turquie. Une lutte pour des idéaux et une con­cep­tion de la société diamé­trale­ment opposée à l’autre où l’équité a été jetée au fond des oubli­ettes en com­pag­nie de ses cama­rades jus­tice et tolérance. Il a fal­lu beau­coup de force et de courage à tous ceux qui se sont dressés con­tre les pro­jets autori­taires d’Erdoğan. Et il en fau­dra encore après le 16 avril.

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A la pointe du com­bat con­tre la con­cen­tra­tion des pou­voirs entre les mains d’un seul homme, le HDP s’est présen­té affaib­li sur la ligne de départ référendaire tant la répres­sion subie par le par­ti en a affec­té les capac­ités opéra­tionnelles. Comme le souligne Yunus Parim, vice co-prési­dent du HDP de Van, « les pris­ons créent des vides dif­fi­ciles à combler, l’incarcération sys­té­ma­tique de nos lead­ers affecte notre équipe direc­tion­nelle et notre base mil­i­tante. Harcelés, les citoyens ne peu­vent plus par­ticiper à nos activ­ités comme avant de peur d’être assim­ilés au mou­ve­ment qui sou­tient le ‘non’, de peur de per­dre leur emploi ou d’être incar­céré. Détru­ire toute volon­té d’opposition au sein de la société civile est une stratégie plan­i­fiée par le gou­verne­ment. Elle vise à bris­er les piliers sur lesquels nous reposons. »

Les licen­ciements en masse de syn­di­cal­istes ou la vague de fer­me­ture d’organisations asso­cia­tives à la prox­im­ité naturelle avec le HDP s’inscrivent dans cette optique-là. L’Etat vise les femmes et les hommes mais aus­si les ressources matérielles. Comme dans toute bataille, aujourd’hui élec­torale, l’argent reste le nerf de la guerre et le par­ti d’Erdoğan n’a pas hésité à faire pres­sion sur les hommes d’affaires proches du HDP pour en couper les sou­tiens financiers et l’affaiblir un peu plus. Un pan­el de tac­tique poli­tique de haute volée dont est vic­time l’ensemble des par­tis de gauche et dans une moin­dre mesure le CHP ; par­ti répub­li­cain et laïc qui a rejoint les rangs de l’opposition bien tar­di­ve­ment à l’instar de dis­si­dents nation­al­istes du MHP.

Yunus Parim • Vice co-prési­dent du HDP de Van

Une oppo­si­tion diver­si­fiée qu’il était impos­si­ble d’unir face à Erdoğan. L’ennemi de mon enne­mi n’est pas for­cé­ment mon ami comme l’explique Yunus Parim : « chaque par­ti a une moti­va­tion dif­férente de l’autre. Le CHP est pour le statu quo alors que les dis­si­dents du MHP font face à une lutte interne. Les raisons de leur ‘non’ sont bien dif­férentes de celles du HDP. Nous voulons une nou­velle Con­sti­tu­tion, pas seule­ment le retrait des 18 amende­ments pro­posés par le pou­voir. Nous soutenons la trans­for­ma­tion totale d’une Con­sti­tu­tion héritée de mil­i­taires putschistes. Les Kur­des ne sont tou­jours pas recon­nus, ni les droits des minorités. Par ailleurs, nous n’oublions pas que le CHP ou le MHP ont voté la lev­ée d’immunité par­lemen­taire qui a per­mis de jeter en prison des élus de notre par­ti. Dans ces con­di­tions, il était impens­able de men­er un tra­vail d’opposition main dans la main. »

Pas d’union sacrée donc, autour d’une cam­pagne référendaire encore plus dif­fi­cile à men­er que d’ordinaire, en Turquie. Comme le révèle le jeune trente­naire, le HDP « essaie de faire de la poli­tique dans un con­texte de guerre. La loi élec­torale assure aux par­tis poli­tiques de pou­voir men­er cam­pagne où ils le veu­lent, avec n’importe quels moyens. Dans le cadre de l’état d’urgence, cela n’a pas été le cas. Nous n’avons pas béné­fi­cié des droits con­sti­tu­tion­nels, nos activ­ités sont sur­veil­lées et les admin­is­tra­teurs sont une entrave per­ma­nente à notre cam­pagne. Il y a deux poids, deux mesures. » Car c’est tout un appareil d’Etat qui est mis au ser­vice d’un ‘oui’ qui a pris dès le départ la forme de plébiscite pour un seul homme. Celui-ci utilise tous les moyens dont il dis­pose pour graver dans le mar­bre la fin de la démoc­ra­tie en Turquie, déjà effec­tive depuis de nom­breux mois.

