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Durant cet intermède pandémique pour l’écosystème, alors que les destructions écologiques dont la prédation humaine est l’épicentre se poursuivent pourtant sur les cinq continents, toujours par la main humaine, je me suis lancé dans une promenade dans la grande forêt de la ZAD…
J’ai marché, tout en retrouvant les souvenirs accrochés aux branches tordues, ces branches cassées des arbres qui ont survécus à la grande résistance de l’Opération César, menée en 2012 à la ZAD Nddl. J’ai entrouvert les pages de souvenirs brumeux des premiers jours où nous avions enlacé ces arbres, refuges des écureuils, hirondelles, fourmis et… des habitantEs de la ZAD.
J’ai pris dans mes bras, le corps abimé d’un de ces arbres résistants, me suis remémoré, les jours, les semaines, les mois que nous avions passés à Hambach en Allemagne, où, jour et nuit, dans le froid glacial, tempêtes, pluie, neige, nous avions aussi enlacé la forêt de résistance, arbre par arbre, et bâti nos maisons sur leur cimes.
Je salue là, avec une immense affection et solidarité, les écureuil-ninjas, combattantEs sans nom de la “fraternité forrestière” ZAD-Hambach, qui continuent encore aujourd’hui à protéger, malgré toutes les agressions, ces arbres que nous avions escaladés à bout de souffle, enlacés de tout coeur, et avec eux tous les êtres vivants qui existent grâce à leur présence. Que la brume de nos souffles qui caresse les arbres, n’expire jamais…
La semaine dernière, via les réseaux sociaux, nous avons vu le témoignage d’une résistance historique de femmes, qui ont enlacé des arbres, pour empêcher le massacre de la forêt dans la région de Mer Noire, en Turquie. Alors que depuis trois ans, par dépit, j’avais pris de la distance avec toutes les informations concernant la Turquie, et m’étais transformé en une personne qui n’ouvrait plus les oreilles sur aucun propos, à l’exception de quelques précieux amiEs restéEs sur place, je n’ai pas pu rester indifférent à cette résistance, qui tombait à un moment inattendu, et survenait dans une région autant inespérée. En tant que défenseur de l’eau et des arbres, je suis moi aussi extrêmement touché par cette opposition, montrée par les femmes d’Ikizdere, contre l’agression de leur propre écologie, leur espace de vie, en grimpant sur les arbres, en les enlaçant…
Le pouvoir coupe finalement la branche sur laquelle il est perché. Sur ces terres, saignées par la Turquie avec une hostilité autoritaire, étatiste et patriarcale, à l’aide d’un système de contrôle et d’administration démesurée, une grande destruction écologique court, tel un cheval emballé.
Cette résistance qui nait dans cette course destructive, a certainement pour les pouvoirs locaux, un sens particulier et inattendu. Rize, bien connu comme des terres de “votes potentielles” du régime, est maintenant témoin du retour du boomerang envoyé sur le peuple d’Ikizdere, par le régime lui-même. Ce boomerang est estampillé de “Cengiz Holding”. Vous vous souviendrez de cette entreprise dirigée Mehmet Cengiz, proche du régime, et d’autres élans de résistances antérieures, concernant par exemple l’extraction de l’or au cyanure à Cerattepe, ou encore le nuisible projet de la “Route Verte”… Ceux qui, armés de la force de pouvoir sans contrôle et sans limites, indexée sur le béton, déclarent la guerre contre l’écosystème, se frapperont le nez, tôt ou tard, contre le rocher, comme à Ikizdere, à Rize…
Les interventions estampillées par des entreprises, pratiquées sous prétexte de “développement”, dans la région de la Mer Noire, durant les dernières vingt années, ont atteint un degré ahurissant. Les éboulements, inondations, qui deviennent de plus en plus fréquents et violents, provoqueront dans un proche avenir, des destructions et cassures inimaginables, dans la topographie de la région. Finalement, aujourd’hui déjà, avec les centrales hydroélectriques et les barrages existants, la structure géologique de la région est mise à disposition de toute sorte de grandes catastrophes. Chaque beau jour qui passe, les eaux deviendront plus polluées, les terres salinisées, la végétation asséchée, les animaux et les humains feront face à des maladies dont on ne connait pas encore les noms… Autrement dit, avec les interventions extrêmes pratiquées sur les populations de flore et faune et sur le tissu social des lieux d’habitation, la région de Mer Noire avance à grands pas, vers le total effondrement psychologique, physique, écologique.
