Del­phine Durand livre sur Kedis­tan des hom­mages poé­tiques. Pour les retrou­ver tous, suiv­ez ce lien. Ce poème est accom­pa­g­né des oeu­vres de Col­ine Lin­der, artiste et chanteuse angevine soror­ité.


 

Apprivoiser un chat sauvage

A ceux et celles qui reposent
Dans les cimetières silen­cieux du Rojava

 

Mon père dis­ait toujours

Le sang plane

Ondoie sur nos corps

Si le sang pou­vait parler

Une main pressée sur mon ventre

Je cour­rais

Et les voix :

« Fous le camp ! »

Ce n’était pas la voix des étoiles

Ils m’ont rattrapée

J’ai sen­ti dans mes os

La pesan­teur de mon incarnation

Vous m’avez lancée comme un galet

J’ai ric­oché un peu plus loin

Que les portes de la mort

Ma bouche rem­plie de sang

Est cet oiseau cramoisi

Qui se con­sume en une seule lumière

J’ai beau être nue

Je porte le jour comme un vêtement

Un bour­reau se penche

Il a les yeux bleus

Comme la pierre désolée dans un ruisseau

Noirs comme une cas­cade qui coule la nuit

Ils dis­aient

On va pli­er ton corps comme une couverture

En deux

En qua­tre

Chaque corps éten­du sur la terre

Fait naitre un papil­lon de nuit

Pour que celui qui vivait au commencement

Puisse renaitre au dernier jour

Madame

La vie c’est du vinaigre

Il faut tout avaler

Je pleure tant j’ai soif

 

Filles mortes dans les cimetières

Nou­veau-nés sur le sein

Réveillez vous

Vous pou­vez me marcher dessus

Je suis pure solitude

Ecartel­er ma chair

Je suis nuage errant

Déchir­er mon ventre

Je suis vent indifférent

Et la cen­dre de mon corps triste

Est cette arachide mâchée

Pour nour­rir

Le bois déri­vant de vos loin­tains bateaux

Dans le désert du cerveau

 

La pléni­tude de l’assoiffé

Se dédou­ble

Au con­tact de l’eau

Les lèvres que ceignent

La lumière

Cachée

 

Mon père dis­ait toujours

Apprivois­er un chat sauvage

C’est tomber du som­met neigeux des montagnes

Sans jamais touch­er l’été

 

Delphine Durand

Col­ine Linder


Image à la Une par Col­ine Linder

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Delphine Durand
Poétesse
His­to­ri­enne de l’art, mys­tique, poète, lais­sons au pluriel mag­nifique les mots de l’invisible… Del­phine est ontologique­ment présente dans la seule per­durable présence de l’art. Après des études de théolo­gie et de philoso­phie, elle choisit l’histoire de l’art mais son cœur ner­va­lien l’entraine vers des univers fan­tas­ma­tiques et sauvages, et enfin la poésie où nous sommes tous libres.