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Cette let­tre des Tress­es Vertes du Roja­va, a été adressée à Brigitte Macron, mais aus­si com­mu­niquée à des per­son­nal­ités poli­tiques, ain­si qu’à la presse fran­coph­o­ne, au mois de mai 2021, telle qu’elle est datée..

Vis­i­ble­ment le sujet, pour­tant vital pour la pop­u­la­tion de toute une région n’était pas dans les pri­or­ités des poli­tiques et des médias, ni en mai, ni depuis. Le prob­lème dénon­cé est tou­jours d’ac­tu­al­ité, et aucune solu­tion n’y est apportée. Sur la demande de notre amie et con­tributrice du Kedis­tan, Gulis­tan Sido, une des fon­da­tri­ces des “Tress­es Vertes”, nous ren­dons donc cette let­tre publique afin que l’opinion publique prenne con­science de la non assis­tance à pop­u­la­tion en dan­ger, et, pré­cisé­ment, de l’in­stru­ment de “guerre” qu’est devenu l’ap­pro­vi­sion­nement en eau. Et cette “guerre de l’eau”, on le sait, n’est pas pra­tiquée qu’en Syrie Nord.

N’hésitez pas à vous faire relai de cet appel au sec­ours qui, vis­i­ble­ment, n’a pas ému les poli­tiques occupés en cam­pagne élec­torale en France.

Une lettre ouverte à Madame Brigitte Macron

Kurde de Syrie, d’o­rig­ine d’Afrin “ville occupée par la Turquie depuis 2018”, tit­u­laire d’un diplôme M2 en Let­tres Mod­ernes de Paris III en 2006, je vis actuelle­ment dans la région d’Ad­jazeré au Roja­va. Je suis une des mem­bres fon­da­trice de l’ini­tia­tive écologique “Les Tress­es Vertes”, une ini­tia­tive civile qui a débuté en octo­bre 2020 et qui a pour but de lut­ter con­tre la désertification, d’améliorer le cli­mat en aug­men­tant les espaces naturels de “ver­dure”, et de sen­si­bilis­er la pop­u­la­tion pour les ques­tions envi­ron­nemen­tales. Nous avons déjà lancé une cam­pagne de plan­ta­tion de 4 mil­lions d’ar­bres sur cinq ans.

Sans aucun doute, êtes-vous déjà con­sciente de la sit­u­a­tion dra­ma­tique des syriens qui souf­frent depuis dix ans des impacts d’une guerre inter­minable. Des villes com­plète­ment détruites, des infra­struc­tures endommagées, le manque de sécurité, les déplacements perpétuels… etc. Comme si nous étions condamné.e.s à souf­frir, comme si le mal­heur nous pour­suiv­ait, toutes sortes d’armes ont été utilisées con­tre nous. Cette année est marquée par une sécheresse excep­tion­nelle, à cause du manque de plu­viométrie, mais, ce qui aggrave cette sit­u­a­tion, sont les poli­tiques des pays voisins comme la Turquie menées con­tre Roja­va et le Nord Est de la Syrie. L’État turc ne se lim­ite à des agres­sions en occu­pant et morce­lant nos ter­res, mais il essaie de nous faire fléchir, par l’in­stru­men­tal­i­sa­tion de l’eau, telle une arme.

En effet, pour la deuxième année con­séc­u­tive, et en con­ti­nu­ité depuis qua­tre mois, l’État turc con­tin­ue de répéter le même scénario, en réduisant le débit d’eau de l’E­uphrate, qui a baissé de 60% au cours des deux dernières semaines, bien que le fleuve soit l’une des plus impor­tantes ressources d’eau et moyen de sub­sis­tance pour la région. Cette vio­la­tion fla­grante des accords et des con­ven­tions inter­na­tionales que la Turquie a signés, don­nera lieu à des répercussions cat­a­strophiques sur le plan envi­ron­nemen­tal et humain, non seule­ment dans les régions du nord de la Syrie, mais tout le long du bassin flu­vial en Syrie et en Irak.

La ques­tion de la réduction de la part de la Syrie dans l’eau de l’Euphrate n’est pas récente, et ce n’est pas la première fois que la Turquie coupe l’eau et men­ace la vie des habi­tants. La Turquie a déjà asséché des ruis­seaux et des rivières en Syrie, tels que le Khabur, le Sajur, le Jaq­jaq, le Tigre, le fleuve Noir, etc.

Ces pra­tiques systématiques par l’E­tat turc ont des effets négatifs directs sur la sit­u­a­tion envi­ron­nemen­tale dans l’ensem­ble des zones du bassin de l’E­uphrate, menacées par la désertification en rai­son du manque de cou­ver­ture végétale et de la con­fis­ca­tion de ces ressources en eau. Par là même, la Turquie cible les moyens de sub­sis­tance des pop­u­la­tions et men­ace la sécurité alimentaire.