Et à Ikizdere, la pierre est placée dans une telle période critique…
Si critique, que même les mesures concernant la santé publique, liées à la pandémie, sont transformées en une aubaine pour poursuivre ces destructions. C’est pour l’empire d’un holding voyou qui a confisqué la région de la Mer Noire. Avec hâte, sans ciller, sans même attendre les décisions des procès en cours, ils coupent les voix des chênes, de pins et de châtaigniers qui, de leurs branches et racines centenaires, enveloppaient les maisons, les jardins, les plantations de thé installées sur les versants, et le chant des ruisseaux qui leur donnent vie.
Comment la destruction écologique est-elle arrivée à Ikizdere ?
En 2020, un appel d’offre fut ouvert pour la construction d’un port logistique, planifié sur la rive d’Iyidere dans le rayon d’Ikizdere, district de Rize. L’appel d’offre fut emporté par deux entreprises associées : Cengiz İnşaat et Yapı&Yapı AŞ, pour 1 millard 719 millions de livres turques (environ 172 millions d’euros).
Le projet prévoyant le remblayage de la mer, il y avait besoin de se procurer de la matière première, c’est à dire d’extraction de pierres, et des routes de liaison pour les carrières. Pour ce faire, une décision d’expropriation anticipée fut prise, concernant 17 parcelles se trouvant dans les villages de Cevizlik et Gürdere, situés dans la vallée d’Eşkincedere. Cette décision, portant la signature Tayyip Erdoğan fut publiée dans le journal officiel du 19 mars 2021.
Ainsi, la main de l’Etat confirmait sans aucune hésitation, ce processus qui, pour reprendre les mots des habitantEs locaux “transformera Ikizdere en un fosse d’enfer” et permet aux entreprises de dévorer, broyer, les terres, avec toutes ses composantes qui y vivent, et ce, pendant 75 ans…
Suite à la publication de la décision anticipée d’expropriation, la population locale ouvrit un procès administratif pour faire annuler celle-ci. Mais, en voyant que les travaux se poursuivaient sans attendre la décision du tribunal, les habitantEs plantèrent leur tentes sur le chantier et y entamèrent des tours de garde.
Le 21 avril 2021, avec l’entrée des engins appartenant à Cengiz İnşaat, filiale bâtiment et travaux du holding, la tension grimpa.
Le 1er mai, au matin, les habitantEs d’Ikizdere se mirent devant les machines, les gendarmes intervinrent à coups de lacrymos. L’avocat Yakup Okumuşoğlu déclara lors d’une conférence de presse “Ce n’est pas Cengiz İnşaat qui est en face des villageois. Il s’agit des engins appartenant à un sous traitant. Le procès que nous avons intenté au Tribunal administratif de Rize est toujours en cours. Nous attendons une décision qui mettra un frein aux travaux. Le tribunal a entendu la défense et se réunira pour donner le verdict. L’entreprise a pourtant commencé à travailler dans la vallée, sans attendre la décision”
Malgré le couvre-feu sanitaire, la population d’Ikizdere, qui a voulu se rendre sur le chantier, pour protéger la vallée d’Eşkincedere, a trouvé les gendarmes positionnés, bloquant les sentiers qui sont les entrées de la vallée. Les habitantEs ne pouvaient pas accéder à la zone des travaux où les engins ont arraché les arbres auxquels les résistantEs s’étaient enchainéEs. Quatre des opposantEs qui sont montéEs sur les arbres, furent descenduEs par la force, et placées en garde-à-vue. Toutes les femmes et autres résistants se trouvant dans la zone furent expulséEs de force par la gendarmerie.
