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Mertcan Güler est un jeune de Turquie et appartient comme certains sociologues le définissent, à la “génération Z”. Il est né dans une famille de classe moyenne, musulmane et turque, de Mersin, en 1992, lors de la période “obscure” de la Turquie, où j’étais encore étudiant. A cette époque, j’étais un militant actif du mouvement de la libération kurde, qui luttait avec l’idéologie marxiste-léniniste, et une perspective de révolution, d’abord au Kurdistan, puis l’ensemble de la Turquie, et ensuite le Moyen-Orient.
C’était le temps où les “Toros blanches“1 enlevaient en pleine rue les politiques, journalistes, étudiantEs, ou femmes et hommes d’affaire, kurdes et opposants, et que des jours plus tard nous retrouvions leur corps sans vie dans des fossés en bord de routes. De ces jours jusqu’aujourd’hui beaucoup de belles personnes se sont battues pour que les choses changent. Qu’y a‑t-il de changé, à part le fait que les “Ranger noires“2 sont remplacées par les “Toros blanches” ? C’est tout un autre sujet de discussion…
A cette époque, étant Kurde, Alévi, venant d’une famille ouvrière, tu te sentais concerné par ce qui se passait et tu te trouvais dans une situation d’apprentissage rapide, et tu rencontrais inévitablement la violence de l’Etat. Aujourd’hui, des jeunes, qui n’ont pas vécu ces périodes, des jeunes, qui ont une conscience, clament aussi “moi, je dis non à cet ordre établi”. Cela veut dire alors, que toute cette violence d’Etat déversée, les politiques d’oppressions menées, n’ont servi à rien. Toutes les souffrances, les interdits qu’ils essayent de faire oublier les étouffent tel un lierre, chaque jour un peu plus.
Nous lirons ici, encore une fois, cette réalité que certaines personnes continuent de nier, à travers le témoignage intime d’un de ces jeunes. On peut se dire que c’est “Juste un épi solitaire dans le champs. Que peut-il faire tout seul ?”. Mais cet épi, en se multipliant avec d’autres, le champs pourra nous murmurer peut être encore plus fort : “toutes ces souffrances ne furent pas endurées pour rien…”
Je laisse alors la parole à un de ces épis…
“Je ne deviendrai pas un soldat de ce système”
La version en français de la déclaration sur l’objection de conscience de Mertcan Güler publiée initialement sur Connection e.V. (Ed.) : Newsletter “KDV im Krieg”, édition de novembre 2020
05.10.2020
Ceci est mon objection de conscience.
Je m’appelle Mertcan Güler. Je suis né à Mersin en 1992. Mes parents ont divorcé quand j’avais trois ans. Mon père et ma grand-mère, avec qui j’ai grandi, étaient des Turcs typiques qui soutenaient Atatürk. Je veux raconter mon histoire de façon chronologique.
Même si je n’en savais rien quand j’étais enfant, j’avais déjà l’idée, enfant, de ne pas vouloir entrer dans l’armée. Je me souviens qu’à l’âge de six ans, j’ai dit à ma grand-mère que je ne ferais pas le service militaire. J’avais déjà peur à l’époque. Ma grand-mère m’a répondu : “D’ici que ton heure arrive, il n’y aura plus de conscription de toute façon”. Cela fait plus de 20 ans, et la conscription est toujours en vigueur en Turquie.
Jusqu’à mes études, nous devions chanter l’hymne national et réciter le soi-disant “Notre Serment” (Andımız en turc) chaque lundi matin avant le début des cours et chaque vendredi soir après la fin des cours. L’hymne national turc et le serment comportent des éléments fascistes. Les trois premières phrases du serment sont : “Je suis turc, je suis droit, je suis travailleur”. Par le biais de la répétition constante, l’État turc manipule les enfants avec le militarisme et le fascisme pendant toute la durée de l’éducation. Il les endoctrine, c’est une sorte de lavage de cerveau.
Il peut sembler surprenant, ici en Allemagne, de parler du fascisme par rapport à la Turquie. Le terme est certainement utilisé dans un autre contexte. En Allemagne, il est étroitement lié à l’époque nazie. En Turquie, on entend par fascisme le fait que le gouvernement ou des groupes soutenus par le gouvernement persécutent des personnes et des minorités, et oppriment ceux qui ont des opinions politiques ou religieuses différentes. Cela signifie qu’ils obligent les gens à avoir la même opinion que ceux qui sont au pouvoir. Toute critique contre les normes sociales et étatiques est rejetée.
À mon époque, les cours d’histoire se concentraient sur l’Empire ottoman et Atatürk. Bien que je sois allé dans une école privée, l’Empire ottoman était vénéré.