Les risques et conséquences désastreuses de la coupure de l’eau du fleuve de l’E­uphrate ne se lim­i­tent pas à ses effets directs sur des mil­lions de syriens, mais de façon plus générale, elle met en péril l’en­vi­ron­nement, l’équilibre écologique et va accentuer le change­ment cli­ma­tique et ses impacts négatifs directs sur les ressources de vie comme le bétail, et les pois­sons. La cou­ver­ture végétale dimin­uera. La pro­duc­tion agri­cole et leur fer­til­ité des sols baisseront.

La coupure d’eau dévastera des secteurs d’ac­tivité qui ont besoin d’eau en abon­dance, dont le plus impor­tant est l’a­gri­cul­ture, les indus­tries extrac­tives. La pro­duc­tivité des cul­tures dimin­uera et le sol sera exposé au risque d’érosion, qui con­duit à l’épuisement de ses nutri­ments pour les plantes. En violant l’équilibre de la diver­sité biologique, cela entraînera la perte d’espèces végétales et ani­males qui ne pour­ront plus croître et se mul­ti­pli­er de manière adéquate… Et, fac­teur très impor­tant, cela exposera les habi­tants à des mal­adies et devien­dra un catal­y­seur de la prop­a­ga­tion inten­sive des épidémies.

Selon les lois inter­na­tionales régissant le droit d’accès à l’eau, la Syrie béné­fi­cie d’un débit de 500 mètres cubes/seconde (accord signé avec Damas en 1987), afin de main­tenir l’équilibre, surtout après la con­struc­tion du bar­rage sur l’E­uphrate. La pour­suite des coupures d’eau aura des répercussions san­i­taires et human­i­taires, notam­ment pen­dant cette période dif­fi­cile de l’épidémie Covid-19, où chacun.e est sensé.e faire atten­tion à l’hygiène et à l’u­til­i­sa­tion de l’eau potable. La pop­u­la­tion est confrontée à la soif et à la famine. Les instal­la­tions hydro-élec­triques ne pour­ront plus non plus pro­duire. Les prin­ci­pales agri­cul­tures seront en dan­ger car il n’y aura plus d’eau pour les arroser.

Madame, en vous adres­sant cette let­tre, si je me per­me­ts de vous informer de la gravité de cette sit­u­a­tion envi­ron­nemen­tale, c’est pour sol­liciter votre sou­tien pub­lic, afin de faire pres­sion con­tre l’E­tat turc pour qu’elle relâche l’eau de l’E­uphrate con­fisquée, afin d’éviter un écocide et des cat­a­stro­phes imprévisibles, si la coupure continue.

Je vous salue chaleureuse­ment et je vous remer­cie d’a­vance, Madame, à l’at­ten­tion que vous voudrez bien porter à ma lettre.

Je vous prie de croire, Madame, à l’as­sur­ance de ma sincère considération

Gulis­tan Sido
LA TRESSE VERTE
Qamich­lo Roja­va le 2 mai 2021

Les Tresses Vertes / Keziyên Kesk
Facebook | Twitter @tress_green

Note de Kedistan :

L’eau est util­isée comme arme de guerre con­tre le Roja­va par le mem­bre de l’OTAN qu’est la Turquie. A con­trario, le régime turc pille les zones agri­coles qu’il occupe, par l’en­trem­ise de mil­ices, comme pour Afrin. Là, le pil­lage coule à flot dans l’autre sens.

On ne peut déplor­er le nom­bre de per­son­nes qui fuient ces zones et ten­tent de gag­n­er asile en Europe, et laiss­er se pour­suiv­re ce qui en est directe­ment la cause, sauf à penser que la noy­ade est la solu­tion inter­mé­di­aire. Celles et ceux qui, à chaque récep­tion par l’E­tat français de délé­ga­tions du Roja­va à Paris, nous font ou nous lais­sent croire que le gou­verne­ment français agit pour des solu­tions, créent un écran de fumée qui cache une réal­ité dra­ma­tique, et, de fait, tous les aban­dons et renon­ce­ments vis à vis des Kur­des, qui furent la chair à canon con­tre Daech, rappelons-le.

Tout cela con­stitue des bombes à retarde­ment, à force de rec­u­lades et d’hypocrisie poli­tiques, qui exis­tent d’ailleurs aus­si sur un autre ter­rain comme celui du refus de rap­a­tri­er les com­bat­tantEs européenNEs de Daech, pour les juger, ou à min­i­ma les enfants. On attend tou­jours aus­si ce qui sera décidé pour des entre­pris­es, comme Lafarge par exem­ple, qui ont col­laboré avec l’E­tat islamique.

Par ailleurs, ici en France, l’is­lam­o­pho­bie est instru­men­tal­isée par les deux tiers de la classe poli­tique, la majorité des médias, de pseu­dos intellectuel/les de plateaux télévisés, alors que le vivi­er de Daech ne se situe pas dans les ban­lieues, mais bien dans ces théâtres de guerre dont on détourne les yeux. Il en est même qui se per­me­t­tent de tourn­er un “navet” sur la lutte kurde, et ici de par­ticiper à l’en­fu­mage et à l’inaction.

Qu’un tel appel du Roja­va ait réson­né dans un désert médi­a­tique ne nous étonne donc guère, même de la part des faux sou­tiens du Rojava.


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