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Nous traduisons cet arti­cle car il nous sem­ble très per­ti­nent pour expli­quer pourquoi les autorités de bon nom­bre d’E­tats européens n’hési­tent plus aujour­d’hui à entre­pren­dre l’ex­pul­sion de mil­i­tants kur­des vers la Turquie, ou de s’op­pos­er à leur accueil au titre du droit d’asile, via des pré­fec­tures en France, par exem­ple, alors qu’ils/elles sont per­sé­cutées en Turquie par le régime, et que toutes les preuves en sont apportées.

Ces cas se mul­ti­plient ces derniers temps.

L’UE renou­velle régulière­ment à la Turquie son désir de “bonnes rela­tions”, et recon­duit l’ac­cord sur les “migrants” et sa rétri­bu­tion finan­cière, à chaque échéance. Le fait que le régime turc n’exé­cute pas les deman­des de la Cour Européenne (CDEH) de libér­er Sela­hat­tin Demir­taş ou Osman Kavala n’af­fecte en rien les bonnes rela­tions bilatérales, et notam­ment en matière de police inter­na­tionale, con­cer­nant les opposant.e.s au régime Erdoğan. Sous cou­vert d’ac­cords sur la migra­tion, l’UE accepte donc d’in­clure dans les listes noires de l’e­space Schen­gen les noms désignés par la police turque. Quand on sait par ailleurs qu’In­ter­pol, dont le siège est en Turquie, sera dirigé par un ex-tor­tion­naire des Emi­rats, le tableau est com­plet. Notices rouges, listes noires, auront donc longue vie…

Les autorités français­es, non con­tentes de s’être alignées sur la poli­tique améri­caine d’a­ban­don des Kur­des de Syrie, font du zèle lorsqu’il s’ag­it de ne pas accueil­lir celles et ceux qui fuient les zones de guerre, et les lais­sent se noy­er en Manche lorsqu’ils ten­tent leur chance vers l’An­gleterre. Mais elles freinent pour­tant les deman­des d’asile de réfugié.es provenant de Turquie. L’ex­trême droiti­sa­tion de la vie poli­tique française, sur les ques­tions migra­toires, n’ex­pliquent pas tout. Une poli­tique de coopéra­tion poli­cière avec la Turquie, engagée sous la prési­dence “social­iste” Hol­lande, se pour­suit sous celle de son suc­cesseur, avec les mêmes acteurs aux com­man­des aux “affaires étrangères”.

La dias­po­ra kurde en France devrait donc, plus que jamais, se méfi­er de ses faux amis.

Le main­tien égale­ment du PKK sur les listes inter­na­tionales des “organ­i­sa­tions ter­ror­istes”, alors que les Kur­des ont coopéré mil­i­taire­ment avec les puis­sances mil­i­taires inter­na­tionales con­tre Daesh, con­tribue égale­ment aux pré­textes de répres­sion anti kurde, con­stante de l’E­tat turc.

De la même façon, les “inter­na­tion­al­istes” qui ont com­bat­tu Daesh aux côtés des Kur­des, sont fichés et ain­si crim­i­nal­isés, alors qu’on attend tou­jours que soit menée à terme les enquêtes sur les crimes com­man­dités par la Turquie à Paris par exemple…

Cet arti­cle décrit donc des aspects vis­i­bles de ces poli­tiques de coopéra­tion poli­cières con­tre les mil­i­tants qui défend­ent aujour­d’hui des caus­es fon­da­men­tales, alors que l’UE pour­suit sa réal poli­tique, ses ventes de matériel mil­i­taire, et la fer­me­ture des frontières.


Turquie

Le jour­nal­iste Matt Broom­field, arrêté par les Grecs comme per­son­ne indésir­able. Pho­to : Matt Broom­field (CEDIDA)

Arti­cle de Fer­ran Bar­ber pub­lié en castil­lan dans Públi­co, le 18 décem­bre 2021.

L’Allemagne interdit à un Anglais d’entrer dans l’espace Schengen et expulse une Espagnole, avec une interdiction de territoire de 20 ans, pour avoir soutenu les Kurdes.

