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Plus per­son­ne ne peut faire sem­blant de n’avoir rien vu de ces main­tenant quelques mil­liers de migrants envoyés con­tre une fron­tière de bar­belés entre la Biélorussie et la Pologne, pour règle­ments de comptes géopoli­tiques, entre les états de l’UE et les satel­lites de la Russie.

Et pour celles et ceux qui n’au­raient pas encore saisi totale­ment l’am­pleur de ce qui se déroule là, la pos­si­ble nou­velle flam­bée des prix du gaz pour­rait leur déciller prochaine­ment les yeux.

Des édi­to­ri­al­istes nom­breux par­lent d’une “arme nou­velle” util­isée par l’ ”Etat voy­ou de Biélorussie” : instru­men­talis­er des migrants pour obtenir la lev­ée de sanctions.

L’arme est si nou­velle qu’en 1947, elle fut déjà util­isée pour boule­vers­er la géopoli­tique du Moyen-Ori­ent. L’Eu­rope se débar­ras­sait alors de ses migrants juifs rescapés de l’holo­causte et réglait en même temps ses dernières rival­ités colo­niales, après une guerre mon­di­ale sanglante. En 2021, c’est le roy­aume du Maroc qui s’en est servi aus­si. Cette même “nou­veauté” fut plus récem­ment util­isée par l’E­tat turc, et sert défini­tive­ment de baromètre entre l’UE et le régime Erdoğan, pour toute diver­gence d’intérêts.

L’U­nion Européenne a en effet “armé” con­tre elle le régime turc, en lui con­fi­ant par accord financier recon­ductible la “garde” d’une de ses fron­tières. Cet accord scélérat sur les migrants per­met donc à Erdoğan de tir­er sur la ficelle de temps à autre, et il ne s’en est pas privé ces dernières années.

Il sem­ble bien, étant don­né que la com­pag­nie aéri­enne nationale turque, étroite­ment liée au pou­voir, sert volon­tiers de “char­ter” pour migrants en direc­tion de Min­sk, que la main d’Er­doğan soit aus­si présente là pour plaire à l’al­lié russe de la Biélorussie.

On pour­rait longtemps se pos­er, assis devant un écran, la ques­tion du pourquoi ces migrants kur­des, syriens, irakiens pour beau­coup, familles, femmes, enfants, se sont lais­sés piéger par de cyniques cal­culs, et ont servi de chair poli­tique, croy­ant à une porte de salut ouverte.

Pos­er cette ques­tion serait sim­ple­ment démon­tr­er com­bi­en les guer­res et le dénue­ment qu’elles entraî­nent sur des pop­u­la­tions entières, fait per­dre tout dis­cerne­ment lorsqu’il s’ag­it de sauver le peu de vie qui reste. La volon­té de survie est la garantie même de l’e­spèce humaine, et le ressort du vivant sur la planète.

Et il ne suf­fi­ra pas, sur des chaînes de télévi­sion européenne, de don­ner la parole à des activistes de l’ex­trême droite polon­aise, qui décrivent le “mirage des aides et allo­ca­tions ver­sées, l’ap­pel d’air”, pour cacher une réal­ité crue, celle de la pre­mière dizaine de morts enreg­istrée, si tant est qu’il soit pos­si­ble de véri­fi­er, la zone étant désor­mais sous con­trôle polici­er et militaire.

La déci­sion poli­tique prise lors de la pre­mière sig­na­ture avec Erdoğan remet­tait l’arme des “migrants” entre les mains de tout Etat trou­vant querelle avec un Etat de l’UE. Et les muni­tions pour ali­menter cette arme ne man­quent pas. Elles sont fab­riquées en masse par ces mêmes Etats, directe­ment ou indi­recte­ment, au coeur de toutes les guer­res ouvertes ou larvées du Moyen-Ori­ent, et bien au-delà.

Que la Biélorussie s’en empare aujour­d’hui, alors qu’elle dis­pose déjà d’un robi­net de gaz pour négoci­er, est seule­ment la démon­stra­tion que la poli­tique xéno­phobe des Etats de l’UE est telle qu’elle tran­spire et donne des idées au plus obtus des autocrates.

