La récente décision du Conseil de l’Europe de ne pas consacrer de session pour examiner les “manquements démocratiques en Turquie” passe quasi inaperçue.
Cette décision, prise d’abord par le bureau de l’Assemblée parlementaire, a ensuite été entérinée par l’Assemblée plénière puisque la proposition n’a pas passé la barre des 2/3 requis pour l’inclure dans l’ordre du jour. Il n’y aura donc ni débat, ni interrogation sur, par exemple, la mise en place d’un référendum sous régime d’état d’urgence, les arrestations arbitraires au titre d’une loi “anti-terroriste” pointée pourtant du doigt en juin, la réforme constitutionnelle visant à établir un pouvoir présidentiel où le judiciaire serait confondu et le gouvernement nommé et dirigé par le président…etc..etc.
Mais qu’est-ce donc que ce Conseil de l’Europe, dont l’assemblée siégeait à Strasbourg ce 23 janvier ? Qui réunit-il ? Qu’a-t-il de commun avec l’Union Européenne ?
Nous allons jouer à Wikikedistan.
Institué en 1949 par un Traité, dit de Londres, il cherche à établir et faire accepter par ses membres, des normes juridiques dans les domaines de la protection des droits de l’homme, du renforcement de la démocratie et de la prééminence du droit en Europe. Il s’agit donc d’une organisation internationale, dotée d’une personnalité juridique reconnue en droit international public. Elle rassemble 820 millions de ressortissants de 47 États membres et signataires de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme en est une cheville ouvrière. L’Assemblée parlementaire, non législative, se réunit en principe trois à quatre fois par an, et traite “des évènements européens et internationaux, et examine les sujets et problèmes d’actualité qui préoccupent la population des pays de l’Europe. Les principaux thèmes abordés sont les droits de l’homme, la démocratie, la protection des minorités et l’état de droit.” Les sessions durent une semaine. Pour informations, le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe entre 2012 et 2014 était un illustre politicien professionnel français, François Mignon, que tout le monde connaît (il cumulait avec son poste de député d’une circonscription de Seine-et-Marne, à l’époque). Il avait succédé à Mevlüt Çavuşoğlu, membre de l’AKP de Turquie, et obligé d’Erdoğan.
Non, nous ne crachons pas sur des Institutions qui peuvent être des actrices de Paix en Europe. Nous soulignons simplement la façon dont les politiciens s’en servent, les dirigent, les orientent, en connivence avec des intérêts très contradictoires avec ceux qu’ils sont censés défendre, et sans contrôle ni retour vers les populations au nom desquelles ils officient. Allez donc comprendre comment un politicien de “droite dure” française se retrouve président français d’une assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sous un gouvernement “socialiste”… C’est un membre de la droite espagnole, qui préside aujourd’hui…
Bref, comment s’étonner ensuite du “Turquie, circulez, y a rien à voir” que le dit Conseil vient de décider, et sa belle assemblée entériner ?
J’entends déjà des contradicteurs dire que s’il n’existaient d’ ”institutions internationales”, le monde serait encore plus chaotique qu’il n’est. Et comme je fais à la fois les questions et les réponses, je peux dire sans problème qu’ils/elles ont raison. Pour avoir dans les années 1990 participé à la campagne européenne pour “l’arrestation des criminels de guerre de l’Ex Yougoslavie” et celle pour la mise en place d’un tribunal ad hoc, appelé à devenir une Cour de Justice Internationale (celle de la Haye), je suis à l’aise pour engager ce débat.
Toutes les chartes, tous les outils transnationaux, à vocation de Justice, humaine, sociale, écologique, sont bons à prendre. Mais ayons toujours les yeux ouverts sur le fait que leur mise en oeuvre dépendra toujours de rapports de forces internationaux, tant politiques qu’économiques et financiers. Il en va de même pour tout, dans les rapports de classes, et les dominations d’un système où une fraction infime détient la majeure part des richesses mondiales, et les pouvoirs d’Etats pour les défendre…
Il n’est qu’à voir les avatars du TPI pour s’en rendre compte, y compris d’ailleurs sur l’Ex Yougoslavie… Et pourtant je ne renoncerai jamais à demander les respects de signatures de ces dites chartes et traités, pour la défense des droits humains fondamentaux, sans pourtant en faire l’horizon borné et unique des luttes pour plus d’humanité et l’utopie créatrice d’un avenir différent.
Mais là, à Strasbourg, il faut bien reconnaître que les murs n’ont laissé passer aucun cri.
Et, en l’occurence, on devine facilement que la Russie et la Turquie réunies n’ont guère eu de mal à convaincre qu’il n’était guère le moment de parler de la démocrature turque (à minima), en pleine ouverture d’un pseudo sommet de la paix dans l’entre soi pour la Syrie. Accessoirement, réouvrir la plaie des “réfugiés” n’était guère la priorité non plus.
La diplomatie a ses exigences, et les prisons leurs barreaux.
Soumise à l’assemblée plénière, la proposition n’a obtenu que 94 voix contre 68 et 19 abstentions. Je vous laisse essayer de savoir qui a voté quoi…
Aucune transparence politique, aucun compte-rendu des discussions de couloirs, ni des démarches des groupes de pression. Mais il faut dire qu’il est paradoxal de penser que ce sont les replis nationalistes qui gagnent à ce jeu international, pratiqué aujourd’hui par les mêmes, avec pour une bonne part, l’appui ici ou le total désintérêt là, des populations européennes. Ne parlons pas des jeux politiciens de groupes transnationaux, les mêmes que ceux de l’UE, élargis à des comparses économiquement intéressants.
Il va, dans ces conditions, devenir difficile de s’adresser aux représentants du Conseil de l’Europe, et accessoirement son tribunal, concernant les viols flagrants de tous les droits humains depuis près de deux ans et l’injustice en marche d’après 15 juillet en Turquie, sauf à penser un truc du genre “parle à mon c… mon Conseil est malade”.
Ajouts du 27 janvier : le Comité de suivi de l’Assemblée du Conseil de l’Europe a quand même publié dans un communiqué les grandes lignes du rapport qui aurait pu être soumis au débat devant l’Assemblée. Le dit comité a affirmé qu’il reviendrait à la charge lors de la prochaine session en 2017, fort de 60 % de soutiens au sein de l’Assemblée, et ne désespérant pas obtenir la fameuse majorité des 2/3 en avril prochain. La réaction d’Erdogan a été de dire : “l’approche de l’APCE n’est «pas gentille» et : «Nous ne sommes pas en mesure de rendre des comptes, à personne, sauf à la nation [turque] et Allah”. Lire aussi le “mémorendum” publié récemment qui condamne sévèrement la Turquie.