Les mil­i­tants liés au Roja­va dénon­cent le fait que l’ad­min­is­tra­tion alle­mande les a inclut sur des listes noires et qu’ils fassent ain­si l’ob­jet de repré­sailles. Ils sup­posent que la Turquie est der­rière cette persécution.

Jamais, dans ses pires cauchemars, il n’au­rait pu imag­in­er une chaîne d’événe­ments telle que celle qui l’a rat­trapé au début de l’an­née. Le jour­nal­iste bri­tan­nique Matt Broom­field ten­tait d’en­tr­er en Ital­ie depuis la Grèce, lorsque la police grecque l’a infor­mé que son nom avait été inclus par l’Alle­magne dans le sys­tème d’in­for­ma­tion Schen­gen, en tant que “per­son­ne indésir­able”. À la demande de Berlin, le reporter anglais avait été en effet inter­dit d’en­trée dans les 26 pays de l’e­space Schen­gen, pour les dix prochaines années. Broom­field a égale­ment été immé­di­ate­ment arrêté et placé dans l’un de ces cen­tres de déten­tion pour migrants. Il est le pre­mier — et jusqu’à présent le seul — Occi­den­tal à avoir vécu une telle expérience.

La descrip­tion que fait Broom­field des con­di­tions de vie de ces migrants et de son pro­pre séjour de deux mois est ter­ri­fi­ante. Le pire, c’est qu’il ne sait même pas pourquoi les Alle­mands le con­sid­èrent comme un “indésir­able”. “Tout ce qu’on m’a dit par rap­port à ce qui s’est passé, c’est que j’ai été inclus par l’Alle­magne dans le sys­tème d’in­for­ma­tion Schen­gen”, a déclaré le jour­nal­iste à ce jour­nal. “Nous savons qu’un autre médecin bri­tan­nique qui se trou­vait au Roja­va a reçu une inter­dic­tion iden­tique, ce qui con­firme que la sanc­tion qui m’a été infligée a un rap­port avec mon tra­vail au cen­tre d’in­for­ma­tion du Roja­va.” Cette organ­i­sa­tion, dont Matt est l’un des fon­da­teurs, tra­vaille depuis des années avec des jour­nal­istes du monde entier, four­nissant des infor­ma­tions sur l’évo­lu­tion de la sit­u­a­tion en Syrie du Nord et de l’Est (NES), le ter­ri­toire autonome con­trôlé par les Kurdes.

Le fait que les autorités kur­des qui gou­ver­nent la NES aient passé des années à com­bat­tre ISIS sous la ban­nière d’une coali­tion qui com­pre­nait égale­ment les Améri­cains et les Bri­tan­niques eux-mêmes, pose un para­doxe presque insol­u­ble : que des per­son­nes soient pour­suiv­ies pour avoir col­laboré avec une admin­is­tra­tion avec laque­lle leurs pro­pres gou­verne­ments lut­taient main dans la main. “Les juges bri­tan­niques ont dit un jour, à pro­pos d’autres affaires sim­i­laires, ‘com­ment quelqu’un pour­rait être accusé de ter­ror­isme pour des actes com­mis avec le sou­tien de l’ar­mée de l’air bri­tan­nique elle-même”, souligne M. Broomfield.

Selon la loi donc, si une per­son­ne comme moi représente une men­ace sérieuse pour la sécu­rité, elle doit être incluse dans les sys­tèmes d’in­for­ma­tion Schen­gen. Évidem­ment, que je ne suis pas une men­ace. Presque tous ceux qui y fig­urent sont comme moi. Il y a des cen­taines de mil­liers de per­son­nes sur ces listes et la plu­part d’en­tre elles sont sim­ple­ment des migrants. Cer­tains États utilisent ces listes comme un mécan­isme légal pour expulser qui ils veu­lent. D’autres les utilisent pour cibler les mil­i­tants des droits de l’homme ou les avo­cats. La Pologne, par exem­ple, a inter­dit l’en­trée sur son ter­ri­toire au respon­s­able d’une ONG, un jour­nal­iste suisse turc. Le Roy­aume-Uni, l’I­tal­ie, le Dane­mark, la Bel­gique et l’Alle­magne ont pris des mesures con­tre des per­son­nes qui se sont ren­dues au Roja­va ou qui ont soutenu le mou­ve­ment kurde. En Aus­tralie ou au Dane­mark, c’est un crime d’aller au Roja­va, indépen­dam­ment de ce que vous avez fait là-bas”, explique Broomfield.

