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Les rideaux sont ouverts et nous, la populace, avons pu enfin visiter par procuration la résidence estivale du Reis Erdoğan, nommée humblement “Palais d’été”, que nous avons financé avec nos impôts.
Situé dans la baie Okluk, à Marmaris, district de Muğla, il y avait une modeste habitation où le 8ème Président de la République, Turgut Özal, passait ses vacances d’été. Celle-ci fut détruite, et s’est élevée à sa place, la maisonnette estivale du Reis Erdoğan. La construction du Palais d’été s’est achevée en 2019 mais, il resta entouré de mystère, jusqu’à ce que Şefik Birkiye, l’architecte de la bâtisse partage les photos sur son site internet…
Şefik Birkiye est aussi la conceptrice de 7 mosquées dont celle imposée sur la place de Taksim à Istanbul, et entre autres projets de profit, la bâtisse de la Banque Centrale de Turquie, construite au Centre de Finances d’Istanbul…
Pour le palais, 640 millions de livres turques (59 millions d’Euros) furent dépensées par le budget de la présidence entre 2018 et 2021… La construction fut réalisée dans un grand secret par l’entreprise “Rönesans”. Le palais, constitué de 5 parties est bâti sur un terrain de 92 000 m², trois blocs de logements s’ajoutent au complexe afin d’héberger le personnel, au service du grand homme…
Une partie du rivage de 10 966 m² fut comblée, avec du sable spécial, pour former une plage privée, équipée de bungalows et pontons pour les petits plongeons… D’ailleurs, le comblage des rives étant interdit, beaucoup de voix s’élevèrent, questionnant cette plage artificielle…
Chambres, salons, espaces de repos et réception, avec ses 300 pièces ont déjà accueilli les amis d’Erdoğan l’été dernier, comme Edi Rama, le Premier ministre de l’Albanie, et Ilham Aliyev, le Président de l’Azerbaïdjan…
Suite aux révélations photographiques, en réaction, des partages indignés ont plu sur les réseaux sociaux, mettant côte à côte la galère des populations les plus démunies qui ne cessent de s’élargir, les suicides de désespoir dont le nombre augmente de jour en jour. Parlons seulement de celui d’Ilyas Tetik, un violoniste virtuose, qui a renoncé à la vie, ayant pourtant joué pour les artistes les plus célèbres et populaires du pays… Il s’est donné la mort, hier, le 5 juillet.
Chômage, pauvreté, difficultés de survie… Ainsi va la vie sous le régime corrompu d’Erdoğan. En effet, fin 2020, le seuil de famine, déclaré par le syndicat TÜRK-İŞ, pour une famille de quatre personnes, était de 3 146 LT (équivalent 300 €) seulement pour une alimentation de base minimum, et, lorsqu’on intègre les frais d’habitation, habillement, transport etc, le seuil de pauvreté s’élevait à 11 186 LT (équivalent 1100 €), au regard des prix. (Cumhuriyet — Février 2021)
Le SMIC, qui était début 2020, de 287 €, a reculé en fin d’année jusqu’à 245 €. Le chiffre des personnes sous le seuil de famine et de pauvreté a accusé une hausse de 20% en un an.
Selon la confédération de syndicats DİSK, le chômage était en début 2021 à 28,8 %, avec un nombre de chômeurs de 10 million 382 milles. Même L’institut de la statistique turque TÜİK, qui a tendance en principe à “maquiller” les résultats, ne peut étouffer cette situation. En mai-juin derniers, près de 200 milles personnes ont perdu leur travail. Chez les jeunes, le chômage est encore plus grave, 1 jeune sur 4 est au chômage. Toujours selon DİSK, concernant les suicides liés aux difficultés économiques, la Turquie est le premier pays européen. Le nombre de pauvres, 23 millions, a augmenté en un an de 700 milles personnes. (The Independant Turkish 18 juin 2021)
Récemment, un maire de l’AKP s’est permis de dire en commentant un cas de suicide économique, “si le suicide pouvait être lié à l’économie, alors, la moitié des citoyens se suiciderait”. Quelque part il reconnaissait la réalité économique du pays… Pourtant, les suicides existent, ils sont clairement définis par les messages laissés par les victimes mêmes, et relayés par les médias. En 2020 le nombre moyen de suicides en Turquie était de 9 personnes par jour. Par ailleurs, il faudrait noter qu’il existe également 40 fois de plus de suicides non aboutis… (The Independant Turkish 18 juin 2021)
Voilà pourquoi, ce Palais d’été d’Erdoğan facturé au contribuable éveille autant d’indignation et pourquoi les propos inacceptables des politiques et personnalités de l’AKP, les manchettes des médias de propagande du régime viennent illustrer cette indignation ressentie…
En effet, des Unes récentes de médias “alliés” deviennent indécentes, et sur les réseaux sociaux, comme celles, entre autres, de Takvim, qui publiait sous la manchette “N’allez pas faire des courses sans lire cet article” de bons conseils comme “ne faites pas vos courses à jeun, n’y amenez pas vos enfants“ou le reportage de A Haber, “Rester à jeun pendant longtemps rallonge la durée de vie”… On peut aussi citer le documentaire “Comment se nourrir des poubelles” produit par la TRT, la chaîne d’Etat. La défense d’une vie alternative, la lutte contre le gaspillage alimentaire et la pollution générées par les déchets et les transports n’étant pas vraiment le rayon du régime turc, qui n’est pas non plus le premier défenseur du freeganisme, il n’est pas difficile d’imaginer de quelle façon ce documentaire fut perçu par le public…
On se souvient aussi des conseils bienveillants que la Première dame Emine Erdoğan donnait pour lutter contre la pauvreté. Le souvenir est frais, car ces propos ne datent que du 30 juin dernier…
“Venez, prenons des mesures simples : préparons une liste d’achats avant d’aller faire des courses, réduisons nos portions.”
Donc, pour visiter le nouveau palais d’été d’Erdoğan, prière de laisser vos chaussures devant la porte.