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Les usines de l’industrie de l’éducation de la colonisation, produisent, par leurs machines de destruction d’identité et de culture, des normes et valeurs qui renient tout ce qui appartient au lieu et à la civilisation colonisés. Ces usines au service des envahisseurs éduquent, forment, de futurs exécuteurs volontaires, qui rejoignent les rangs des colonisateurs. Ainsi, dans l’exemple turc, des enfants kurdes, talents exploités, pétris dans la pâte de la turcité, auront été utilisés comme matière première, et mis au travail.
L’action assimilationniste de Sıdıka Avar fut poursuivie par d’autres femmes comme Türkan Saylan, ‑pour n’en citer qu’une-. Ces écoles-usines ont semé les grains de la honte, la haine de soi, dans le subconscient de jeunes générations arrachées à leur essence.
Ces usines ressemblent, du primaire à l’université, plutôt qu’à des écoles, à des garnisons. 55 de 59 écoles primaires et internats régionaux (YİBO) ouverts entre les années 1962 et 1973 en Turquie, sont situés sur les terres kurdes. Nous apprenons qu’en 2012, 44% de ces écoles se trouvaient au Kurdistan.
Ces articles nous paraissent bien illustrer les différentes stratégies employées à l’encontre de la mosaïque de peuplement en Turquie, pour la réduire dans l’Etat-Nation, dont une, violente ou insidieuse, passe par la langue et sa dépossession.
Cette série d’articles est préparée par Suna Arev, et publiée dans Nupel. Cette première partie nous immerge dans le contexte, avant de traverser les murs de l’Institut des filles d’Elazığ.
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Sıdıka Avar, missionnaire d’Atatürk, et ses proies de Dersim
Une journée sous la chaleur de juin. La place Luisen de Darmstadt est envahie par la foule. Je me fais inviter au café par des ami.e.s ouvrier.e.s installé.e.s sur un banc… Parmi eux, une femme kurde, de 81 ans, qui parle un turc parfait. Elle possède toutes les finesses et règles de la langue turque… Par ailleurs, avec son habillement, elle offre à voir la modernité de son époque.
Où est donc Elazığ ? A une dent de Dersim… Si vous montiez à Harpout1, et vous placiez à côté de l’épée mise dans la main de Battal Gazi2 sculptée par Nurettin Uygur, et que vous regardiez en face, vous verriez la montagne de Munzur. Et si vous tendiez l’oreille, vous entendriez presque les douloureux cris demandant secours. Car, là-bas, il y a encore des morts non enterrés, et se baladent encore des dragons peints de mensonges…
Si vos yeux glissaient sur Elazığ, et que vous regardiez au coeur de la ville, vous verriez les échafauds installés sur la place de Buğday… Saïd Rıza y sera pendu, messager du dieu, avec sa barbe blanche…3Il y aurait sept échafauds et les leaders de Dersim seraient toujours pendus là… Gravés dans le temps avant l’apocalypse… Et ils ne partirent pas sans être vus. Leur pendaison fut criée dans tout Elazığ, rues, montagnes, “Venez voir les bandits, pour exemple”. Le spectacle mortel du Devlet‑i Aliyye…4
La famille de Dursun, du village Pelte y alla. Un tel ordre qui vient de si haut… Ceux qui seront pendus, sont des le Qizilbash5, sans religion, sans livre, sans prophète. A travers la corde passée à leur cou, ces sept personnes offriront la clé du paradis, sur un plateau en or, pour être accrochée sur l’ardoise de l’Islam sunnite.
Dursun, bon croyant, pratiquant, propriétaire de terres, est une personne respectée à Elazığ. Lorsqu’il y avait eu famine à Dersim, et que toute la région de Kuzuova fut remplie de bovins sans maître, on entendit : “Le bien du mécréant est halal !” Tout le monde en profita.
Dursun dit, “La nouvelle fut criée dans tout Elazığ, on est parti et on y est allé. Foule sur la place Buğday. Sept pendus. Saïd Rıza était vieux, avec une barbe blanche. Je les ai regardé un par un. C’était des gens comme nous.
Je me suis attardé devant un jeune…6 Alors que mes cheveux sont si blancs, je n’ai jamais vu un jeune comme ça. Quel visage, quels yeux. Je me suis dit, d’accord Qizilbash mais, comment sacrifier un tel gaillard ? Depuis ce jour, l’image de Hüseyin ne quitte pas mes rêves…”
Nous ? Nous, les serfs de Dersim qui travaillions dans les champs de Dursun, pour un bout de pain… Dersim, à une dent d’Elazığ…
Mon grand-père Gollo Turso portait à dos de cheval, du charbon de bois, pour les fourneaux des arméniens de Harpout. C’est comme ça qu’il a acquis des terres considérables. Après tout est parti au pillage. Son premier fusil à deux coups vient de là, car on ne peut faire confiance à l’Ottoman. Car on ne peut tourner le dos à l’Ottoman. Car, lorsqu’on converse avec l’Ottoman, on ne retire jamais le doigt de la gâchette…
Cet Ottoman là, a fait couler le sang de 40 milles Qizilbash. Il a avancé depuis les années 1500, en versant du sang. L’Ottoman veut dire sang, l’Ottoman veut dire massacres, l’Ottoman veut dire, des têtes remplissant les puits… Il est la terreur, la cruauté, il est la version terrestre de l’enfer, l’Ottoman.
