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Roja­va. La chaleur étouf­fante du mois de mai tombe douce­ment alors que le soleil décline. Der­rière l’u­ni­ver­sité de Qamish­lo, au nord de la Syrie, quelques per­son­nes s’af­fairent dans un espace en friche devenu jardin.

L’air y est plus léger qu’en ville, moins chargé des pous­sières et des fumées de mau­vais mazout ali­men­tant généra­teurs et engins motorisés, qui empuan­tis­sent l’at­mo­sphère et raclent la gorge. Les bénév­oles de Keziyên kesk – les tress­es vertes –, un groupe de jeunes femmes et hommes, s’ac­tivent à enlever les mau­vais­es herbes autour des dizaines de jeunes pouss­es d’ar­bres, alignées en rang ser­ré, avant de les arroser soigneuse­ment en veil­lant à ne pas les noyer.

Le pro­jet Keziyên kesk a démar­ré en octo­bre 2020. “Les poli­tiques menées dans la région ont endom­magé notre envi­ron­nement et notre sys­tème écologique. Au moins cinq riv­ières au Roja­va sont aujour­d’hui à sec. Le régime ne s’est jamais préoc­cupé d’é­colo­gie. Il voulait faire de la région une réserve de blé, sans se préoc­cu­per de ses habitant.es.” explique Ziwar Shexo, un des porte-parole et cofon­da­teur du pro­jet, jour­nal­iste de la chaîne Ron­ahi. “Il y a 25 ans il y avait des riv­ières, une plus grande var­iété de plantes. Main­tenant que l’Ad­min­is­tra­tion Autonome est en charge, nous avons la pos­si­bil­ité de répar­er notre envi­ron­nement. Nous devons accepter le fait que celui-ci en est mau­vais état et que nous devons chang­er cela. Il n’y a que 1,5% d’e­spaces verts au Roja­va, alors que les recom­man­da­tions inter­na­tionales sont de 10 à 12%. Le manque de cou­ver­ture verte fait que l’on souf­fre davan­tage de la chaleur, de la pol­lu­tion, et des mal­adies. En Syrie, 80% des patients atteints de can­cer vien­nent du nord/nord-est. Après avoir appris cela, nous avons décidé de faire quelque chose en tant que société civile. L’Ad­min­is­tra­tion Autonome et les autorités locales ne pou­vant le faire par elles-mêmes faute de moyens, nous avons décidé de nous empar­er du pro­jet. Nous voulons que toute la société y prenne part, en dif­fu­sant la cul­ture de planter des arbres, ce dont les gens ne se soucient pas en ce moment.”

rojava

(pho­to Loez)

Les bénév­oles veu­lent planter 4 mil­lions d’ar­bres dans la région, ce qui aurait coûté 30 mil­liards de livres syri­ennes en achat de graines, soit plusieurs mil­lions de dol­lars au cours actuel, une somme absol­u­ment démesurée. Ils ont donc décidé d’en appel­er aux dons. Des graines ont été envoyées de toutes les villes des zones sous con­trôle de l’Ad­min­is­tra­tion du Nord et de l’Est de la Syrie. “C’est main­tenant une grande une respon­s­abil­ité pour nous” explique Sidar, étu­di­ante en médecine. “Nous traitons ces plants comme nos enfants”. L’u­ni­ver­sité du Roja­va a prêté le ter­rain qui accueille à présent les 80 000 plants à l’é­tat de pouss­es – 95% des arbres plan­tés ont pris : vigne, figu­iers, mûri­ers, grenadiers, atten­dent main­tenant de grandir pour être plan­tée quelque part dans la région de la Cizrê. Un ter­rain vague à l’a­ban­don a aus­si été con­fié par la ville, les bénév­oles l’ont net­toyé et se pré­par­ent à y planter des arbres. Un comité sci­en­tifique, com­posé notam­ment d’ingénieurs agronomes, épaule les bénév­oles du pro­jet afin de lancer des études dans la région pour décider des meilleurs endroits pour planter ces arbres. Par exem­ple, les bor­ds de routes, autour des vil­lages avec des arbres fruitiers, dans les cours d’école…

