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Le 9 juil­let 2021, Tahir Çetin, leader iconique du syn­di­cat Bağım­sız Maden İşçil­eri Sendikası (Syn­di­cat Indépen­dant des Tra­vailleurs des mines), et Ali Faik İnt­er jeune mem­bre du syn­di­cat, 26 ans sont décédés dans un acci­dent de voiture, alors qu’ils reve­naient d’une action de protestation.

Ils s’é­taient ren­du à Ankara, le 4 juil­let, avec un groupe de mineurs, ouvri­ers de l’en­tre­prise Uyar Maden­ci­lik à Soma, dont les indem­nités de licen­ciement ne sont pas ver­sées depuis 15 ans. Bien qu’ils aient eu une réu­nion avec une délé­ga­tion du min­istère de l’Én­ergie, leurs efforts étaient restés infructueux. Et le 8 juil­let, ils ont repris la route pour retourn­er à Soma. L’ac­ci­dent est sur­venu sur la route…

Tahir Çetin et Ali Faik İnt­er ont été inhumés aujour­d’hui par leur proches et cama­rades, avec beau­coup d’é­mo­tion et tristesse.

Tahir Çetin était, avec les tra­vailleurs des mines, atten­du à l’en­trée d’Ankara, par les forces de sécu­rité… Pour que les mineurs puis­sent enfin touch­er leur droit d’in­dem­nités, il s’é­tait entretenu avec Mustafa Eli­taş vice-prési­dent de groupe de l’AKP à l’Assem­blée nationale, qui bloque depuis des mois, un pro­jet de loi pré­paré en accord avec les min­istres d’In­térieur et d’En­ergie. Et, lors de la dernière ren­con­tre avec Mustafa Eli­taş, celui-ci lui avait répon­du “J’en ai rien à faire ! Vous avez tra­vail­lé pour moi peut-être…”

En hom­mage à cet homme de 49 ans, bat­tant et con­stant dans la lutte, voici la vidéo et la tra­duc­tion sa prise de parole le 7 juil­let, où les mots vien­nent avec une rage saine. Ces paroles émou­vantes furent ses dernières.

Dans la suite, vous trou­verez égale­ment quelques extraits de ses nom­breux entre­tiens antérieurs.

Devant l’opinion publique, notre Min­istre d’Intérieur a fait une déc­la­ra­tion. Il a dit : “je suis aux côtés des mineurs”. Il nous a promis “je vais faire une réu­nion avec le Min­istre de l’Energie”.  En effet, il a tenu sa promesse et a pré­paré un pro­jet et l’a con­fié à Mustafa Eli­taş, prési­dent du groupe de l’AKP. Nous nous sommes réu­nis avec Mustafa Eli­taş, trois fois. Il nous a dit que le Prési­dent de la République avait pris une déci­sion. Mais mal­heureuse­ment depuis deux mois, Mustafa Eli­taş bloque la loi décidée par deux min­istres. C’est une loi, une loi ! 

Il faut deman­der à Mustafa Eli­taş, ‘tu nous as dit, dans trois réu­nions, nous allons trou­ver un moyen’. Un moyen ! Le moyen c’est la loi ! Quel moyen, autre qu’une loi peut-il exis­ter ? Vous, depuis des années vous êtes devenus adeptes de la cor­rup­tion, de l’injustice. Nous voulons une loi. Une loi ! Payez les droits de ces ouvri­ers avec une loi. Sur quelle loi, sur quelle rai­son te bases-tu pour empêch­er, qu’une loi passe dans un par­lement élu avec la volon­té com­mune des gens ? Alors, cette Assem­blée n’a aucune volon­té, aucune force ? Ces ouvri­ers n’ont pas leurs sueurs ? Ou êtes-vous les éluEs de l’Assemblée ?

Les forces Spé­ciales, les mil­i­taires, les gen­darmes sont con­tin­uelle­ment en face de nous. Pourquoi ? Pourquoi pour l’amour de dieu, pourquoi ?

Mustafa Eli­taş dit que depuis 2012 il y a un empêche­ment sur cette loi. Com­ment tu peux le faire ? A qui as-tu demandé ? A qui ?” (Il se retourne et s’adresse aux ouvri­ers) Cama­rades vous a‑t-il demandé ?. (Ils répon­dent d’un’ seule voix “non”.) Illé­gale­ment, injuste­ment, sans traiter l’humain en humain, com­ment peut-il faire cela ? 

Ça suf­fit ! Regardez 301 cama­rades1nous voient là. Ça suf­fit, pour l’amour de dieu !”

Tahir Çetin racon­tait en 2018 à 1+1 :

J’ai com­mencé à tra­vailler à la mine en 2004. Avant, j’é­tais cul­ti­va­teur de tabac et éleveur de chèvres. Lorsque l’E­tat a mis des quo­tas sur le tabac, les revenus de l’él­e­vage ont bais­sé, j’ai ven­du les chèvres et j’ai com­mencé à tra­vailler à la mine. Depuis j’y suis. Toute ma famille vient de l’él­e­vage, et nous sommes orig­i­naire de Kınık, dis­trict voisin de Soma.

Au début nous ne savions pas ce que c’est qu’un syn­di­cat. Ensuite on nous a dit de ‘ceux qui veu­lent percevoir un salaire de plus, qu’ils se syn­diquent’. Nous nous sommes syn­diqués pour ça. Mais nous avons claire­ment vu que le syn­di­cat Türk Maden-İş était ori­en­té par l’employeur et l’E­tat. C’est pour cela que, après la cat­a­stro­phe de Soma, nous avons dit “l’as­sas­sin de 301 mineurs est le syn­di­cat, les respon­s­ables doivent démissionner”.