C’est donc cette pince qu’il faut interroger.

• Celle de l’a­ban­don des Kur­des par exem­ple, dès lors que la chair à canon con­tre ISIS deve­nait moins utile pour les intérêts au Moyen-Ori­ent, l’a­ban­don en rase cam­pagne des con­séquences de ces guer­res, en terme de réfugiés, déplacés, boule­verse­ments soci­aux, au prof­it d’al­liances renou­velées ou en cours avec les puis­sances régionales, chi­ennes de garde, et d’ac­cords tacites avec la Russie de Poutine.

• Celle de l’UE forter­esse, recro­quevil­lée dans sa volon­té de lutte con­tre les migra­tions, et pour­tant en même temps dépen­dante de l’ou­ver­ture de ses fron­tières aux marchan­dis­es et aux flux financiers.

Tout Etat mafieux y trou­verait de quoi exercer des chan­tages, alors qu’il aurait sous la main toute la mis­ère humaine pour les alimenter.

La con­fig­u­ra­tion géo­graphique fait égale­ment que la Biélorussie pré­cip­ite les migrants con­tre une fron­tière de bar­belés d’un des Etats européens, avec la Hon­grie, les plus rétifs aux migra­tions. Au point même qu’il y a peu encore, elle blo­quait les opposants biéloruss­es, dès lors où il s’agis­sait de démoc­rates peu favor­ables au régime poli­tique cléri­cal d’ex­trême droite polon­ais, pour qui la loi locale “sou­veraine” l’emporte sur les engage­ments européens signés en matière de droits humains.

Et, cerise sur le gâteau, des dirigeants européens se pronon­cent déjà pour accorder quelques mil­lions pour rac­com­mod­er la fron­tière, voire y établir un mur.

Vis­i­ble­ment, le cal­cul qui est fait là, planche à bil­lets à l’ap­pui, ne s’embarrasse pas du sort de la chair de migrants qui pour­ra bien se con­gel­er durant l’hiv­er. Le souci est de bouch­er le trou dans la muraille d’Eu­rope, avant d’en­tamer prob­a­ble­ment une nième négo­ci­a­tion sur le gaz.

Ain­si, alors que la France va entamer bien­tôt un tour de “Prési­dence européenne”, l’UE pour­rait bien aus­si don­ner des gages au régime polon­ais, alors qu’il était ques­tion de sanc­tions il y a peu encore. La poli­tique migra­toire de l’UE qui est en réal­ité de fer­me­ture, déguisée der­rière un ver­biage juridique, pour­rait ain­si gliss­er encore plus vers la posi­tion xéno­phobe des Etats dits “sou­verain­istes”. FRONTEX n’a déjà rien d’un cen­tre d’ac­cueil pour les droits humains.

La France, en proie aux haines racistes et xéno­phobes, déguisées der­rière une façade élec­torale, y trou­verait son compte.

Et même si face à un sen­ti­ment de dépasse­ment qui nous con­fine à l’im­puis­sance, une “péti­tion” est vaine et dérisoire, pou­voir se compter et savoir et faire savoir qu’il existe encore quelque part une flamme de résis­tance, ne peut faire de mal. Signez, faites signer…

Je ter­min­erai en dis­ant que si les regards sont de fait tournés vers la Pologne, per­son­ne n’ou­blie le cimetière marin de Méditer­ranée, les qua­si camps d’in­terne­ments de réfugiés en Grèce, l’esclavage des migrants en Libye, les noy­ades en Manche, la répres­sion quo­ti­di­enne des migrants dans le Nord de la France, à Calais et Dunkerque, les morts quo­ti­di­ennes et inces­santes sur ces routes de l’ex­il… Et j’en oublierai presque les migra­tions intra-con­ti­nen­tales en Afrique elle même, où au Sud de l’Amérique.

Face à ces migrantEs, la haine et la xéno­pho­bie con­tin­u­ent de grand rem­plac­er ce qui restait d’hu­man­ité dans ce chaos cap­i­tal­iste, et la crise cli­ma­tique qui abon­dera ces routes de l’ex­il, à l’é­gal des guer­res en cours, ne sem­ble pas frein­er les pop­ulismes identitaires.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…