Il n’est pas possible de deviner où aboutira cette résistance, mais la résistance exposée par ces femmes qui ont enlacé les arbres de tout leur coeur, est gravée à jamais, dans nos mémoires.
Qu’avait-il dit Nâzım Hikmet le poête ?
“Vivre comme un arbre seul et libre, vivre en frères et soeurs comme les arbres d’une forêt ”
“Tu la prendras au sérieux,
Mais au sérieux à tel point
Qu’à soixante-dix ans, par exemple, tu planteras des oliviers”
Parce que l’olivier est le symbole de la fertilité, de la paix, justice, santé, dignité, pureté et sagesse. Il est l’image de la renaissance, et des valeurs et vertus les plus importantes de l’humanité. Pour cette raison, dans un pays qui abat les oliviers, il n’y a pas de respect pour la Vie !
Rappelons donc l’entreprise Kolin, qui a détruit 6 mille oliviers de Yırca à Manisa, et les femmes de Yırca qui lui ont tenu tête…
En effet le 7 Novembre 2014, le Groupe Kolin, qui a choisi le village Yırca, district de Soma, a fait abattre six mille arbres, malgré la grande résistance des femmes qui faisaient la garde pour empêcher l’abattage. Trois heures plus tard, les bulldozers entrèrent sur la zone réservée pour la construction d’une centrale thermique, et de nombreux oliviers, dont des centenaires, non récoltés encore, furent arrachés. Pour empêcher l’intrusion des femmes et villageois, les agents de sécurité de l’entreprise bâtirent un mur, en renfort, avec barbelés à lames, entourant la zone de chantier. Les gendarmes arrivèrent seulement après l’abattage des arbres. Devant cela, les résistantEs et les défenseurEs de la vie en soutien, réagirent et bloquèrent la route desservant la zone.
Les femmes Yırca se rendirent à la préfecture de Manisa, et y déposèrent leurs arbres abattus, avec des pancartes “Touche pas à mon olivier”. Une de ces femmes, Nermin Kocaeri, marqua les mémoires avec ces mots : “Ce sont les enfants que nous avons élevés qui sont abattus, coupés. Nous soignons nos oliviers comme nos enfants. Ils volent nos vies. Nous ne demandons pas d’argent, nous revendiquons nos vies.”
Vous pouvez trouver le documentaire “La résistance de Yırca” réalisé par Kazım Kızıl dans le cinémathèque de Bretagne & Diversité en vo, avec des sous-titrages en anglais et en français.
Les femmes qui enlacent les arbres
Le cycle de la vie se base sur l’eau, l’air et la forêt. L’humain ressemble à l’arbre, étend ses branches et racines grâce à l’eau, se multiplie. Je suis convaincu du fait que l’axe principal de ce cycle est puissamment déterminé par l’énergie biogénétique, se ressourçant de l’intime relation entre la femme, l’eau et la terre. Cette énergie naturelle particulière à la femme et tous les animaux femelles, existe depuis des millions d’années, tout comme l’immortalité des oliviers, premières sources d’alimentation de l’humanité, qui donnent vie à la Terre…
On rencontre les premières femmes qui enlacent les arbres, en tant que gardiennes de l’écosystème, à l’an 1730, en Inde, lors du massacre de Bishnoï…
La communauté Bishnoï fut créée par le guru Jambeshwar Bhagavan, autour de 1500. Les Bishnoïs vivaient dans les régions de Jodhpur et de Bîkâner. Ils sont végétariens et extrêmement respectueux de la nature, et comme les Jaïns, qui vivent également au Rajasthan, cette population possède une conscience écologique très développée pour protéger leur façon de vivre et leur environnement. Les femmes Bichnoï sont connues comme défenseures d’arbres mais aussi comme nourrices allaitantes des jeunes gazelles…
Vous pouvez aussi regarder l’intégral du documentaire “Bishnoi, les femmes qui allaitent les gazelles”
