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Même si nous savons que cette mobil­i­sa­tion autour de l’U­ni­ver­sité de Boğaz­içi, promesse de print­emps en hiv­er, se heurte et se heurtera à un pou­voir cade­nassé et tou­jours prêt à mor­dre, elle fait un bien fou.

Car c’est cette jeunesse qui nous remet comme une trans­fu­sion de sang neuf en pleine pandémie d’au­tomanie. Elle sur­prend, inquiète, fran­chit des lignes, et ne sem­ble pas être mar­i­on­nette de qui que ce soit.

Elle nous a servi une belle “let­tre ouverte au prési­dent”, avec toute l’im­per­ti­nence qu’a per­due l’op­po­si­tion offi­cielle, et même la vraie, qui s’élec­toralise sou­vent depuis que Sela­hat­tin Demir­taş est empris­on­né.

Oui, ce sont des étu­di­ants ; et à Istan­bul ; dans une uni­ver­sité qui avait jusqu’i­ci résisté aux charges, par­fois dos rond, sou­vent parce qu’on hésite tou­jours à touch­er aux “vit­rines” pres­tigieuses comme Boğaz­içi, qui accueil­lent les enfants un peu favorisés et qui tra­vail­lent vers “l’é­tranger”, tant décrié par nos nation­al­istes. Mais là, le Prési­dent a voulu frap­per la fin de la par­tie. Ses décrets de réforme de l’u­ni­ver­sité étaient au chaud dans les tiroirs. Pour ce qui est des “admin­is­tra­teurs-tuteurs”, ça, Erdoğan sait le faire. Il s’est fait la main sur toutes les munic­i­pal­ités des villes kur­des. Il avait com­mencé avec quelques uni­ver­sités, ça et là, mais à Istan­bul, pensez donc, met­tre en plus le cul entre deux chais­es au nou­veau maire CHP qui se voit déjà cal­ife à la place du cal­ife, c’é­tait tentant.

Toutes les igno­minies se sont abattues sur eux/elles, qui se débrouil­lent pour­tant bien et obti­en­nent des sou­tiens gran­dis­sants pour le moment.

J’ai lu il y a peu dans un papi­er sur Duvar, qui main­tient encore haut sa lib­erté d’ex­pres­sion, com­bi­en les injures pleu­vaient con­tre les jeunes. On le trou­ve aus­si traduit en français ICI. J’au­rais du mal à faire mieux.

J’ai lu aus­si des com­men­taires sous des pho­tos de la mobil­i­sa­tion qui fai­saient la moue en y voy­ant de jeunes étu­di­antes por­tant un foulard. Et un autre arti­cle qui sem­blait répon­dre à ces laï­cardEs qui se trompent de com­bat, en élar­gis­sant un peu le point de vue.

Mais j’ai lu aus­si quelque part, “qu’ils auraient mérité l’en­fer Erdoğan” ces jeunes. Rien que ça. Ces jeunes, ou, comme dans la fable du loup et de l’ag­neau, leurs pères ou “leurs frères”, sans doute, n’au­raient pas bien lut­té hier, quand la sit­u­a­tion l’ap­pelait. Donc, les soutenir aujour­d’hui ne serait plus de mise. C’est pas très gen­til pour le HDP ça, qui est loin de n’être com­posé que de Kur­des. C’est surtout don­ner l’im­age d’un repli nation­al­iste qui n’arrangerait rien pour la “con­ver­gence des luttes” en Turquie. Mais les replis ne sont-ils pas dans l’air du temps ? Cha­cun sa bou­tique ne fera jamais un marché convivial.

Voici un extrait par­mi d’autres de la “let­tre ouverte” de celleux de Boğaz­içi, qui devrait faire revenir à la rai­son celles et ceux qui ne savent pas lire :

Vous main­tenez illé­gale­ment en prison les ancien.nes coprésident.es (Sela­hat­tin Demir­taş & Figen Yük­sek­dağ) du Par­ti démoc­ra­tique du peu­ple (HDP). Et aus­si des jour­nal­istes, des syn­di­cal­istes… Mais nous déclarons que nous sommes sol­idaires de ceux.celles qui n’ont pas peur de dire la vérité et que nous sommes con­tre tous les admin­is­tra­teurs nom­més par le gou­verne­ment…

C’est écrit et ces jeunes le vivent, au coude à coude, y com­pris avec leurs cama­rades LGBTIQ, très présents et inven­tifs dans la mobil­i­sa­tion, au grand dam du pou­voir bigot.

Oui, que voulez-vous, ce n’est pas par jeu­nisme que j’ob­serve de près com­ment cet affron­te­ment autour de Boğaz­içi va se ter­min­er. C’est pour ne pas mourir idiote, ni prostrée.

Mais je ne serai jamais dans le camp de celles ou ceux qui dis­ent “ils/elles l’ont bien mérité”, “fal­lait se bouger avant”. Qui bouge sous une tonne de plomb ? Aller en prison n’est pas une solu­tion d’avenir. Man­i­fester sans cesse pour des “libéra­tions” ne fait rien avancer d’un pouce non plus. Et que ces jeunes, dont beau­coup fuient en Europe depuis quelques années, descen­dent dans la rue, est un immense pas pour le moral.

Cette jeunesse, même si elle ne représente qu’une infime par­tie de la jeunesse de Turquie, et qu’elle n’est pas vrai­ment à l’im­age du noir qui obscurcit tout, mon­tre qu’il est pos­si­ble de rester debout, aujour­d’hui, et pour demain. Et sup­pos­er qu’elle tressera plus tard des louanges au racisme, à l’ho­mo­pho­bie, au mil­i­tarisme, après ce qu’elle a écrit au Prési­dent, serait inviter à baiss­er les bras pour de bon, et ne pas voir que les racines de Gezi n’ont pas dis­parues de dessous la terre. Les vic­toires sur l’ob­scu­ran­tisme en Turquie se fer­ont con­tre tous les nation­al­ismes… con­tre tous.

Et, même si tout cela se ter­mine mal, que ces jeunes de Boğaz­içi me fassent exis­ter, est un bon­heur. Ces enfants m’of­frent une année de plus.


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Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…