Mon intérêt pour l’histoire et la politique a commencé lorsque j’ai appris plus sur la période nazie dans les cours d’histoire au lycée. J’ai commencé à faire des recherches sur les personnes et les événements importants. Au cours de ces recherches, mon père venait parfois me voir, me donnait son avis et me disait ce qu’il savait.
Mes recherches ont duré jusqu’au début de mes études. Malgré mon inexpérience, je pensais que le gouvernement faisait quelque chose de mal et qu’il avait une orientation religieuse. Et cela m’a poussé à continuer. La politique islamiste du gouvernement AKP est la raison pour laquelle j’ai critiqué l’Islam. Nous avons non seulement vu, mais aussi expérimenté à quel point l’Islam peut être brutal et fasciste quand il s’agit de prendre le pouvoir.
Pendant mes études, les manifestations de Gezi ont eu lieu en 2013. Mon premier engagement politique et les changements significatifs de mes idées ont commencé à partir de cette époque.
Je me souviens encore très bien de la façon dont cela a commencé. Le 28 mai, j’ai voulu boire quelques bières avec un ami et surfer sur Internet ou sur Twitter. Soudain, nous avons vu des vidéos de supporters de football à Istanbul défilant dans la ville sur la place Taksim et protestant contre quelque chose. Nous, la jeune génération, qui en avions assez de la pression, avons eu pendant ce court moment l’espoir que le temps du gouvernement était enfin terminé. Ce que j’appelle ici “pression”, c’est la politique islamo-conservatrice stricte du gouvernement, l’ingérence du gouvernement dans le mode de vie de la population et le culte des sectes et des communautés islamistes.
Dans les jours qui ont suivi, d’autres vidéos, photos et rapports sur la terreur policière à Istanbul ont été mises en ligne. Ce que nous avons vu était effrayant. La violence et la terreur contre les civils étaient dissuasives. Ce qui nous a émus, nous et les autres, c’est l’action agressive du gouvernement contre des personnes normales et même non politiquement motivées pour faire respecter leur propre volonté.
Manifester est un droit humain. Mais quiconque veut revendiquer et et utiliser son droit de manifester en Turquie, si cela va à l’encontre des idées du gouvernement Erdoğan, peut être tabassé par des officiers de police, du gaz lacrymogène peut être utilisé contre lui, des bombes à gaz peuvent être lancées sur sa tête, des balles en plastique peuvent être tirées dans sa figure, ou il peut même être tué avec des balles “légales”. Il peut aussi arriver qu’ils soient arbitrairement placés en garde-à-vue, torturés et même tués dans les cas les plus extrêmes. Il peut aussi arriver qu’à quatre heures du matin, sa maison soit prise d’assaut par des officiers armés de mitraillettes et qu’un raid soit effectué parce qu’il-elle a participé à une manifestation. De plus, le gouvernement peut, théoriquement et de nos jours, en pratique, les priver de tous droits de l’homme. Le gouvernement Erdoğan déclare là, ouvertement : Nous faisons tout ce que nous voulons. Si vous vous opposez à nous, vous serez confrontés par la police et par les services anti-terroristes de l’État.
Erdoğan voulait détruire le parc Gezi et construire autre chose. Ce parc était peut-être le seul espace vert du centre d’Istanbul. C’est pourquoi les éco-activistes ont manifesté. Pendant les manifestations dans le parc Gezi, les deux parties, le gouvernement avec les forces de sécurité et les manifestants pacifiques se sont affrontés dans de nombreuses villes du reste de la Turquie. Des dizaines de personnes sont mortes, des milliers ont été blessées, dont certaines gravement.
Nous savions que nous allions subir des violences lorsque nous serions dans la rue. Certains de mes amis ont eu des crises d’asthme à cause de l’utilisation intensive de gaz lacrymogène, l’un d’entre eux a été touché à l’œil par une balle en plastique. Tout s’est passé juste à côté de moi. J’ai eu de la chance de ne pas avoir été touché par une balle en plastique. Pendant que je résistais dans la rue à la terreur d’État, pendant que je criais qu’il fallait arrêter le gouvernement islamiste, le peuple, les gauchistes, les démocrates et les Kurdes, qui nous avaient toujours été décrits à l’école comme des “monstres”, se tenaient à côté de moi. L’État, qui avait été présenté comme “sacré” tout le temps, était maintenant contre nous.