La philosophie de cette communauté prend ses racines de l’observation du cycle naturel eau-arbre et bien que hindouiste, pour elle, tout ce qui concerne la Vie et la transmission de leur vision, est bien plus important que n’importe quelle croyance religieuse…
“Le massacre de Bishnoi” est un douloureux passage historique de la communauté, où 294 hommes 69 femmes furent tués par des soldats. Le mahârâja Ajit Singh de Jodhpur décida de construire un nouveau palais, envoya ses hommes et soldats pour récolter dans la forêt, du bois, notamment de khejri, une espèce d’acacia locale, pour alimenter les feux du chantier. Lorsque ses hommes commencèrent à endommager la forêt, les Bishnoïs s’opposèrent avec douleur. Mais personne ne les écouta…
“Une tête coupée est moins grave qu’un arbre coupé”
Amrita Dévi, une des Bishnoïs témoins du saccage s’interposa et dit “Une tête coupée est moins grave qu’un arbre coupé”. Pour empêcher l’abattage, elle enlaça un arbre. Les autres membres de la communauté la suivirent. Ainsi, les soldats massacrèrent 363 personnes qui essayent de protéger les arbres avec leur corps. Le mahârâja impressionné par ce sacrifice se rendit sur place et ordonna l’arrêt de l’opération.
Nous apprenons que peu de temps après cette zone fut mise sous protection, avec interdiction de nuire aux animaux et arbres. Cette législation est toujours en vigueur aujourd’hui. Et à la mémoire de 363 Bishnoïs tués en protégeant des arbres, une myriades d’arbres khejri furent plantés dans cette zone qui héberge une riche faune.
Le “Mouvement Chipko” actuel, un important mouvement qui continue à s’étendre, se serait probablement inspiré du sacrifice des Bishnoïs. C’est dans les années 1970, qu’un groupe de villageoises enlacèrent un arbre pour empêcher un abattage, dans le nord de l’Inde. Cela marquerait le début du mouvement, dont le nom chipko, peut être traduit par “pot de colle”. Cette méthode s’étendit en quelques années sur tout le pays, et généra une reforme concernant les forêts. Nous apprenons que dans la région d’Himalaya, un moratoire est mis en place.
Les “Guerrières de la forêt” protectrices de la forêt amazonienne
Allons donc vers le Brésil, dans un passé bien plus proche…
Au mois de décembre, en 2019, à Maranhão au Brésil, une poignée du peuple indigène Guajajara, sacs remplis de nourritures, cartes et équipements dont des drones, se préparait à un tour de garde. Le groupe, ne connaissant pas la date de son retour, avait fait ses adieux aux proches, sacs endossés, et étaient parti surveiller une partie des 173.000 hectares de forêts pluviales, appelés “maison”.
Nous sommes dans la région indigène Caru, où l’Amazone s’avance vers les rives nord-est, une zone qui contient les derniers espaces forestiers vierges de Maranhão. Ce coin du Brésil est pourtant scène des agressions et déforestations les plus intenses de ces dernières dix années. Mais, depuis peu, “les protecteurs de forêts”, constitués des autochtones, qui autogèrent cette activité, commencent à être efficaces pour empêcher les pilleurs d’accéder sur les terres indigènes.
Quant aux “Guerrières de la forêt” (Guerreiras da floresta), elles existent depuis six ans. Avant que ces femmes ne prennent les choses en main, c’étaient les hommes protecteurs de forêt qui essayaient d’empêcher les bucherons voyous, qui violaient leur forêt, et c’était une tâche extrêmement difficile. Là, les femmes amazoniennes entrèrent en jeu. Pour commencer 32 femmes se constituèrent en groupe et se donnèrent le nom, non pas “patrouilles” ou “gardes” mais de “Guerrières de la forêt”. Ce choix leur appartient.
Ces protectrices spécifiques n’apportent pas seulement leur force et présence, mais grâce au don de “ressentir” ce qui, en tant que femmes, leur est naturel, développent de nouvelles tactiques et stratégies de défense, de nouvelles alliances.
