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Vous ne con­nais­sez sans doute pas Sedat Peker, notre désor­mais youtubeur de la mafia le plus con­nu en Turquie.

Il a entre­pris depuis quelques temps de sol­der ses comptes avec cer­tains plus cor­rom­pus que lui, dont il avait per­mis l’as­cen­sion, et qui se mon­tr­eraient moins généreux avec lui qu’ils ne l’ont été auparavant.

Ces règle­ments de comptes par réseaux soci­aux et médias inter­posés font de plus en plus chif­fon, dans notre Turquie bigote.

Tant que le mon­sieur promet­tait des riv­ières de sang con­tre les opposants, per­son­ne n’y voy­ait à redire, et tout le monde le lais­sait prof­iter du beurre et de l’ar­gent du beurre, et demandait au pas­sage de petits coups de mains, voire de faciliter quelques achem­ine­ments d’arme­ment à des bar­bus côté Syrie. Tant que le “don­nant don­nant” fonc­tion­nait dans l’huile d’o­live, sans noy­aux, et que l’ar­gent, les filles et les bag­noles agré­men­taient la vie de cer­tains, côté AKP et mafias, il n’y avait rien à réclamer.

Quel est donc le noy­au qui a coincé ?

Avant 2016, la Turquie avait déjà con­nu une péri­ode de “révéla­tions”. C’é­tait alors le dif­férent sur le partage de la cor­rup­tion et des pou­voirs avec la secte Gülen, infil­trée partout au sein de l’ap­pareil d’é­tat, armée, jus­tice, et enseigne­ment religieux entre autres, qui avait fail­li met­tre en péril la dom­i­na­tion du Reis Erdoğan. Ren­voi de juges, con­fis­ca­tions, répondait alors à divul­ga­tions d’é­coutes télé­phoniques, et toute la Turquie se moquait de Bilal, jeune fils d’Er­doğan deman­dant à son père, dans une con­ver­sa­tion enreg­istrée, ce qu’il devait faire des sous mis de côté. Le coup d’é­tat man­qué de juil­let 2016 avait tout remis en place, et le nou­v­el allié était désor­mais plutôt loup et ultra gris de préférence, mafieux sou­vent, pour les ser­vices occultes.

Un petit détour à pro­pos de la bête noire actuelle de Sedat Peker, Süley­man Soy­lu, min­istre de l’In­térieur de son état. Cinquan­te­naire, mem­bre de l’AKP depuis 2012, il a fait ses armes dans les gou­verne­ments qui ont précédé 2016. C’é­tait un ami du youtubeur mafieux à qui il four­nis­sait des ser­vices de sécu­rité et de con­fort. Il devient min­istre de l’In­térieur après le coup d’é­tat man­qué et de fait l’exé­cu­teur des purges.

sedat peker

Pan­neaux : (à gauche) “Des mil­liers de gilets pare-balles, de la part du chef Sedat Peker, en sou­tien à l’Ar­mée syri­enne libre”. (A droite) “Des douzaines de 4x4 véhicules tout-ter­rain, de la part du chef Sedat Peker, en sou­tien à l’Ar­mée syri­enne libre”.

C’est lui qui orchestre la lutte con­tre le HDP, les arresta­tions, la nom­i­na­tion d’ad­min­is­tra­teurs à la place des maires kur­des éluEs, bref, le job con­tre l’op­po­si­tion, menaçant même à l’oc­ca­sion le pour­tant docile nou­veau maire d’Is­tan­bul, du CHP. C’est, pour com­pléter le tableau, un homo­phobe avéré. Ses dif­férents avec le gen­dre d’Er­doğan, Berat Albayrak, min­istre des finances démis­sion­naire, sont connus.

Et bien, revoilà le temps des révéla­tions revenu, avec cette querelle publique d’an­ciens copains d’avant.

Il faut dire que les écuries se met­tent en ordre de marche pour des élec­tions prési­den­tielles, pour­tant encore loin­taines, et que l’at­te­lage au pou­voir, com­pro­mis entre big­ots islamistes, ultra-droite kémal­iste et otto­ma­nia libérale est suff­isam­ment bour­ré de con­tra­dic­tions pour que celles-ci écla­tent au grand jour.

