En juillet 2018, Kedistan a publié à la demande d’Özgür Amed, son article relatant l’histoire de Mehmet Emin Özkan, un prisonnier malade. L’auteur souhaitait attirer l’attention sur le cas de ce vieil homme surnommé “Apê Dedo” (oncle Dedo), maintenu en incarcération malgré son âge et son état de santé. Depuis, deux années se sont écoulées. Apê Dedo est toujours derrière les barreaux. Pourtant, de nombreux articles dénonçant sa situation ont été publiés, des requêtes déposées, des campagnes menées…
Malgré les déclarations, appels des médecins, de personnalités et d’organisations de défense de droit humains, rien n’a changé.
Je voudrais porter ce cas dans l’actualité, une fois de plus.
Qui est Mehmet Emin Özkan ? Pourquoi est-il en prison ?
Mehmet Emin Özkan est né en 1939 à Lice, district de Diyarbakır. Ne sachant ni lire ni écrire, il y a mené une vie simple et humble de berger jusqu’en 1993, l’année où son village fut évacué par les forces de sécurité turques. N’ayant pas de casier judiciaire, ni aucune enquête n’étant ouverte à son encontre, en 1994 il fut pourtant arrêté, placé en garde-à-vue, et jugé dans une affaire concernant “la mise à feu de Lice et la mort du commandant Bahtiyar Aydın”. Avec les dépositions de deux témoins dont pourtant les témoignages furent invalidés par la suite, il a été condamné à la perpétuité.
En 2001, la Cour de cassation annula le verdict rendu par le Tribunal de sureté d’Etat d’Adana n°1, du fait de l’absence d’un acte d’accusation établi d’une façon véritable. Le dossier est donc retourné devant le Tribunal de sureté d’Etat d’Adana. Celui-ci prépara à la hâte, sans aucune enquête menée, un supplément de quelques pages pour l’acte d’accusation existant. Et Mehmet Emin Özkan fut à nouveau condamné à la perpétuité. Ce verdict illégal fut ensuite confirmé par la Cour de cassation.
L’énoncé du verdict notifie que la condamnation est basée sur les dépositions de M.I. et Z.A, tous les deux “témoins repentis”. Or, le témoin Z.A., ni dans le dossier d’interrogatoire et d’enquête, ni lors du procès n’a déposé ou porté aucun témoignage à l’encontre de Mehmet Emin Özkan.
Quant à M.I., des documents officiels prouvent clairement que celui-ci était en prison au moment des faits dont il prétend “témoigner”. Par ailleurs, concernant son propre procès, le tribunal n’ayant pas trouvé convaincantes les dépositions de M.I., avait décidé de son acquittement. Mais les mêmes juges en se basant sur les mêmes dépositions “non-convaincantes”, ont condamné Mehmet Emin Özkan, à la perpétuité…
Lorsqu’on observe que les témoignages de M.I. et Z.A. ont été recueillis et enregistrés par les mêmes policiers, cela démontre que Mehmet Emin Özkan est victime d’un coup monté de toutes pièces par une police en manque de preuves d’une quelconque culpabilité.
Innocence confirmée pourtant…
On arrive en 2013, très précisément la veille de la date de prescription sur l’affaire concernant l’incident qui a causé la mort de Bahtiyar Aydın, un commandant de gendarmerie. Un autre dossier ouvert présente un acte d’accusation à l’encontre de deux commandants de l’armée turque de l’époque, Eşref Hatipoğlu et Tuna Yanardağ. Avant de réouvrir, le procureur de Diyarbakır a demandé l’ancien dossier du procès de Mehmet Emin Özkan devant le Tribunal de sureté d’Etat d’Adana. On lui a fait parvenir et il l’a consulté.
Après cette étude, le procureur de Diyarbakır a intégré l’observation suivante, qui figure sur la page 20 de l’acte d’accusation préparé par ses soins : “Suite à l’étude des dépositions et documents, aucune information concernant la participation de Mehmet Emin Özkan à ces faits”. Ainsi, l’innocence d’Apê Dedo, fut constatée, et officiellement confirmée, par un procureur de la République.
Suite à cette confirmation, l’avocat de Mehmet Emin Özkan, a sollicité le Tribunal pénal d’Adana n°7, pour que son client soit à nouveau jugé. Le tribunal a accepté la requête. Mais, malgré son innocence clairement définie, la demande d’acquittement de son avocat est continuellement refusée, prétextant l’attente d’un verdict dans le procès concernant les deux commandants de l’armée…
Cela fait maintenant 25 ans que Apê Dedo est en prison, et pour rien…
A 83 ans, il se bat contre des problèmes cardiaques, de foie, d’ostéoclase, des difficultés oculaires, de la tension, une atteinte thyroïdienne, pour ne citer que quelques unes de ses difficultés de santé. Il a subi quatre opérations d’angioplastie. Il ne peut subvenir seul à ses besoins les plus basiques. Et oui, Mehmet Emin Özkan est toujours en prison… Pourtant, des rapports médicaux attestent 87% d’invalidité, et certifient qu’il ne devrait pas être maintenu en incarcération.
Vous pouvez trouver ICI, quelques exemples des rapports médicaux, et la réponse du bureau de médecine légiste (ATK) de la prison de Diyarbakır. Comme Gülcan Dereli le met en lumière dans son article publié le 12 juillet, dans Yeni Yaşam, le rapport de l’ATK qui déclare “aucune pathologie n’a été constatée”, notifie que Mehmet Emin Özkan a répondu à toutes les questions qui lui furent posées par “je ne sais pas”, mais “oublie” honteusement de notifier qu’il ne parle pas turc et ne pouvait en effet répondre à aucune des questions sans l’aide d’un traducteur kurdophone, que l’ATK n’a pas pris la peine d’appeler.
Je vous laisse juger par vous-mêmes… Voici une vidéo relayée en mai 2021, par Eren Keskin, avocate défenseure des droits humains. Les images disent souvent bien plus que les mots…
Bu adam Mehmet Emin Özkan.. Ağır hasta ..pic.twitter.com/shHthpmQeC
— Eren Keskin (@KeskinEren1) May 26, 2021
En effet, si un nouveau jugement est décidé, il pourrait parfaitement être jugé en liberté conditionnelle. Toutes les requêtes pour une libération, appuyées par des rapports médicaux, portées jusque devant l’Assemblée nationale turque, restent sans aucune suite. Pourquoi ce silence ?
Est-il utile de rappeler que pour un prisonnier malade et âgé, chaque transfert pour l’hôpital, chaque déplacement pour une audience, surtout lorsque le procès se déroule dans une autre ville à des kilomètres de distance, est un vrai calvaire.
Sa famille, ses soutiens sont démunis devant le silence, la cécité et l’entêtement des autorités. Qui peut donc se saisir de cette injustice, qui viole tous les engagements et conventions signées par la Turquie, concernant le respect des Droits humains ? La Cour Européenne a ses procédures, et elles sont souvent interminables et tatillonnes, voire restrictives. Le régime turc le sait, et sait aussi qu’aucun état européen n’est prêt à se fâcher sur ces tortures infligées à des personnes, au vu et su de tous.
Qui aura la force et la notoriété pour convaincre qu’accepter cette injustice et cette torture acceptée pour unE signifie que les bourreaux seront désormais sous totale impunité ?