Le jour­nal­iste soupçonne la Turquie d’avoir envoyé à l’Alle­magne une liste de noms qu’elle utilise pour men­er sa pro­pre chas­se aux sor­cières, une ver­sion alle­mande de la chas­se aux sor­cières de McCarthy. Comme le séna­teur améri­cain, Berlin sou­tient son dji­had con­tre les mou­ve­ments de sol­i­dar­ité kur­des, avec sa pro­pre ver­sion actu­al­isée de la “peur rouge”, qui, dans ce cas devrait s’ap­pel­er la “peur kurde”.

Il y a eu six ten­ta­tives au Roy­aume-Uni pour pour­suiv­re les anciens mem­bres de la mil­ice kurde YPG, par dif­férentes voies légales, mais elles ont toutes échoué. Un garçon nom­mé Daniel Burke a passé 18 mois en prison avant d’être libéré sans charge”, souligne le jour­nal­iste bri­tan­nique. “Ils ont égale­ment essayé d’in­culper le père d’un mili­cien des YPG appelé Daniel Newey pour avoir envoyé 150 £ à son fils. Ils voulaient l’ac­cuser de ter­ror­isme. Dans mon cas, ce ne fut jamais un secret que j’é­tais dans le nord et l’est de la Syrie, parce que j’é­tais sou­vent dans les journaux”.

Plus de 100 Espag­nols ont com­bat­tu ou effec­tué des travaux civils dans le nord et l’est de la Syrie. En 2015, un mili­cien gali­cien nom­mé Arges Arti­a­ga a en effet été jugé, pour être inculpé de meurtre, mais l’Au­di­ence nationale a rejeté l’ac­cu­sa­tion. Il existe cepen­dant un cas beau­coup plus récent de per­sé­cu­tion impli­quant une fémin­iste espagnole.

Une activiste espagnole réprimée

María V. a eu le malheureux honneur d’être la première militante à être expulsée d’Allemagne pour son soutien explicite au mouvement kurde. La féministe a été expulsée sans procès par les autorités allemandes, accusée de servir de lien “entre la gauche radicale et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan)”.

La déci­sion lui a été com­mu­niquée par trois officiers civils du com­mis­sari­at de Halle, qui lui ont remis en octo­bre dernier un avis du bureau de l’im­mi­gra­tion de Magde­bourg, lui deman­dant de quit­ter le pays dans les 30 jours parce qu’elle avait per­du “son droit à la libre cir­cu­la­tion en Alle­magne en tant que citoyen de l’U­nion européenne”.

En ver­tu de cette ordon­nance, l’in­ter­na­tion­al­iste sera inter­dite d’en­trée en Alle­magne pen­dant 20 ans à compter de la date à laque­lle la déci­sion a été com­mu­niquée. Les autorités ont jus­ti­fié leur déci­sion par le fait que Maria représente une men­ace pour la sécu­rité de la République fédérale d’Alle­magne. En out­re, elle est accusée d’avoir séjourné trop longtemps dans le pays sans liens famil­i­aux, sans tra­vail, sans assur­ance et sans source de revenus, d’où il résulte qu’elle a util­isé son séjour dans le pays “exclu­sive­ment pour par­ticiper et organ­is­er des activ­ités poli­tiques liées au mou­ve­ment de libéra­tion kurde con­tre la Turquie”.