Le monde amazonien se présente comme un lieu des solutions les plus directes et simples, car ce coin du monde est un épicentre de la protection des forêts, et de lutte contre la crise climatique, crée par l’humain. Ce type de démarches apporte à la mobilisation une dynamique particulière qui pointe le chemin pour le sauvetage de toute une planète, la Terre mère…
Se prendre en main et chercher sa voie
Pour les Guajajaras, le travail de garde pour protéger leur terre des occupants, n’est pas une tâche nouvelle. Ce peuple possède dans cette matière, une expérience de plus de 500 ans. Aujourd’hui, ces femmes et hommes utilisent la technologie, notamment satellite, et bâtissent une défense forestière très coordonnée.
Les “Guerrières de la forêt” expriment pourtant dans un entretien publié par Mongabay, que le chemin qui les a amenées à être prise enfin au sérieux, et recevoir un traitement égalitaire, fut un peu long.
“Pourquoi avons-nous pris cette initiative ? Parce que nous sommes des mères. Si nous n’agissons pas, il n’y aura pas de forêt debout”, déclara Paula Guajajara, l’une des guerrières volontaires, lors d’un événement public l’année dernière.
“Pour rechercher un partenariat, nous avons marché, parlé, dormi sur le sol — tout cela dans le but de chercher une amélioration pour notre communauté”, dit Paula, rappelant la difficulté initiale d’être entendue et prise au sérieux à l’intérieur et à l’extérieur des communautés. Les femmes sont aujourd’hui heureuses de souligner le soutien et l’étroite collaboration des gardiens forestiers mâles, qui leur ont permis de lutter contre l’objectif plus grand de l’arrêt de l’exploitation forestière illégale. “Nous avons déjà expulsé de nombreux bûcherons. Si nous n’avions pas agi, il n’y aurait déjà plus de forêt”
Les résultats sont clairement visibles. En 2018, il n’y avait que 63 hectares (156 acres) de déforestation dans la réserve, par rapport à 2016, lorsque la déforestation a atteint un maximum de 2000 hectares (4940 acres), selon Global Forest Watch. “La plus grande réussite que je vois aujourd’hui dans mon village est la cause de la protection territoriale, il n’y a pas de bûcherons sur notre territoire et nous avons réussi à lutter contre la vente de bois”, se réjouit Cícera Guajajara da Silva, une autre guerrière.
Les Guerrières de la forêt ont également contribué à établir des liens avec d’autres groupes autochtones, cherchant de la même manière à protéger leurs territoires, telles que les communautés Ka’apor, Awa-Guaja et d’autres communautés Guajajara. Les femmes ne font pas que des gardes de protection, elle recherchent l’unité dans les 16 territoires autochtones à Maranhão, créent des alliances avec des organisations de société civile, font des formations sur la protection territoriale, mais aussi le reboisement, et l’éducation environnementale.
“Tout ce mouvement est extrêmement important car il montre cette force, et que les femmes ont beaucoup à apporter au mouvement car elles font partie du territoire et se préoccupent de lui, et des générations futures.” dit Rodrigues da Silva à Mongabay.
Se préoccuper des territoires et des générations futures…
“La capacité de détruire” quasi devenue la nature de l’humain
Dans l’altération forcenée de la relation entre l’humain et son environnement, sans aucun doute, l’ego humain et sa volonté de domination de la nature, comme s’il en était séparé, joue un rôle principal. Pour l’exprimer avec le prisme radical de Murray Bookchin, théoricien de l’Ecologie Sociale, notre volonté de domination de la nature, plonge ses racines dans la domination de l’humain par l’humain, fortement présente dans les sociétés gérontocratiques, patriarcales, et d’autres types d’organisation oppressives.
