Le 2 mars dernier, le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir a dévoilé son “nouveau plan” de renforcement des droits de l’homme en Turquie, sous le nom de “Plan d’action pour les droits de l’homme”.
Notre Reis Erdoğan a publié dans le Journal officiel du 30 avril, un décret concernant le nouveau “plan d’action” de son gouvernement, qui vise “à renforcer le droit à un procès équitable et la liberté d’expression en Turquie”.
L’opinion publique internationale et turque sait parfaitement que l’objectif réel à l’origine de ce plan est de justifier les fonds européens perçus et à venir. C’est en quelque sorte une demande d’étiquetage de la commission européenne, pour certifier une origine “démocratique” du soi-disant engagement de la Turquie, qui n’est en réalité que des lignes couchées “sur papier” dont elle s’affranchira comme elle le fait pour la Convention d’Istanbul.
D’ailleurs, le député déchu du Parti démocratique des peuples (HDP), Ömer Faruk Gergerlioğlu en parlait amèrement dans l’entretien qu’il a donné pour Kedistan, à Dilek Aykan, très récemment…
Le décret précise :
“Les objectifs et les activités ont été concrètement définis dans le plan d’action dont la période de mise en œuvre devrait être de deux ans ; pour chaque activité envisagée, des périodes à court terme (1–3 mois), à moyen terme (6 mois‑1 an) et à long terme (2 ans) ont été déterminées”.
Notez l’ironie de ce plan concocté, comme s’il s’agissait, concernant les violations de droits et le système d’INjustice mis en place, d’un autre gouvernement. Si on devait prendre cette “volonté” au sérieux, il faudrait alors serrer les dents encore durant deux ans, dans ce pays où statistiques de la censure, poursuites en tous genres pour terrorisme contre les opposantEs, tapent au plafond.
“Des experts juridiques et des citoyens ordinaires ont toutefois souligné qu’ils n’attendaient pas de nouvelles paroles, mais des actes, de la part des dirigeants du pays, compte tenu du faible bilan de la Turquie en matière de droits de l’homme, avec l’emprisonnement de plusieurs personnes sur la base d’accusations forgées de toutes pièces.” disent gentiment les médias… Et sur les réseaux sociaux, cette phrase revient sans cesse : “La Turquie est un pays très drôle, si on n’y vivait pas, on serait mort de rire”. Rions jaune et pleurons…
Le décret présidentiel précise également que “le plan d’action sera mis en œuvre en coordination avec l’ensemble des ministères et des institutions publiques. Outre l’engagement d’élargir les libertés et les droits, le plan vise également à garantir que les services publics soient offerts de manière égale, transparente et juste.” Quelle belles intentions… A chaque bureau son affiche donc, avec la liste des droits promis, à côté de celles qui continueront à dire “interdit aux Kurdes et aux chiens d’Arméniens” comme dans tout bon établissement turc qui se respecte ?
“Avec l’amélioration des normes en matière de droits de l’homme et de libertés, notre démocratie connaîtra une accélération dans le sens où elle se concentrera sur la satisfaction de nos citoyens”.
“Notre démocratie connaîtra une accélération”, donc démocratie il y aurait, et elle sera développée encore plus. Que veut le peuple ? Tout le monde sera “satisfait” et content. Enfin, sauf celles et ceux qui croupissent dans les prisons, les journalistes poursuiviEs pour rien, les médias qui subissent des censures, interdictions d’informer, des amendes, voire des sanctions de fermeture, et les populations qui, par crainte de poursuites, sont obligées de peser chaque mot publié sur les réseaux sociaux… Mais, après tout, ce sont peut être “ces gens là”, les traîtres, les fomentateurs de coup d’état, les séparatistes, qui jusqu’ici ont fait régner la terreur et empêchent que les “droits de l’homme” ne s’épanouissent.
Pour la mise en œuvre effective du plan d’action, serait donc crée le “Comité de suivi et d’évaluation du plan d’action pour les droits de l’homme”. Le décret précise encore : “Ce comité sera présidé par Erdoğan”. Bah, évidemment… “Il sera composé du vice-président, du ministre de la Justice, du ministre de la Famille et des services sociaux, du ministre du Travail, du ministre des Affaires étrangères, du ministre des Finances et du ministre de l’Intérieur.” En somme, que des gens qui se seront rempart, pour la liberté d’expression et pour une justice équitable… Là encore, on peut compter sur eux pour que les affiches soient placardées dans les salles d’interrogatoire et les commissariats.
“Le comité se réunira tous les six mois, et les procédures relatives à son fonctionnement seront déterminées par le comité lui-même”, annonce le décret. C’est à dire “comme on veut”. Ah oui, et “si nécessaire”, ajoute-t-il, “les représentants des institutions concernées seront invités aux réunions du comité”.
Nous apprenons, que “tous les quatre mois, les ministères et institutions publiques concernés enverront au ministère de la Justice leurs rapports sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du plan d’action. Sur la base de ces rapports, le ministère de la Justice préparera un “Rapport annuel de mise en œuvre” et le soumettra à l’approbation du Comité de suivi et d’évaluation du plan d’action pour les droits de l’homme. Le rapport du ministère de la Justice sera également envoyé à à l’Institution du médiateur de Turquie et à l’Institution turque des droits de l’homme et à l’égalité (TİHEK)”. Celles-ci sont des institutions gouvernementales, alors ne pas confondre avec les organisations de société civile qui défendent réellement les droits humains en Turquie, comme IHD, pour ne citer qu’une seule, dont les responsables sont aussi d’ailleurs poursuiviEs, parce qu’ils-elles seraient des “terroristes” ! Suivez mon doigt… Bref, elles ne seront certainement pas concernées par “les institutions concernées”.
Le décret continue à produire des mots, et précise à nouveau que “les institutions citées soumettront leurs avis sur le rapport, à la présidence et au Parlement turc”. Ainsi, le Président pourra apprécier, voire apporter son intervention divine et experte, et le Parlement vidé de ses âmes, dont d’innombrables éluEs sont démisEs de leur mandat, sera “informé”… C’est seulement après tout cela que, “Finalement, le rapport sera partagé avec le public par la Présidence”.
Et notre Reis pourra à la fin faire sa comm, sur “les droits de l’homme nouveau pour 2023”.
Il n’empêche que tout cela n’est pas une farce, mais bel et bien le résultat d’une suite de réunions et de rencontres, assis sur chaise ou canapé, selon le genre, avec des commissionnaires de l’Union Européenne. Pour justifier une politique veule en matière de rétentions migratoires, très portée, comme chacun sait, sur le respect des droits des hommes, des femmes et des enfants, voilà bien de la bureaucratie diplomatique. Au final, l’UE paiera pour que l’Etat turc s’occupe de fermer une route migratoire vers l’Europe, mais les migrants retenus sauront qu’ils auront désormais, comme tout citoyen turc, un “plan d’action pour les droits de l’homme” pour les protéger, à défaut de pouvoir le lire.
On lisait en Europe il y a quelques années “Turquie, la démocratie en danger”. Celles et ceux qui pensaient sérieusement ce qu’ils/elles disaient à l’époque, devraient être rassuréEs désormais. Grace aux “droits de l’homme”, la démocratie refleurit. Pour les droits de la femme, on attendra.
Image à la Une : Erdoğan saluant la foule en folie, lors de la réunion de présentation du plan, le 2 mars 2021.