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Ce 7 juillet à 22h, nous avons été prévenus en urgence : Erk Acerer, journaliste basé à Berlin, a été attaqué par des hommes armés à son domicile.
En effet, à 21h56, Erk partageait sur son compte Twitter une photo attestant de ses blessures à la tête et au visage “J’ai subi dans mon domicile une attaque au couteau et force coups”. Nous apprenions quelques minutes plus tard, toujours par ses tweets, qu’il se dirigeait vers l’hôpital “je sais qui sont mes assaillants” disait-il à chaud, “je ne me plierai jamais devant le fascisme !”. Ensuite il nous apprenait qu’il était admis et maintenu en surveillance à l’hôpital, et n’avait heureusement pas de risque vital.
Né en 1973 à Istanbul, Erk Acerer a travaillé pour de nombreux journaux et médias, et continue son activité journalistique depuis l’Allemagne, pour Taz, Birgün, ArtıTV... Il est également auteur d’une douzaine de livres, et son travail fut récompensé plusieurs fois, entre autres par le prix de journalisme Metin Göktepe, et le prix Musa Anter… Vous avez compris, Erk est un journaliste chevronné et clairement opposant au régime turc, et qui ne mâche pas ses mots.
Aujourd’hui Erk fait une déclaration vidéo sur compte Twitter, accompagnée de ces quelques lignes “Ceci est mon communiqué à l’opinion publique, à la presse et à mes ami.e.s journalistes : Sachez que nous allons continuer à demander des comptes, sachez que nous serons aussi ceux qui fermeront les comptes !”
Voici la traduction de la vidéo ci-dessous:
Salutations à tout le monde.
Ma figure a un peu changé, mais il parait que cela passera. Je viens de rentrer tout juste de l’hôpital. Comme il y avait des soupçons d’une fracture de l’os crânien, on m’a tenu en observation, mais mon état n’était pas grave, malgré l’inquiétude. J’ai subi l’attaque de trois personnes armées, dans la cour de l’immeuble où je réside. Un des assaillants hurlait “tu n’écriras pas mec !”. Le nombre des témoins ayant augmenté lors de l’incident, ils n’ont pas pu utiliser d’armes. Ceci est la preuve que tout ce que nous écrivons et disons à l’encontre du pouvoir AKP-MHP islamiste, fasciste, est véridique. C’est une démonstration, la preuve du résultat. Concernant les assaillants, j’ai bien sûr une idée et des informations. Les forces de sécurité m’ont dit “pendant quelques jours ne donnez pas de noms de personnes ou de groupes, notre travail en serait compliqué, le cercle s’élargira”. Mais la réponse à la question “Où vont les 10 mille dollars?“1 se trouve justement là. Les marchands d’armes qui ont volé le bien public se trouvent juste à notre côté.
Je devrais dire qu’il n’ont rien compris. Car nous avons pris la route, non pas pour être tranquilles nous-mêmes, mais pour que nos enfants soient sereins. C’est pour cela que nous faisons du journalisme. Sachez que, autant que je peux, je ne me laisserai pas déposséder de la cause de Berkin Elvan2, ni de celle de Nihat Kazanan3… Vous avez crée dans ce pays, des enfants qui ne peuvent dormir, dans la faim et le froid. Nous en sommes rendus au point d’avoir honte de border nos enfants qui dorment.
Je considère comme une dette, les remerciements à mes cher.e. ami.e.s, mes, lecteurs et lectrices, et à ma famille. Je vais tâcher de répondre aux messages autant que je le peux.
Maintenant il est temps d’être encore plus exigeant. Faites ce que vous pouvez, mais sachez que nous allons continuer à demander des comptes. Sachez que nous serons aussi ceux qui fermeront les comptes !
Kamuoyuna ve gazeteci dostlara açıklamamdır: Bilin ki hesabınını sormaya devam edeceğiz, bilin ki hesabı kapayan da biz olacağız! pic.twitter.com/aG2QKkllsw
— Erk Acarer (@eacarer) July 8, 2021
Cette agression n’est pas un cas isolé. Elle est de plus “ciblée”, contre un journaliste exigeant. Elle pourrait être classée parmi les “actions extérieures de l’Etat turc”, les assassinats ciblés ou les tentatives, comme toutes celles qui furent étudiées lors de la Session internationale du Tribunal des Peuples à Paris en 2018. La personnalité et la ténacité d’un journaliste comme Erk Acerer nous le fait penser. La considérer comme un simple fait divers, une lubie de loups gris mécontents, serait ne pas se poser les bonnes questions.
Car cette attaque, justement, intervient alors que des règlements de comptes internes à la Turquie, au sujet des bénéficiaires de la corruption et du rôle qu’y ont joué certaines mafias alliées du pouvoir, ont court. Sedat Peker, le mafieux, a visiblement plus d’un dossier sous la main qui remonteraient jusqu’au Reis. Et l’on sait que tout cela tient de l’interrogation de l’aile ultra nationaliste en Turquie, sur la solidité politique à venir d’Erdoğan, et donc de leur propre avenir dans l’alliance.
Il n’est qu’à voir comment le régime tourne en rond dans la procédure d’interdiction du HDP, et comment de son côté l’aile MHP règle directement les choses par assassinat, pour comprendre qu’il y a quelques divergences sur les méthodes. Ainsi, alors que les relations turco-allemandes sont plutôt à la hausse, embarrasser la Chancellerie avec une agression ciblée contre un journaliste d’opposition turc relève de ces divergences de méthode.
Et si certains pouvaient penser que c’est plutôt une complémentarité, ils se tromperaient sur l’état de la crise qui traverse le régime.
Il va être intéressant de suivre les réactions des autorités allemandes, elles-mêmes en période de changement, même si l’on sait que la boussole des “migrants” restera au centre des relations.
Tous nos voeux de prompt rétablissement à Erk Acerer, bien sûr, et tout notre soutien dans son combat pour la vérité…