En voy­ant le tableau, nous avons com­mencé à nous organ­is­er. Türk Maden-İş était du du côté de l’E­tat et des patrons. Nous suiv­ions les pro­pos de DİSK (Syn­di­cat des ouvri­ers révo­lu­tion­naires). Les paroles étaient là, mais pas la pra­tique. Dev Maden-Sen avait une struc­ture plutôt bureau­cra­tique… Nous avons alors décidé de fonder Bağım­sız Maden-İş (Syn­di­cat minier indépen­dant) dans lequel la parole, l’au­torité et la déci­sions seraient ceux des mineurs.

Après la cat­a­stro­phe, toute la gauche est venue ici. La plu­part ont par­lé, ensuite s’en sont allés. Ensuite, ils nous ont attaqué en nous ques­tion­nant ‘com­ment se fait-il qu’il y a eu beau­coup de votes pour l’AKP ?’. Dans quelle mesure avez-vous tenu la main de nos cama­rades pour qu’ils ne votent pas pour l’AKP ? Les gens ne se poli­tisent pas en les aidant seule­ment finan­cière­ment. Il n’y a pas eu de struc­tura­tion bâtie, ensem­ble, avec les gens, au café, dans la rue, à table…

3731 ouvri­ers licen­ciés en 2014 n’ont pas reçu leurs indem­ni­sa­tions depuis 5 ans. Les ouvri­ers dont les droits sont con­fisqués se sont organ­isés en con­seil. Ils ont don­né un ulti­ma­tum à Türkiye Kömür İşletm­eleri (TKI) [insti­tu­tion éta­tique gérant les mines]. Ils ont décidé de marcher à Ankara le 13 sep­tem­bre 2019.”

En 2019 dans un inter­view avec 1+1, Tahir Çetin explique en détail les con­di­tions de tra­vail et affirme qu’un sys­tème totale­ment mécan­isé est mis en place depuis 2014. Celui-ci aug­mente exces­sive­ment la pous­sière. Par ailleurs, un pro­duit chim­ique est injec­té dans le char­bon pour l’ex­plo­sion. Respiré, celui-ci crée des gênes. Comme dans le nou­veau sys­tème le fer est très util­isé, la soudure est large­ment pra­tiquée, et cela raré­fie l’oxygène. “Toutes les mines fonc­tion­nent désor­mais comme ça. Il existe donc une pro­duc­tion et un sys­tème qui sont une sérieuse source de mal­adies pro­fes­sion­nelles et de fatigue extrême”. Tahir Çetin souligne que avec l’ar­rêt de l’u­til­i­sa­tion de dyna­mite, les effon­drements ont en effet bais­sé de 99%. “Le risque d’ef­fon­drement était préférable, car on a une chance de s’en sor­tir. Or l’en­vi­ron­nement de pous­sière ne te donne aucune chance. Si les mal­adies pro­fes­sion­nelles ne sont pas empêchées, la mort attend les mineur à 40, 50 ans…”

Suite aux con­trôles effec­tués tous les six mois, des cama­rades sont licen­ciés pour des prob­lèmes pul­monaires. La mal­adie pul­monaire obstruc­tive chronique (MPOC) et d’autres mal­adies pul­monaires ont aug­men­té. Ni le gou­verne­ment ni le syn­di­cat jaune n’ont aucun travaux con­cer­nant ces mal­adies pro­fes­sion­nelles. C’est une façon de penser ‘c’est le dieu qui a don­né la mal­adie. Il n’y a rien à faire. Nous avons fini avec toi. Va-t-en dans ta famille pour mourir’. Nous rap­pelons que les choses ne devraient pas être ain­si. Les gens que nous appelons “pou­voir” utilisent tous les pos­si­bil­ités médi­cales pour eux-mêmes, mais lorsqu’il s’ag­it des ouvri­ers, ils ne bougent pas le doigt. Lorsque nous expliquons cela aux ouvri­er, le syn­di­cat jaune dit ‘pour qui vous prenez-vous ? C’est nous qui sommes l’au­torité’. Les patrons et l’E­tat sont de son côté. Dif­fi­cile de faire face… Quant aux ouvri­ers, ils dis­ent ‘j’ai peur’. Nous essayons de résoudre ces prob­lèmes en nous structurant. 

Nous raison­nons et agis­sons avec la logique de comités. L’ou­vri­er qui devient mem­bre de notre syn­di­cat, fait ain­si par­tie des travaux de comités d’ou­vri­ers. La struc­tura­tion des comités partout, est notre pri­or­ité, plutôt que d’être mem­bre de syndicat.”

Lire aus­si Ayşen Şahin • Courte et amère requête

Tahir Çetin était de cette trempe qui ne plie pas, qui ne se casse pas en deux devant l’au­torité, l’E­tat et ses patrons. Il va beau­coup man­quer au syn­di­cal­isme en Turquie, à la fois parce qu’il était lucide sur l’or­gan­i­sa­tion du monde syn­di­cal et poli­tique en Turquie, mais aus­si parce qu’il pous­sait à ce que les tra­vailleurs soient autonomes et s’or­gan­isent en Con­seils entre eux, garantie que per­son­ne ne les achètent.

La lutte pour Soma va en subir les con­séquences, car si aucunE homme ou femme n’est prov­i­den­tiellE, les luttes ont tou­jours besoin d’une parole forte et d’or­gan­isa­teurs avisés, à même de les élargir, voire de les représen­ter en prenant tous les risques.

Hom­mage encore à Tahir Çetin, inlass­able com­bat­tant du collectif.


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