Jusqu’i­ci, le régime avait entretenu assez de guer­res aux fron­tières, de guer­res intérieures con­tre le mou­ve­ment kurde, de polémiques con­tre les opposants, pour ne pas se retrou­ver seul face à lui-même et aux dif­fi­cultés économiques cachées sous les tapis. Mais, il faut croire que la péri­ode des sol­des s’est ouverte, après celle de la pandémie.

Sur Kedis­tan, vous trou­verez quelques exem­ples des pro­pos publics récents que tient le mafieux Sedat Peker, et seule­ment par­mi les plus croustil­lants, dans cet arti­cle issu du jour­nal Duvar. Je n’y reviens pas.

Si on ajoute à tout ça les pro­pos qu’un dig­ni­taire religieux, plus big­ot et moins kémal­iste que lui, a tenu devant Erdoğan à la mosquée, dénonçant “la cru­auté et la dureté du régime de Mustafa Kemal Atatürk”, notre Ataturk fétiche, on voit l’am­pleur du désas­tre. Les accords de façade craque­nt dans les coins, l’AKP va devoir s’oc­cu­per des fis­sures… et faire face à ses hommes de main.

On attend désor­mais l’en­trée en lice des dji­hadistes que le régime a cou­vé depuis plus de cinq ans. Les promess­es extérieures s’é­tant un peu obscur­cies avec le change­ment de prési­dent aux Etats-Unis, l’oblig­a­tion de statu quo avec l’U­nion Européenne et la promesse de don faite au sujet des migrants qui tomberait à pic pour bouch­er des trous, l’al­lié russe qui se mon­tre boudeur, tout cela inquiète les mer­ce­naires poli­tiques et mil­i­taro religieux qui font le sale boulot en Syrie, à Afrin et ailleurs.

Et, mine de rien, on peut rigol­er et se taper sur les cuiss­es en écoutant les pro­pos qui bal­an­cent du mafieux, l’ar­rière cui­sine n’est pas belle à voir, et l’avenir s’an­nonce plein d’incertitudes.

Le pou­voir ne parvient pas à obtenir l’u­nité autour du pro­jet de liq­ui­da­tion de la représen­ta­tion kurde non plus. Il pen­sait que le procès “Kobanê” suf­fi­rait à enclencher der­rière la mise à mort du HDP, mais on sait bien que l’op­po­si­tion molle du CHP, qui aura bien besoin des voix kur­des,  ne suiv­ra pas comme elle l’avait fait en 2016, même si leur fond nation­al­iste les y incite.

Erdoğan, l’AKP et le MHP sont-il prêts à s’en­gager à nou­veau dans une “ten­sion” quelque part, comme ils le ten­tent en Irak dans les régions kur­des, sans suc­cès probant ?

La société civile turque est fatiguée et la faire vibr­er sur des airs mil­i­taires, encore et encore, ce n’est pas gagné.

Le fait qu’i­ci et là, bougent des pop­u­la­tions lassées de voir leur envi­ron­nement de vie détru­it pour des prof­its immé­di­ats de sociétés dont ils/elles igno­raient le nom avant de voir les engins de chantier détru­ire et ras­er, ou des plas­tiques répan­dus dans la nature, le fait que pour don­ner des gages aux big­ots, Erdoğan ait retiré la sig­na­ture de la “con­ven­tion d’Is­tan­bul”, et mis par la même dans la rue les femmes, les LGBTIQ+ et les asso­ci­a­tions de droits humains, tout cela allume de petits feux à étein­dre, en plus du grand qui couve.

Aah ! Un bon coup d’é­tat ? Erdoğan voulait le faire croire il y a peu, lorsqu’il a tancé de vieux mil­i­taires, plus ultras que lui encore, qui lui reprochait sa mol­lesse en Méditer­ranée, face à la Grèce et l’UE.

Ce qui est éton­nant, c’est que la log­or­rhée de Sedat Peker puisse s’é­couler sans que micro et caméras ne soient coupés en Turquie. Est-ce pour jus­ti­fi­er ce qui pour­rait venir ? Cela pré­par­erait-il une nou­velle prise en mains du Reis, appa­rais­sant alors comme le messie ?

Cette péri­ode des sol­des et pas­sion­nante, et m’a fait délaiss­er Net­flix pour un temps.

 


Image à la Une : Trou­vée sur Twitter.

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Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…