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Voici la traduction française d’un article d’Evrim Kepenek, édité sur Bianet, ce 8 juillet 2021, à propos de la tentative que l’autrice Meral Şimşek fit dernièrement pour quitter la Turquie.
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L’écrivaine kurde Meral Şimşek a témoigné qu’elle avait été arrêtée par la police grecque le 29 juin dernier alors qu’elle passait de la Turquie à la Grèce, et qu’elle avait été soumise à une fouille à nu.
Selon Meral, elle a été battue pendant des heures, même après avoir déclaré qu’elle faisait face à des accusations pour “propagande terroriste” et “appartenance à une organisation” en Turquie, et qu’elle était membre du PEN.
Meral Şimşek a expliqué qu’elle et Dicle, une femme syrienne détenue à ses côtés, ont été harcelées par la police grecque. De plus, leur ordinateur, le téléphone portable et une grande somme d’argent qu’ils avaient avec eux ont été saisis par la police. Les appareils ont été jetés dans le fleuve Maritsa1, quelques heures plus tard.
Lorsqu’elles ont été refoulées en Turquie, par la côte d’Ipsala, Şimşek a été arrêtée au motif qu’elle avait enfreint l’interdiction de voyager. Meral Şimşek a été libérée seulement après avoir passé 8 jours derrière les barreaux.
Jugée pour “propagande en faveur d’une organisation terroriste” et “membre d’une organisation terroriste” en Turquie, Meral Şimşek est une autrice éminente, qui a reçu des prix nationaux et internationaux.
En rappelant que ses poèmes kurdes ont été publiés dans l’anthologie de poésie 2021 en Grèce, Meral Şimşek dit :
“Quand c’est bon pour eux, ils utilisent mes poèmes ; mais ils me renvoie dans ce pays où je suis jugé et arrêté à cause de mes pensées. Pour couronner le tout, après des heures de violence, de détention, de fouille à nu, de harcèlement…Nous sommes restées coincées dans un marécage pendant des heures”
Meral Şimşek a également émis un rapport médical, documentant les violences.
Elle raconte ainsi l’incident
“Ce 29 juin, vers 20 heures, j’ai traversé le fleuve Maritsa. J’ai marché pendant une heure et demie. J’ai rencontré une femme nommée Dicle sur le chemin. Pour autant que je sache, ils l’ont maintenant envoyée dans un camp de réfugiés. Nous avons traversé la Maritsa. Après avoir traversé le fleuve, nous avons marché pendant une heure et demie. La police des frontières grecque a alors commencé à nous suivre. Nous avons réussi à lui échapper quasi 17 fois. Puis nous sommes arrivées dans une forêt. Nous sommes tombées dans un marécage là-bas. Nous avons attendu dans ce marais, pendant des heures avec Dicle. Nous nous étions apparemment retrouvées dans une zone sauvage.
Par téléphone, des avocats nous ont envoyé l’emplacement en nous indiquant de nous rendre à Ferez. Nous échappions aux renards et aux sangliers, mais, pendant tout ce temps, nous voyions les “soldats de la déportation” et nous leur échappions à eux aussi. On nous avait dit de ne pas se laisser prendre par eux, car ils nous déporteraient immédiatement.”
Ils ont même fouillé nos vagins
“Comme les 8 ou 10 personnes restantes, nous sommes arrivées sur la route principale. Un véhicule de la police grecque est survenu entre-temps. Lorsque cette police est arrivée, je leur ai expliqué ma situation afin qu’ils puissent m’aider.
Je leur ai mentionné que je suis autrice, membre du PEN, et qu’il y a des procès contre moi, en Turquie. Nous marchions depuis 15 heures, et nous avions faim. Nous n’avions pas bu d’eau. Nous étions dans un état misérable. Ils ont pris nos cartes d’identité et les ont signalées quelque part.
Les avocats essayaient de nous contacter. Un autre véhicule de police est arrivé à ce moment-là. Et d’un coup, il y a eu foule de policiers. Ils nous ont déshabillées là-bas et ont fait une fouille corporelle, à nu.
Ils ont regardé même dans nos vagins. Nous avons été harcelées là-bas. Nos téléphones sonnaient constamment entre-temps. Ils tenaient nos téléphones. Ils ont apporté un véhicule plus gros, sans plaque d’immatriculation. Ils nous ont mises là-dedans.”