Aujourd’hui, nous avons besoin de l’âme révolutionnaire et écologique de l’ère Néolithique, où l’être humain était dans une relation harmonieuse, saine et respectueuse avec la nature et tous ses vivants. Autrement dit, nous devons mettre une terme au pouvoir du système industriel que nous avons transformé en une force autoritaire et destructive, arrêter cette mécanique artificielle que nous avons crée de nos propres mains, avec un inimaginable maléfice contre tous les vivants de notre planète, y compris nous-mêmes, et qui va à l’encontre de l’écosystème auquel nos veines vitales sont liés. Et nous devons retrouver la dialectique qui contient l’unité pacifiste, sereine et durable qui lie tous les êtres de notre planète les uns aux autres, y compris nous mêmes.
S’il faut paraphraser Bookchin, “Notre tâche est de séparer les promesses de la technologie, c’est-à-dire son potentiel créatif, de sa capacité destructrice”
Avec les nouveautés et bonds extraordinairement grands de la technologie, “la capacité de détruire” quasi devenue la nature de l’humain, continue à piller la nature à une vitesse incontrôlée.
Particulièrement les forêts sauvages et historiques et les sources d’eau sont totalement sous le siège des entreprises s’activant dans les domaines hydroélectrique, du commerce de bois, d’extraction de pétrole, d’uranium, d’or, des transports terrestres, aériens et navals, et de petits ou grands organisateurs de chasse…
Les défenseurs de la vie, luttant contre cette distorsion du système néolibéral global sur l’écosystème, cherchant une sortie en faveur de l’écosystème, développent des formes d’action directe et s’organisent en fonction de leur dynamique originelle à travers le monde. Dans toutes ces formes de résistance, les femmes, qui ont un lien éco-jinéologique direct avec l’écosystème, sont réputées pour leurs actions extraordinaires et créatives, et leur dévouement.
L’une de ces femmes est la défenseure d’arbres Julia Butterfly Hill. Pour lutter contre Pacific Lumber Company qui, dans la forêt Redwood en Californie, voulait couper un séquoia de 55 mètres et de 1000 ans, elle a passé 738 jours au sommet ce cet arbre.
738 jours de sit-in sur un séquoia
Julia naquit dans le comté de Humboldt en juin 1996, peu de temps après un glissement de terrain causé par la coupe forestière de la compagnie Maxxam, propriété de la Pacific Lumber Company. Venue au monde dans une telle période, et au fil des ans, sentant un lien fort avec la forêt de séquoias menacée par la société d’exploitation forestière, Julia retourna en Arkansas pour vendre tous ses biens afin de se consacrer à la préservation de cette forêt, et rejoint l’organisation Earth First!.
Une campagne fut lancée contre Maxxam, pour empêcher la déforestation massive dans le comté de Humboldt. Juila se porta volontaire pour rester 30 jours sur un séquoia vieux de 1 000 ans, pour arrêter le carnage dans le parc national de Redwood.
Le 10 décembre 1997, bien que les opposantEs furent attaqués par un groupe de bûcherons ce jour-là, Julia et un autre militant de l’organisation réussirent à grimper au sommet du séquoia. Malheureusement, l’activiste qui accompagnait Julia fut forcée de redescendre pour des raisons de santé émotionnelle, le 4 janvier 1998. Julia tint le coup. Elle termina le séjour de 30 jours prévu et a décida de continuer. Elle restera sur l’arbre, beaucoup plus longtemps qu’elle ne l’avait imaginé.
Au cours de cette action solitaire, Julia fit face à de nombreux obstacles. En supportant le gel et les températures extrêmes, elle continua à se battre pour sa cause et ne quitta pas l’arbre. Sa détermination lui permit de continuer malgré les nombreuses menaces et pressions de la compagnie. Bien sûr, l’entreprise tenta différentes tactiques pour la forcer à décamper. D’abord, elle essaya de l’intimider par un hélicoptère. Ensuite l’entreprise engagea des agents de sécurité pour empêcher les militantEs du Earth First! qui ravitaillaient Julia. Il y eut l’usage de spots à haute intensité et de haut-parleurs à haute puissance… Julia s’entêta et résista à toutes ces épreuves. Elle surmonta la solitude au sommet de son arbre, ainsi que les sons constants d’une scie qu’on lui infligeait. Le vieil arbre fut alors pour elle, un tournant, un ami, une présence dans ce long voyage…
Julia descendit de l’arbre en 1999, après que l’entreprise lui ait assuré de ne pas couper les arbres dans Redwood et environs.