(pho­to Loez)

Ini­tiale­ment fondé par trois ami.es et porté par un noy­au dur d’une quin­zaine de per­son­nes aux pro­fils var­iés, bien que plutôt intel­lectuels, étu­di­ante, jour­nal­iste, fonc­tion­naire, écrivain.e, le pro­jet est ouvert à toute per­son­ne volon­taire et bénév­ole. Les invi­ta­tions lancées via les réseaux soci­aux ont ren­con­tré un grand suc­cès, avec des dizaines de per­son­nes présentes lors d’ac­tions ponctuelles. Des écoles sont venues prêter main forte, ain­si que la fédéra­tion des blessés de guerre. Le pro­jet se veut indépen­dant de l’Ad­min­is­tra­tion Autonome et ancré dans la société civile, prêt à accepter l’aide de n’im­porte quelle per­son­ne volon­taire ou structure.

(pho­to Loez)

Le nom Keziyên kesk a été adop­tée en hom­mage à la lutte des femmes au Roja­va, en par­ti­c­uli­er aux femmes Ezi­dies dont le mari a été tué par daesh, et qui ont coupé leur tresse pour l’at­tach­er à la tombe de celui-ci, sym­bole de résistance.

Naz­dar a 25 ans, elle a une for­ma­tion d’ingénieure civile et tra­vaille pour une ONG depuis quelques années. “Jin vient de jiyan qui vient de nature. La nature donne la vie, tout comme les femmes. Si une femme aime planter des plantes, elle trans­met­tra cette pas­sion à ses enfants, plus qu’un homme. Si vous changez la sit­u­a­tion des femmes, vous changez aus­si la généra­tion future.” affirme-t-elle. “Notre pro­jet est plan­i­fié sur 5 ans. Nous n’en sommes qu’au début. J’ai appris son exis­tence via les réseaux soci­aux et je suis venue. Je cher­chais à m’in­ve­stir dans un pro­jet de ce genre, je n’ai pas hésité. Au début j’avais peur qu’il ne s’agisse juste que de planter des arbres sans s’en occu­per. Mais ici c’est du long terme. Le sujet intéresse les jeunes, il y a même eu une chan­son écrite pour nous. C’est aus­si un endroit où pass­er du temps, avec d’autres per­son­nes proches de nous. Nous n’avons que très peu d’en­droits pour cela. Ça per­met de se chang­er les idées. Si le pro­jet était lié à une organ­i­sa­tion poli­tique, je ne l’au­rais pas rejoint. C’est un pro­jet de la société civile.

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(pho­to Loez)

Keziyên kesk com­mence à se dif­fuser au-delà de Qamish­lo, à Hes­eke et Dar­basiyeh, où des comités sont en cours d’or­gan­i­sa­tion. D’autres pro­jets sim­i­laires exis­tent aus­si dans la région, notam­ment celui de la Com­mune Inter­na­tion­al­iste, Make Roja­va Green Again.

Mehmûd Çaq­maqî, un autre cofon­da­teur du pro­jet, est écrivain et orig­i­naire d’E­frîn, région envahie par l’É­tat turc et ses sup­plétifs à la fin de l’an­née 2018. Les occu­pants en ont mas­sive­ment chas­sés ses habitant.es, com­met­tant assas­si­nats, vio­ls et vols sur celles et ceux qui sont resté.es, comme en attes­tent les nom­breux témoignages des rescapé.es. Les forces d’oc­cu­pa­tion ont notam­ment ciblé les oliviers pour lesquels la région est réputée. Pelle à la main, Mehmûd explique : “A Efrîn ils coupent des arbres, près de 1400, et ils tuent la terre. Ici nous plan­tons. Nous n’avons pas de fron­tières, nous sommes prêts à planter des arbres partout, y com­pris à Sere Kaniye et à Efrîn, Nous espérons que notre activ­ité inspir­era les gens et les encour­agera à rester ici et à ne pas émigrer.”

Loez

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Loez
Pho­to-jour­nal­iste indépendant
Loez s’in­téresse depuis plusieurs années aux con­séquences des États-nations sur le peu­ple kurde, et aux luttes de celui-ci.