“Voici un long poème inspiré par Sherko Bekas et Choman Hardi sur le génocide de l’Anfal” nous écrit la poétesse Delphine Durand, “je suis dévastée par la beauté de la poésie kurde et je pense sérieusement à constituer un dossier pour montrer l’éblouissante folie et la ferveur unique de cette littérature”.
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ANFAL
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“Quelle main, quel œil immortel purent donc construire ton ordre terrible ?”
William Blake
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Pour Choman Hardi
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HALABJA
Je suis une blessure qui cherche sa nuit
Je me souviens maintenant que la mort fouille les entrailles
Qu’elle divague partout
Nous sommes des morts vivants
Nos os sont empoisonnés
Et bientôt les hautes herbes nous recouvriront
Et les serpents ramperont et se noueront à nos corps
HALABJA
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Jalal Talabani
Mon front est tombé comme une lampe vide veillant
La mort des statues
Dans ce monde en déroute
Où chacun de nous, à sa façon, a été brisé
Dans la matière noire de nos cerveaux palpite le génocide
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Couvre-moi le visage
De ce néant qui se répand en milliers d’exultations
Sous le couteau d’angoisse
Des jours humiliés
Tant d’années à marcher
Aveuglé par le carcan des insomnies
La méprisable échine de la boue
Affamé peut-être
Trouve-moi dans les éclats
De mon ombre
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J’arrive de loin
Des soleils innombrables obscurcissent mes pas
J’ai tissé les murs du monde
Je déchaîne la goutte de pluie sur le sable chaud
Je suis la forme diluée d’un bout de miroir
Libère ma flamme qui s’avale elle-même
Grande ouverte au vent du nord
Elle se recommence sans faute
En assassinant les larmes de celui qui se rêve tigre
En rongeant ses os
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Déchiffrant le visage diaphane d’une brève orange
Les tendresses tardives que les tempêtes battaient
Au pouls du naufrage
Mon corps est devenu cendre
Déjouant les oiseaux déchaînés de la solitude
Le duvet sauvage ne s’effraie pas du tranchant d’ombre
J’apporte la mort
Trouve-moi
*
C’est toi Ali Hassan Al Majid qui criait à tes soldats
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Vous arracherez vos sexes pour les enterrer avec toutes ces femmes recouvertes de chaux
Vous leur caresserez infiniment les cheveux avec du gaz moutarde
Vous honorerez leur beauté en la copiant dans les miroirs
Vous dresserez dix bougies pour vous mettre au monde
Dans le sépulcre des rêves
Voici les bombardiers
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Les pierres crient et les fosses se referment en criant
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Et les zoroastriens vous brûlerez
Dans la cendre des vulves on se rince les doigts
Dans un lait plus pur que celui de vos mères
Rappelez vous de DERSIM et des tribus
On ne défigure les étoiles
Que pour bâtir des prisons
*
Nabuchodonosor avait rêvé de la statue
Aux jambes de fer
Aux pieds de fer mêlés d’argile
*
ANFAL
L’assoiffé et le noyé n’ont pas la même soif
Je fuis autant les morts que les vivants
Et l’inévitable alternance de lumière et de ténèbres
Harcelé par les charognards
Je pue en plein soleil
Ce soleil noir qui ferme si fort les paupières
Je fais lever une aube avec ma salive
*
Telle est mon existence dans la désolation
À quoi sert le langage si la nuit n’est plus nécessaire
La raison ne résiste pas à son propre poids
En Turquie
Suicidaire et assassin
Le vagissement d’un dieu corrompu par sa boue
Et Goran de se lamenter
Et Halladj
Où sont les poètes ?
*
Je suis devenu un cadavre
Un homme traqué
Les fantômes se vrillent un passage à travers moi
J’ai couvé les rêves
Comme l’habitant de la folie qui s’attaque au galet
J’étais le cosmos rassemblé dans une infime tache
Un bélier de feu me portait vers les troupeaux du sexe
Pour violer les cadavres du futur avec les longs clous du désastre
*
La mélancolie ouvre ses ailes
Léchant le sang que laissent les pluies nocturnes
Je suis une blessure qui cherche sa nuit
Et tous ces morts me rendent mon nom
Quand je vois la nuit protéger le jour
De mon pur néant
*
Couvre-moi d’un silence d’étoiles
Dans l’ombre aveugle des arbres
Je cherche ma voie
Dans la ceinture accablée du froid
J’accroche mon chiffre ardent
*
Mon nom ne se dit pas pour boire la nuit
J’invente une mer pour ma juste peine
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