J’ai pensé qu’ils allaient nous tuer, nous jeter à l’eau
“Le véhicule sentait le sang, il y avait des taches de sang partout. Ils avaient apparemment transporté plusieurs personnes comme ça. De l’urine et des excréments humains étaient répandus partout. Nous roulions sur un terrain accidenté. Le chauffeur a changé deux fois entre-temps. À ce moment-là, je me suis dit qu’ils allaient nous tuer. Ils nous ont trimballées pendant au moins une heure et ils se sont arrêtés quelque part.
Ils ont dit que quelqu’un parlait turc ici. Ils nous ont fait descendre. Quand j’ai regardé autour de moi, j’ai vu que nous étions au bord d’un fleuve. Il y avait des fonctionnaires autour de nous, avec ou sans masques. J’ai encore pensé qu’ils allaient nous tuer et nous jeter à l’eau. J’ai essayé d’expliquer ma situation en turc. J’ai commencé à mendier en disant que ce qu’ils faisaient était une violation des droits, de ne pas le faire.”
J’ai également été déshabillée et fouillée dans la prison d’Edirne
“Au moment où j’avais réclamé mes droits, les policiers de frontière ont commencé à me frapper avec des crosses. J’ai été horriblement battue. Ils ont jeté Dicle dans un bateau. Il y avait aussi deux africains sur ce bateau. Ils nous regardaient avec peur. Les policiers ne nous ont pas rendu nos sacs à bandoulière, mais ont jeté nos sacs à dos dans le bateau. Ils m’ont aussi jetée dans le bateau. J’ai résisté et ils m’ont jetée à l’eau. J’ai alors vu les soldats turcs de l’autre côté.
Ils ont emmené Dicle dans le bateau. J’essayais de traverser à la nage. Ensuite, Dicle m’a emmenée au bateau. C’est ainsi que nous avons atterries sur la côte. Nous nous sommes rendues aux soldats là-bas.
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Meral Şimşek • Entre deux frontières
Dicle ne connaît pas le kurde, je leur ai parlé de sa situation. Le poste frontière d’İpsala nous a emmenées. Ils m’ont arrêtée là-bas pour avoir enfreint l’interdiction de voyager à l’international et m’ont envoyée à la prison d’Edirne. J’ai entendu dire que Dicle avait été envoyée elle, dans un camp de réfugiés. Ils m’ont fait subir une nouvelle fouille à nu, quand je suis allée à la prison d’Edirne.
La prison est dans un état misérable. C’est une prison de 200 ans et les conditions y sont horribles. Ils m’ont mise avec les femmes arrêtées pour des accusations liées à l’organisation terroriste Fethullahist (FETÖ)”.
Elles ne veulent pas que leurs noms soient divulgués. Mais presque toutes ont déjà fait l’objet de fouilles à nu plusieurs fois. L’enfant de 15 ans d’une des femmes a été menotté dans le dos. Alors que l’une d’elle subissait un “déshabillage pour recherche”, elle avait son enfant avec elle.
Après être restée 8 jours dans cette prison, j’ai assisté à l’audience tenue devant le tribunal de Malatya, via le Système d’Information Audio et Visuel (SEGBİS). Il m’ont libérée sous condition de signer 3 fois par semaine.”
Eren Keskin : Nous allons nous adresser à la CPI
“La coprésidente et avocate de l’Association des droits de l’homme (İHD), Eren Keskin, déclare que la Grèce a commis un crime international contre l’humanité :
La situation de Meral indique un problème à deux aspects :
D’un côté, elle a subi de fortes pressions dans la région aux côtés de sa famille. Elle a subi des violences policières, du harcèlement et des enlèvements. Elle est actuellement jugée pour propagande, en raison de ses pensées. C’est une figure littéraire, un artiste.
Elle souffre également d’une maladie cardiaque et d’un problème avec ses poumons. Elle a laissé ses deux enfants derrière elle et a fui la Turquie, juste pour éviter de finir en prison.
D’un côté, c’est horrible. Ils privent de vie une personne, à cause de ses pensées. De l’autre, lorsque vous vous enfuyez vers une géographie réputée berceau de la démocratie vous y êtes soumisE au même traitement, et les organisations policières n’y sont pas différentes.
Nous accéderons aux rapports à İpsala. Il existe des rapports documentant les coups reçus. Ensuite, nous allons nous adresser à la Cour pénale internationale (CPI). Nous allons postuler auprès des Nations Unies (ONU). La Grèce a commis un crime grave contre l’humanité.”
Kedistan se permet d’ajouter un lien vers un article qui concerne également “l’amabilité” de la police des frontières grecque et la façon dont elle opère.