Mais Dersim est rassurant, il a sa rivière auguste et divine, aux rochers abrupts. L’Ottoman n’y entre pas facilement, pour y verser le sang rouge. Là bas, Gilgamesh7 se promène encore avec son habit Quraych 8. Il y a les histoires vivantes de la mythologie sumérienne, autant vierges, intactes.
Voilà, la République glorieuse et victorieuse est établie… La République est un espoir pour l’habitant de Dersim. La République veut dire, ne plus être tué, elle veut dire sérénité, pain, vivre sans peur… La République veut dire, l’épée de l’Ottoman enterrée. C’est ça que l’habitant de Dersim espère.
Les doigts ont quitté les gâchettes, il n’y a plus lieu de se protéger… Il n’y a alors ni rébellion, ni révolte à la République. Ils donnent à l’Etat aussi bien des soldats que des impôts…
Mais cela ne suffit pas à la République, qui est la continuité de l’Ottoman. Le massacre d’arméniens sur les routes de Deyrizor était une réussite. Après les arméniens c’était donc le tour des Qizilbash…
Les mains ensanglantées de Enver, Talat et Cemal 9 sont tenues par Atatürk. Dersim doit être nettoyé au nom du Turc. Les plans débutés dans les années 1920, sont mis en exécution en 1937, 38. Même si les déclarations officielles annoncent le peuple opprimé comme 13 mille 160 morts, 1200 déportés, le résultat fut bien plus grave.
La fille adoptive d’Atatürk Sabiha Gökçen, première femme pilote d’avion de chasse de la République, fait pleuvoir des bombes sur la population de Dersim. La tragédie de cette pilote femme, est qu’elle est une orpheline arménienne… (Les livres de l’histoire officielle, parlent de guerre, mais ne pose pas la question, contre quel pays est menée celle-ci ?)
Atatürk, une source d’inspiration nationaliste pour Hitler. Il planifie alors de finir la “tâche” en assimilant, celles et ceux qu’il n’a pas réussi à finir en tuant… Une personne intelligente, au point de calculer le meilleur moyen d’anéantir un peuple, de racler ses racines : commencer par ses femmes.
Sıdıka Avar est une enseignante d’Istanbul, du quartier Cihangir. C’est une femme dévouée, qui a perdu ses parents à l’âge d’enfant et a élevé sa fratrie. Elle est courageuse au point d’apprendre à lire et écrire à des prisonnières, à Izmir. Après des enquêtes, Atatürk la découvre et convoque sa présence. Il paraitrait qu’en arrivant en face d’Atatürk, Sıdıka tremblait comme une feuille.
Atatürk aurait dit alors à cette petite jeune femme, “il me faut des missionnaires comme toi”. Ensuite, il lui expliqua son idée. La jeune enseignante devrait aller dans l’Est. Elle devrait assembler moissonner des filles qui ne parlent pas le turc. Elle devrait les fondre dans le creuset de la turcité. Ensuite, elle les renverrait, tels des rayons de lumières (!), aux villages.
Sıdıka Avar fut désormais estampillée par la turcité, et de plus, par Atatürk en personne. L’assimilation serait donc parfaite. Parce que cette étiquette est tout puissante.
Sıdıka Avar arriva à Elazığ. Elazığ, à une dent de Dersim… Elazığ, après Paramaz, est la forteresse la plus importante du fascisme. Sıdıka se déplaça de village en village, à dos de cheval, elle récolta des fillettes de 6 à 12 ans, la plupart orphelines. Ce sont des âges où la pâte est la plus malléable.
Lorsque les enfants arrivent à l’Institut des filles d’Elazığ, avant tout, leur longue chevelure, opulente et pouilleuse est mise sous le rasoir. (Les livres officiels ne demandent pas pourquoi ces enfants étaient orphelines et pouilleuses). Elles sont lavées avec des savons qui sentent bon, habillées de plus belles robes, propres. Elles sont nourries matin, midi, soir, de repas chauds. Des gouvernantes affectées à ces enfants, endossent le rôle de mères tendres et protectrices. Les filles sont heureuses et en sécurité…
Et même, que si ces bonnes personnes n’existaient pas, elle ne survivraient pas. Et tout est gratuit… La seule chose qu’on leur demande est ceci : “Parler en kurde est interdit et dangereux. La langue la plus belle de la Terre entière est le Turc, la religion la plus merveilleuse est l’Islam. Les Turcs sont les serviteurs les plus aimés d’Allah. Atatürk est notre plus grand sauveur”…
Si Atatürk n’existait pas, toute la population de Dersim serait sans doute morte…
(A suivre)
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