Il était très proche de nous Berkin Elvan, l’enfant de 15 ans qui a été mortellement touché à la tête par une bombe à gaz et est mort plus tard de ses blessures à l’hôpital. Nous ne pouvions pas imaginer que la terreur d’État irait aussi loin. Nous avons manifesté contre elle. Nous voulions marcher jusqu’au bâtiment de l’AKP et manifester devant lui. La police a de nouveau réagi avec violence. Ce faisant, ils ont prouvé qu’ils n’étaient pas là pour protéger le peuple, mais le gouvernement. Nous avons fui les bombes à gaz et les balles en plastique parce que la police nous a tiré dessus délibérément et intentionnellement. En fuite, nous avons trouvé refuge dans une maison et nous nous y sommes cachés jusqu’à ce que la paix soit rétablie. Comme il y avait un danger de poursuite, nous sommes rentrés chez nous en empruntant des itinéraires différents. J’ai regardé autour de moi tout le temps et je me suis senti en insécurité.
Pendant les manifestations, un autre jeune homme a été exécuté par des policiers. Il s’appelait Ahmet Atakan. Bien sûr, nous voulions aussi protester contre cela. Lors de cette manifestation, je portais le foulard kurde appelé aussi puschi. Je n’avais pas de masque facial et j’étais seulement là pour protester pacifiquement. Je soupçonne que mon écharpe a suscité l’intérêt des policiers et qu’ils ont essayé de me photographier à une distance d’environ 3 mètres. Quand j’ai remarqué cela, j’ai tourné la tête et j’ai essayé d’aller ailleurs. A la fin de cette manifestation, la police nous a attaqués et certains des militants ont été arrêtés.
Cela m’a dégoûté de voir comment les médias orientés vers Erdoğan (presque tous les médias) se sont comportés alors que nos amis étaient simplement exécutés dans la rue. Je condamne la presse parce qu’elle a manifestement menti, mais cela a permis aux gens de réaliser encore plus la vérité. Nous, les militants, avons été présentés dans les médias comme des “terroristes”. J’étais là, mais je n’étais pas un terroriste. Les seuls terroristes que j’ai vus, c’est la police. Cela m’a fait penser que les reportages sur les Kurdes et aussi sur d’autres minorités peuvent consister en des mensonges. Depuis lors, j’ai cessé de regarder la télévision parce qu’elle n’est plus crédible pour moi.
Après la fin des manifestations de Gezi, le gouvernement a lancé une chasse aux sorcières. Ils ont effectué des raids sur les maisons de ceux qui avaient participé aux manifestations. Cela a effrayé certaines personnes, mais en a poussé d’autres, comme moi, à continuer.
Après ces événements, j’ai compris que je devais résister pour défendre mes droits fondamentaux tels que la liberté d’expression, d’association et de réunion et pour survivre et exister. J’ai commencé une recherche et j’ai échangé ces informations avec mes camarades kurdes et aléviEs. J’ai appris ce qu’ils ont vécu, pourquoi ils ont souffert. Je ne pouvais plus rester inactif et je voulais faire quelque chose contre de telles injustices. Elle n’avait plus rien à voir avec l’origine, la religion ou la minorité. C’était une question d’humanité.
Les manifestations de Gezi ont divisé les gens. J’ai mis fin à mon amitié avec ceux qui n’avaient pas soutenu les protestations. Les gens ont été violentés parce qu’ils ne demandaient que leurs droits fondamentaux. Il n’était pas question pour moi d’entretenir une amitié avec des personnes qui considéraient une telle chose comme légitime. C’est pourquoi mon cercle d’amis fut composé de gauchistes et de démocrates. C’était merveilleux de protester pour nos droits fondamentaux avec des personnes différentes ayant des idéologies différentes. Je n’avais jamais éprouvé un tel sentiment d’unité auparavant. Peu importe leur apparence, peu importe le type de drapeau qu’ils avaient à la main, quand ils avaient besoin d’aide, quelqu’un venait. Nous avons fait l’expérience de la désobéissance civile pour la première fois de notre vie. J’ai rencontré des gens de différentes organisations. Nous nous sommes organisés non seulement dans la vie réelle, mais aussi en ligne. Il était alors possible d’ajouter simplement quelqu’un comme ami sur Facebook, même si vous ne connaissiez pas la personne personnellement. Vous pouviez également discuter de certains sujets en ligne. C’est ainsi que j’ai découvert l’objection de conscience, lorsque j’ai ajouté comme ami, Ercan Aktaş qui vit aujourd’hui en France.
L’idée de devoir devenir soldat un jour, de devoir servir cet état et ce système brutal me rendait fou. Je n’ai jamais voulu tuer quelqu’un ou apprendre à tuer. Mais je n’avais aucune idée s’il était même possible de refuser le service militaire. Je ne savais rien de l’objection de conscience. Grâce aux discussions que j’ai eues avec Ercan Aktaş, j’en ai appris de plus en plus sur le sujet.