Elle dira plus tard : “Je rompais avec le meilleur professeur et ami que j’ai jamais eu. J’allais vers le sol. Je ne savais pas si je pourrais vivre à nouveau sur terre. C’était un étrange ressenti. Je n’avais pas frôlé le sol pendant deux ans et huit jours. Quand j’ai mis les pieds sur la terre, j’ai eu des émotions complexes. Une joie extrême, parce que nous avons réussi à protéger l’arbre et ses environs alors que tout le monde disait que c’était impossible. Mais j’ai aussi ressenti de la tristesse. Je faisais désormais partie de cet arbre et j’en faisais tellement partie que je ne savais plus si je pouvais vivre avec des gens. Même si j’ai quitté l’arbre, il fait partie de mon identité. Je peux fermer mes yeux et me ressentir encore sur les branches…”
Durant l’action, cette aventure attira l’attention des médias et fut réellement éducative pour le public. Julia donna de nombreuses interviews durant son séjour sur l’arbre, pour expliquer ses motivations et encourager les gens à soutenir son combat contre l’environnement. Elle continua à défendre sa cause également après sa descente. Malgré sa réticence à apparaître dans les médias, elle avait compris que ce moyen était son arme la plus puissante…
Pendant cette campagne, 50 mille dollars ont été collectés et donnés à l’Université d’État de Humboldt, pour financer recherche sur la foresterie durable.
En septembre 1998, alors que Julia vivait sur l’arbre depuis déjà un an, lors des protestations contre l’entreprise Pasific, dans les forêts Redwood, un autre militant de Eart First! David Chain sera tué sous un arbre qui “tomba” d’une façon suspecte.
Violences contre les militantEs
Dans le mouvement environnemental mondial, la violence contre les militantEs n’est pas sans précédent. Par exemple, des dirigeantes nommées Berta Casseras et Macarena Waldes, qui se sont battues contre les centrales hydroélectriques au Honduras et au Chili, ont été assassinées dans des conditions similaires. On peut aussi compter Santiago Maldonado, le militant argentin, qui a été “perdu” dans la région de Chubut…
Dans d’autres régions, nous rencontrons la même image… Comme Judith (Judi) Bari et Darryl Cherney, qui furent attaqués à la bombe en mai 1990…
Earth First! et l’héritage de Judi Bari
Judith Bari, cible de cette attaque à la bombe dont les auteurs sont encore aujourd’hui inconnus, est une militante écologiste, féministe, anarchiste, et la stratège de l’organisation Earth First!.
Née le 7 novembre 1949 et élevée dans le Maryland, Judith, avant son déménagement dans le nord de la Californie, travailla comme commis dans une chaîne d’épiceries. Elle y devint responsable syndicale. Dans son emploi suivant à la poste, au tri central, elle organisa une grève sauvage.
En début 1980, elle rejoignit Pledge of Resistance, un groupe qui s’oppose aux politiques américaines en Amérique centrale. Vers 1985, elle s’installa avec sa famille, dans le nord Californie, dans les environs de la Redwood Valley dans le comté de Mendocino.
Quant au Earth First! ? L’organisation fondée quelques années avant, par cinq hommes bien virils, était animée par l’image de “l’homme fort et courageux qui protège la nature sauvage”, et elle s’activait pour des actions mettant en avant l’individualité et la bravoure.
Ce que Judith a apporté à l’organisation n’a pas de prix. Judi Bari est avant tout, la théoricienne et l’organisatrice d’une stratégie et pratique collectives qui, pour réunir leur forces de lutte, se rapproche des populations locales, et qui tend vers l’alliance avec les travailleurs de bois. En effet, elle a compris l’importance de faire converger les luttes sociales et écologiques, et l’a apportée dans sa stratégie.