Bedia Özgökçe Ertan • Députée HDP de la province de Van

Les médias turcs, détenus dans leur qua­si-total­ité par des proches du pou­voir, se sont fait le relais exclusif de la volon­té éta­tique. Dif­fi­cile ces dernières semaines de pass­er une journée sans voir sur les chaînes télévisées le prési­dent ou son pre­mier min­istre s’échiner à con­va­in­cre du bien-fondé de leur som­bre des­sein. Pen­dant ce temps-là, l’opposition fait face à une cen­sure médi­a­tique sans précé­dent. « Depuis juin 2015, aucun représen­tant du HDP ne s’est exprimé à la télévi­sion turque. Alors que la loi élec­torale garan­tis­sait un temps de parole égal entre les dif­férents par­tis, elle a été mod­i­fiée par un décret-loi, déclare Bedia Özgökçe Ertan, députée HDP de la province de Van. Aucun média ne par­le de la cam­pagne pour le ‘non’. Bien que ren­due pas­sive et inopérante, l’Assemblée turque et sa tri­bune sont dev­enues nos seuls moyens d’expressions télévisés car la dif­fu­sion publique des ‘débats’ y est oblig­a­toire. » Certes quelques meet­ings publics parvi­en­nent à pass­er entre les mailles du filet de l’interdit gou­verne­men­tal mais ce n’est sans com­mune mesure avec le battage médi­a­tique accom­pa­g­nant chaque inter­ven­tion des caciques au pouvoir.

Omniprésent dans les médias, le ‘oui’ au référen­dum s’est aus­si invité dans les mosquées. Dépen­dants du min­istère des Affaires religieuses (Diyanet) et rémunérés par celui-ci, les imams de Turquie se sont fait l’écho de la volon­té éta­tique. Ce mélange des gen­res ne manque pas d’intriguer et d’irriter par­mi les croy­ants, lassés d’entendre des ser­mons poli­tiques au milieu de leurs prières.

Si tout a été mis en œuvre pour con­di­tion­ner le pays à répon­dre par l’affirmative au référen­dum, il en va de même con­cer­nant le jour-même du 16 avril. Out­re les pop­u­la­tions kur­des dont on ne sait trop com­ment elles pour­ront vot­er parce que déplacées par les destruc­tions de leurs quartiers, villes et vil­lages, les cam­pagnes du sud-est ont vu les bureaux de vote être regroupés. Et une fois encore rien n’est lais­sé au hasard. « Par exem­ple, pour une zone de cinq vil­lages dont qua­tre ont voté HDP lors des dernières élec­tions, les urnes seront instal­lées dans le seul vil­lage ayant voté AKP ou celui avec une forte présence de la gen­darmerie. Dans ces régions mon­tag­neuses dif­fi­ciles d’accès, les moyens de trans­ports sont rares pour la pop­u­la­tion, et la crainte d’aller vot­er “non” avec toutes ces pres­sions, bien réelle. Il s’agit pour le pou­voir de pouss­er à l’abstention. Nous ten­tons avec le HDP de résoudre ces prob­lèmes de trans­ports mal­gré le coût impor­tant que cela engen­dre » déplore Yunus Parim. Dans cer­tains cas, les citoyens devront par­courir plus de 50 kilo­mètres pour se ren­dre à l’isoloir. Intim­i­da­tion, décourage­ment et prob­lème financier de l’opposition, la boucle est bouclée pour Ankara.

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Quant au déroule­ment du scrutin, il sera sur­veil­lé par une com­mis­sion élec­torale présente dans chaque bureau de vote. Les cinq par­tis arrivés en tête lors des dernières élec­tions, soit l’AKP, le CHP, le MHP, le HDP et le SP (Par­ti de la félic­ité, islamiste), désig­nent cha­cun un délégué. Le prési­dent de la com­mis­sion chargée de super­vis­er le vote est alors tiré au sort, les qua­tre autres étant ses assesseurs. Dans les faits, les délégués du HDP et du CHP tirés au sort sont bien sou­vent rejetés par les trois autres par­tis affil­iés au pou­voir qui invo­quent alors d’éventuels trou­bles à l’ordre pub­lic. Une par­tial­ité qui ne fait qu’alimenter les craintes de voir le vote pop­u­laire manip­ulé par les autorités à son avantage.

Malgré son emprise totale, Erdoğan voit l’issue du référendum demeurer bien incertaine.

Il a usé de toutes ses affreuses cartes pour con­tenter sa faim de pou­voir absolu. Il a réprimé dans les larmes et dans le sang, il a cher­ché à faire peur, à divis­er une société turque déjà hétérogène par nature. Un pays “au cen­tre du monde” aujourd’hui de plus en plus isolé. La Turquie n’a peut-être pas enter­ré dans sa majorité ses aspi­ra­tions à une démoc­ra­tie tou­jours impar­faite et ce sont sans doute les indé­cis qui fer­ont pencher la balance.

On dit sou­vent du ‘non’ qu’il n’est pas con­struc­tif mais face à un ‘oui’ qui ne sem­ble jamais avoir été aus­si destruc­tif, ce ‘non’ ferme et diver­si­fié n’a en fait jamais eu autant de sens.

Si les résul­tats du scrutin sont d’une impor­tance cap­i­tale pour la Turquie, ils ne seront pas irréversibles. Nous sommes nom­breux à souhaiter voir le rejet l’emporter mais comme le rap­pelle la députée HDP Bedia Özgökçe Ertan, « peu importe l’issue du référen­dum, il ne con­stitue pas une fin en soi. Puisque les lois ne sont plus appliquées dans ce pays, tout restera possible. »

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NON !


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