Pour lutter contre une machine qui est programmée pour nous tuer et nous priver de nos droits fondamentaux, je me suis dit que nous devions la combattre de manière organisée. J’ai donc cherché une organisation appropriée. C’est ainsi que je suis entré en contact avec le HDP.
J’avais également critiqué le gouvernement en ligne. Alors que je critiquais le gouvernement AKP pour son soutien aux djihadistes, j’étais heureux de la libération de l’IS par les Kurdes et de la victoire à Ar-Raqqa, en Syrie.
A peine avais-je publié des articles à ce sujet que ma mère m’a appelé. Sa voix tremblait. Elle avait manifestement peur. Elle a dit qu’elle avait été appelée par des unités anti-terroristes et que je devrais supprimer mes postes. J’ai eu peur et j’ai désactivé mon compte Facebook. En Turquie, il existe deux types de persécution. La première est officielle et se fait par le biais d’accusations, d’enquêtes, etc. La seconde n’est pas officielle, elle se fait par l’observation et la pression. Ce que j’ai vécu alors correspondait clairement au deuxième type. À l’époque, de nombreuses pressions étaient exercées contre les démocrates et surtout contre le HDP. Un exemple est l’attentat à la bombe contre un bâtiment du HDP à Mersin. Les attentats à la bombe perpétrés à Suruç et à Ankara par des organisations djihadistes soutenues par l’État contre des rassemblements du HDP m’ont également fait peur. À l’époque, il y avait aussi un bus de notre ville pour la réunion à Ankara. En fait, je voulais y aller aussi, mais j’ai dû l’annuler à cause de mes examens. J’aurais pu être là et mourir aussi. C’était aussi simple que cela. Je ne me sentais plus en sécurité.
Avec mes nouvelles idées, je suis entré en conflit avec ma famille. Je suis devenu le mouton noir de la famille.
À cette époque, je me sentais proche d’une organisation marxiste-léniniste que je ne souhaite pas citer. Pendant un certain temps, j’ai assisté à leurs réunions. Mais après quelques discussions idéologiques, j’ai compris que ce n’était pas mon truc. Cela m’est apparu concrètement lorsque nous avons organisé un concert en été avec un groupe de musique proche de l’organisation. J’ai vu comment cette organisation marxiste-léniniste vénérait la mort, le sang et les armes, ce que je rejette. Ensuite, ils ont également fait des déclarations discriminatoires à l’encontre des personnes issues des rangs des LGBT, ce qui était inacceptable à mes yeux. Je ne voulais pas non plus construire un État marxiste-léniniste comme celui que propageait l’organisation. J’ai compris que j’étais beaucoup plus proche du HDP. Elle a simplement accepté toutes sortes de personnes. Cela correspondait à mon idée d’être un militant des droits de l’homme, des minorités, de l’objection de conscience et de l’écologie.
Le 15 juillet 2016, il y a eu une tentative de coup d’État. J’ai essayé de comprendre ce qui se passait. Erdoğan a appelé les gens à descendre dans la rue. C’était le chaos. Il y avait tout le temps des appels à la prière et au djihad depuis les mosquées. Ma famille a immédiatement détruit tous mes livres, mes magazines et tous les médias politiques. Bien sûr, le mouton noir de la famille n’avait pas le droit de ruiner la vie des autres. Pour moi, c’était comme ce que les Juifs ont dû ressentir pendant la Seconde Guerre mondiale.
Cette nuit-là, j’ai pris la décision de quitter le pays dans lequel j’ai grandi, les rues où j’ai passé mon enfance, ma famille et tout le reste.
Après la tentative de coup d’État, l’état d’urgence a été déclaré. Des arrestations et des attaques contre des membres de l’opposition ont suivi. 1 767 organisations ont été fermées, des milliers de personnes ont été licenciées, des centaines de milliers ont été emprisonnéEs et torturéEs. Beaucoup ont été enlevés et tués. Même le coprésident du HDP, Selahattin Demirtaş, a été emprisonné. Il y avait de l’arbitraire. L’opposition n’avait aucune sécurité de vie ou de propriété. En voyage, les gens devaient constamment passer par plusieurs postes de contrôle de police jusqu’à ce qu’ils puissent atteindre leur destination. Bien que je n’ai pas été officiellement persécuté à cette époque, j’étais inquiet. A chaque contrôle de police, je pensais qu’il y avait peut-être un mandat, mais je n’étais pas au courant. Du jour au lendemain, des mandats d’arrêt ont été délivrés. Les gens étaient alors arrêtés immédiatement au prochain contrôle. Indépendamment de cela, la police voit toutes les informations politiques lors d’un contrôle d’identité. En cas d’état d’urgence, ils auraient pu prendre des mesures arbitraires à mon encontre. J’avais peur de cela aussi.