L’une des conquêtes concerne les femmes… Comme c’est souvent le cas, les femmes qui sont les membres les plus actives mais qui ont presque toujours été rendues invisibles, eurent la possibilité de lutter plus efficacement grâce à Judi Bari.
En 1986, le millionnaire de Houston Charles Hurwitz attira l’ire des écologistes lorsqu’il acheta la Pacific Lumber Company et doubla le taux de récolte du bois sous prétexte de payer le coût de l’achat. Il attira également l’attention des agences gouvernementales pour utilisation d’obligations sans valeur et à haut risque. Ainsi commencèrent les protestations contre la Pacific Lumber Company, qui planifia sans ciller le massacre de milliers de séquoias de grand âge, et EarthFirst! se focalisa sur cette lutte.
En 1988, Judith essaya de rassembler les travailleurs du bois et fut l’initiatrice d’une alliance entre EarthFirst! et le Syndicat mondial des travailleurs industriels (IWW) pour faire chemin commun dans la lutte contre l’abattage des séquoias âgés. Mais les actions de Judith étaient perçues par certains travailleurs du bois comme une menace pour leurs moyens de subsistance. À cette époque, les écologistes protestaient déjà contre la coupe excessive de bois par des occupations de chantiers, actions de sit-in dans la forêt et sur des arbres, et soutenaient des poursuites judiciaires. Beaucoup de bûcherons ont également perçu ces actions comme du harcèlement, et il y a eu des affrontements houleux, parfois violents avec les manifestantEs.
L’efficacité accrue de la lutte et de la stratégie de Judi eut sérieux un prix à payer, tel que des menaces de mort, allant jusqu’à l’appel d’un groupe particulièrement sexiste et anti-environnemental à “bombarder l’entre-jambes jambe de Judi”. Il n’est pas surprenant que ces menaces puissent être suivies d’une tentative d’assassinat en 1990… Lors de l’explosion d’une bombe placée dans sa voiture, Judi, gravement blessée à la hanche, portera les séquelles de cette attaque durant toute sa vie. Le plus révoltant de cette histoire, fut l’accusation du FBI, arrivé sur les lieux de l’incident quelques minutes plus tard. Selon FBI, Judi et son ami, cibles de l’attaque, “transportaient une bombe dans leur voiture”…
Fidèle à sa conviction dans les actions non violentes, Judi, voulant avant tout sensibiliser l’opinion publique, usa également de la magie de la musique dans ses protestations. Elle joua du violon et chanta… Malheureusement, bien qu’elle ne cessa d’exprimer son engagement à la désobéissance civile non violente, les médias qualifièrent les actions de bloquage des engins et des chantiers pratiquées par Earth first!, de “sabotages”, et déclarèrent Judi comme “saboteuse”. Bien sûr, cela ne vous surprendra pas, car aujourd’hui les médias traditionnels continuent d’accomplir cette sale tâche falsificatrice…
Malgré tout, Judi, excellente oratrice et organisatrice talentueuse, continua sa lutte jusqu’à sa mort d’un cancer en 1997.
Le combat de Judith, qui s’est toujours tenue debout et digne face aux pouvoirs qu’elle a combattus et leurs forces de l’ordre, est relayé encore aujourd’hui par les activistes de EarthFirst!, ces femmes et hommes qui sont ses héritiers. Par exemple, depuis plus d’un an, EarthFirst! organise des sit-in dans les arbres pour empêcher la construction du second pipeline Mariner East, et ses activistes continuent à être présents parmi les défenseurEs de la nature et de l’environnement, déterminéEs à ne pas lâcher la lutte tant que la planète continuera de flamber.
Laissons le dernier mot à Judith :
“Continuons à bloquer les bulldozers et à arracher les arbres. Et concentrons nos campagnes sur les entreprises mondiales qui sont les vrais coupables. Mais nous devons aussi commencer à positionner nos actions dans un contexte plus large, dans celui de l’écologie révolutionnaire”.