Selon l’a­gence de presse kurde ANF, le doc­u­ment l’in­for­mant de son expul­sion du pays souligne que, depuis 2014, Maria a pris part à des rassem­ble­ments, des protes­ta­tions, des man­i­fes­ta­tions et d’autres événe­ments poli­tiques, dans des endroits tels que Leipzig, Magde­bourg et Berlin. L’Es­pag­nole a été inter­rogée sur ses con­nais­sances en infor­ma­tique et en langue kurde car, selon le site d’in­for­ma­tion, elles lui ont per­mis de con­tribuer à la con­sti­tu­tion d’un réseau “et de servir de lien entre la scène de la gauche rad­i­cale en Alle­magne et le mou­ve­ment de libéra­tion kurde”. L’in­ter­dic­tion de retour dans le pays pen­dant vingt ans ne peut être appliquée que dans les cas de crimes de guerre, de crimes con­tre l’hu­man­ité ou de ter­ror­isme, ce qui donne la mesure de la sévérité de la résolution.

Turquie

Des Kur­des et des Européens protes­tent con­tre la poli­tique d’Er­doğan en Alle­magne. Pho­to: Zinar Ala (CEDIDA)

Les Kur­des eux-mêmes esti­ment que la déci­sion a été prise à titre d’ex­em­ple. “L’É­tat tente d’ou­vrir une porte pour crim­i­nalis­er les per­son­nes poli­tique­ment actives sans passe­port alle­mand afin de les expulser à volon­té”, a déclaré l’ANF dans un com­mu­niqué. “Tous les Kur­des vivant en Alle­magne sont soupçon­nés de ter­ror­isme en rai­son de l’in­ter­dic­tion du PKK. Les ten­ta­tives de crim­i­nal­i­sa­tion de l’ini­tia­tive Abol­ish Ban, qui appelle à la décrim­i­nal­i­sa­tion du PKK et à la lev­ée de l’in­ter­dic­tion du PKK, en sont un autre exem­ple”. La date de l’ex­pul­sion a coïn­cidé avec le 26 novem­bre, qui est aus­si l’an­niver­saire de l’in­ter­dic­tion du PKK. Maria V. a du mal à croire qu’il s’agisse d’une sim­ple coïncidence.

Condamnée sans procès

La mil­i­tante expul­sée a expliqué à l’ANF qu’elle a appris cette déci­sion en octo­bre lorsqu’elle a été con­vo­quée au siège de la police à Halle, en Saxe. “J’ai été infor­mée que je dis­po­sais de 30 jours pour quit­ter le pays, et comme cette péri­ode était ter­minée, j’ai dû quit­ter l’Alle­magne”, a‑t-elle déclaré le 27 novem­bre. La fémin­iste espag­nole a souligné le car­ac­tère arbi­traire de la déci­sion, qui n’a été prise par aucun tri­bunal ou organe judi­ci­aire : “Ma con­nais­sance du kurde et ma par­tic­i­pa­tion à des man­i­fes­ta­tions sont les excus­es qu’ils men­tion­nent pour appuy­er leur ordre d’ex­pul­sion. Bien que je n’aie aucun par­ent en Alle­magne, on pré­tend que je vis ici depuis des années, tout en insin­u­ant que c’est un crime d’u­tilis­er mes con­nais­sances et mon expéri­ence au prof­it des Kur­des”.

L’or­dre d’ex­pul­sion fait référence à la fois à des man­i­fes­ta­tions organ­isées le 8 mars dans le cadre de la Journée inter­na­tionale des femmes tra­vailleuses et à des événe­ments liés à Ham­bach­er Forst, l’un des mou­ve­ments envi­ron­nemen­taux les plus con­nus d’Alle­magne. Maria V. a attiré l’at­ten­tion sur le fait qu’il est sug­géré qu’il y a quelque chose de crim­inel à par­ticiper à des man­i­fes­ta­tions tout à fait légales et paci­fiques. “Mal­gré le fait que je n’ai exer­cé aucune activ­ité illé­gale en Alle­magne, j’ai été mise à la porte”, a‑t-elle déclaré.

La fémin­iste, qui a fait appel de la déci­sion par l’in­ter­mé­di­aire de son avo­cat, est cer­taine que son expul­sion est une con­séquence de ses pris­es de posi­tion inter­na­tion­al­istes et de son sou­tien à la lutte du peu­ple kurde. “Je veux que les Kur­des vivent libres comme les autres peu­ples. Et en Alle­magne, c’est donc un crime pour un Espag­nol de pour­suiv­re de tels objec­tifs et d’ap­pren­dre le kurde”.


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