L’organisation de marxiste-léniniste susmentionnée à Mersin a également été fermée. Comme je l’ai appris par quelqu’un de l’organisation, les unités anti-terroristes ont montré mes photos lors d’une audition et ont posé des questions à mon sujet. Je savais que mon heure était venue, peu à peu.
Psychologiquement j’étais épuisé. Je ne pouvais pas dormir. Quand je dormais, je faisais des cauchemars. Je me souviens encore que je devais souvent me rendre aux urgences au milieu de la nuit parce que j’avais des crises. J’ai toujours eu peur lorsque je voyais un policier Chaque fois que je voyais la lumière rouge et bleue d’une voiture de police sortir, de ma fenêtre, je me disais : “OK, cette fois-ci, c’est pour moi”.
J’ai dit à ma famille que je voulais partir et je leur ai demandé de m’aider. Ils m’ont aidé et je leur en suis très reconnaissant. Fin 2017, il était temps. J’ai quitté la Turquie. Je vis maintenant en Allemagne et je ne suis jamais retourné en Turquie depuis mon départ. Je ne pense pas que je reverrai ma famille. Bien que j’habite à 3 000 kilomètres de là, j’ai été accusé en raison de mes contributions dans les médias sociaux et des enquêtes ont été ouvertes. La raison en est que j’aurais “insulté Erdoğan, le ministre de l’intérieur Soylu et l’État turc”. A cela s’ajoute l’accusation de “propagande pour une organisation terroriste”.
Je ne tuerai jamais personne. Je ne deviendrai pas un soldat de ce système, un système qui veut m’éliminer.
Je ne veux pas qu’on retrouve mon corps dans une caserne à cause de mes opinions politiques. Je ne vais pas nourrir le gouvernement islamiste avec des foutaises de “martyr”. Pourquoi faut-il que je tue quelqu’un de toute façon ? Pourquoi devrais-je me battre pour la “Patrie” alors que cette Patrie veut me chasser ? Pourquoi est-ce “ma Patrie”, si je n’ai même pas le droit de dire ce que je pense et si je n’ai pas le droit d’exister ? Je refuse le service militaire en raison de ma conscience et de mes opinions politiques et religieuses.
J’ai toujours refusé et je refuserai toujours la violence, surtout dans l’armée turque. Je ne participerai à aucune organisation armée et violente.
Que se passe-t-il dans l’armée turque ? Surtout si vous avez des idées opposées ou si vous n’êtes pas dans le courant dominant, vous risquez d’être intimidé par le commandant pendant votre service militaire. En effet, les rapports des services secrets sont déjà arrivés à la caserne avant la conscription. Il est également possible que l’on se soit “apparemment” suicidé. Et personne ne peut prouver le contraire. Il y a plusieurs exemples. D’autre part, il faut se battre quand on en reçoit l’ordre. À cela s’ajoute un lavage de cerveau marqué par le fanatisme et le nationalisme, qui ne doit pas être remis en question. Personnellement, je ne veux pas me battre pour les frontières, contre la soi-disant terreur ou pour la patrie, ni faire partie d’une organisation qui se bat pour de telles choses et utilise la violence. Je suis né en tant qu’être humain et je resterai un être humain. La violence militaire, par contre, transforme les gens en monstres.
L’objection de conscience n’est toujours pas reconnue en Turquie, bien qu’il s’agisse d’un droit de l’homme. Ceux qui refusent de servir sont d’abord condamnés à une amende, puis emprisonnés. Chaque fois que vous souhaitez séjourner à l’hôtel, la police vient la nuit et vous demande de signer un document qui vous oblige à vous présenter pour le service militaire dans les 15 jours. Si, à un moment donné, vous souhaitez vous rendre dans une autre ville et que vous êtes contrôlé, la même chose se produit, ainsi qu’un simple contrôle d’identité dans la rue. Vous n’êtes pas autorisé à travailler de toute façon. L’État turc m’oblige à une mort civile si je ne veux pas devenir soldat.
C’est une blessure dans la société turque. Parce que l’État et le gouvernement de Erdoğan ont toujours admiré la violence et la militarisation, les gens considèrent le service militaire comme un symbole de virilité et de patriotisme. Mais moi, je dis non à cela. J’appelle la nouvelle génération à refuser le service militaire, même si ce n’est pas un moyen facile.
Mertcan Güler