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Les per­son­nes que vous voyez sur l’im­age, sont Hur­muz (71 ans) et Şimu­ni Diril (65 ans). Le cou­ple assy­ro-chaldéen fut porté dis­paru le 11 jan­vi­er 2020.

Le 21 mars 2020, le corps sans vie de Şimu­ni, fut retrou­vé par les mem­bres de sa famille, dans une riv­ière, près de leur vil­lage, au 70ème jour de sa disparition.

Quant à Hur­muz, lui, mal­gré les recherch­es de sa famille, leur larmes et cris, il reste tou­jours introu­vable, depuis main­tenant 2 ans…

Pour ce cou­ple syr­i­aque, qui fai­sait par­tie des minorités dis­crim­inées, opprimées, en Turquie, par­mi la moins nom­breuse, la vie fut loin d’être un fleuve tranquille…

Autre­fois, leur vil­lage s’ap­pelait Meer, en chaldéen. Rebap­tisé, il s’ap­pelle aujour­d’hui “Kovankaya”, en turc. Ain­si il fut “turquifié” comme le nom de nom­breux lieux ayant abrité ou abri­tant encore des pop­u­la­tions minori­taires, tou­jours dans la mire de la turcité. L’as­sim­i­la­tion, la destruc­tion des cul­tures et langues autres que turques, la néga­tion de l’ex­is­tence des peu­ples, passe aus­si par les pan­neaux de vil­lages et les plaques de rues…

Meer village Cumhuriyet

Les vil­la­geois de Beytüşşe­bap for­cés à l’ex­il recherchent le moyen de revenir. dans leur pays. (Archives du jour­nal Cumhuriyet) Cliquez pour agrandir.

Meer se trou­ve dans le dis­trict Beytüşşe­bap, de la province du sud-est de Şır­nak. Le vil­lage fut un des 14 vil­lages incendiés, dont les habi­tants furent for­cés de se déplac­er. Pourquoi ? Le pré­texte fut sim­ple­ment alors le refus des vil­la­geois de devenir des “gardes” (koru­cu), faisant office d’à la fois de mil­ice et de dénon­ci­a­teur, pour le compte de l’Etat…

Les vil­la­geois furent “évac­ués” en 1989, une pre­mière fois. Puis, qua­tre familles revin­rent en 1992. Mais en 1994, Meer fut l’ob­jet d’une nou­velle évacuation.

Le milieu des années 1990 furent, sou­venez-vous, celles de la relance de l’idée du pro­jet d’ad­hé­sion à l’U­nion Européenne et à ses “valeurs”. Un cer­tain François  Mit­ter­rand, prési­dent français, ren­con­trait alors en avril 1992 le prési­dent turc Turgut Özal, pour ce faire. Un mois avant, le Newroz kurde de mars 1992 avait pour­tant été dure­ment réprimé et il y avait eu des dizaines de morts. Les pris­ons étaient déjà pleines. Ce furent aus­si les années où la Turquie accueil­lait des réfugiés de Bosnie Herzé­govine, se faisant ain­si une vir­ginité sur la ques­tion de l’épu­ra­tion eth­nique pra­tiquée par les nation­al­istes serbes et croates. Images hyp­ocrites pour l’ex­térieur, et pra­tiques iden­tiques à l’in­térieur, avec les mêmes argu­ments nationalistes.

Revenons, à Meer. C’est aus­si un de ces vil­lages vidés de ses âmes, où des cas de “dis­pari­tions en garde-à-vue” ont mar­qué les mémoires. Les petits enfants de l’on­cle de Şimu­ni Diril, sont portés dis­parus depuis 1994. İlyas et Zeki Diril, respec­tive­ment 12 et 16 ans à l’époque, étaient par­tis avec leur famille à Istan­bul, après l’é­vac­u­a­tion de leur vil­lage en 1989, y avaient tra­vail­lé, économisé, et voulait retourn­er au vil­lage, pour retrou­ver leurs par­ents qui les y avaient précédés. En arrivant à Şır­nak, ils se firent arrêter, le 2 mai 1994, dans un point de con­trôle, et furent placés en garde-à-vue. Depuis, aucune nou­velle, ni traces…

Les enquêtes ouvertes pour cha­cun des enfants furent classés sans suite. La famille de Zeki sol­lici­ta la Cour européenne des droits humains (CDEH). La Cour déci­da que l’E­tat turc était respon­s­able de la dis­pari­tion de Zeki Diril, et en una­nim­ité, con­damna la Turquie. Et… et il ne se pas­sa rien.

Les noms des deux garçons, figés au print­emps de leur vie, sont dans la longue liste des dis­parus… Les “Mères du Same­di”, lors de leur 628ème semaine, demandaient d’ailleurs, avec leur per­son­ne, des comptes sur le sort de tous les enfants “dis­parus de force”.

Hur­muz et Şimu­ni, qui ont cher­ché leurs proches pen­dant des années, ne savaient pas qu’ils allaient dis­paraitre eux aus­si, un jour, à leur tour…

Hurmuz et Şimuni Diril

Lorsqu’on est for­cés de s’ex­il­er ailleurs, ne rêve-t-on pas tou­jours, de revenir au bercail ? Hur­muz et Şimu­ni com­mencèrent à par­tir de 2011, à retourn­er au vil­lage, peu à peu, avec leurs enfants, pour y pass­er env­i­ron cinq mois, au print­emps et en été. Le cou­ple s’y réin­stal­la défini­tive­ment en 2014.

Dans la vidéo, vous les voyez s’af­fair­er avec ent­hou­si­asme pour faire revivre leur vil­lage, où vivait à l’époque épisodique­ment plus de 700 per­son­nes. Il n’est pas dif­fi­cile de ressen­tir leur bon­heur de retrou­ver leur pays natal, même si durant l’été, seules quelques maisons ré-ouvrent leur porte. L’hiv­er, leur chem­inée est une des deux seules à fumer au vil­lage… 

Si vous voulez en savoir plus, vous pou­vez vision­ner ce doc­u­men­taire inti­t­ulé “Meer racon­té par nos aïeuls” sous-titré en français, dont vous venez de voir l’ex­trait ci-dessus. Il offre d’é­mou­vants témoignages sur ce “vil­lage chré­tien assy­ro-chaldéen dans le nord de la Mésopotamie (sud-est de la Turquie actuelle) qui aurait été fondé par 6 familles il y a env­i­ron 500 ans, d’après les anciens”. Réal­isé par Bedri Hur­muz Diril en 2015, c’est aus­si “un vibrant hom­mage aux défunts et aux aïeuls qui  racon­tent leur vécu et la mémorable his­toire de leur vil­lage à tra­vers le temps.”

Il existe aus­si un site, dédié au vil­lage Meer : www.meer.fr

Ain­si, la mort de ces deux vil­la­geois a‑t-elle rejoint la longue liste des “dis­parus” en Turquie, même si l’un des corps a été retrou­vé. Toutes les hypothès­es ont été envis­agées, mais le fait qu’il s’agisse d’un cou­ple con­sid­éré comme “à assim­i­l­er”, alors que leurs ancêtres furent par­mi les pre­miers à vivre en ces lieux, ori­ente bien sûr ces hypothès­es vers le crime “raciste”, du fait qu’ils soient “des autres”, aux yeux de la turcité nation­al­iste régnante.

C’é­tait il y a seule­ment deux ans. 

 


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.