Ce livre, arrivé le 31 décem­bre dans ma boite aux let­tres, je l’at­tendais depuis des années. Un véri­ta­ble cadeau.

Mah­mud et Yezi­da est le pre­mier volet de la “trilo­gie mésopotami­enne” de Murathan Mungan. Le sec­ond volet, Taziye • Céré­monie funèbre, fut pub­lié égale­ment chez Kon­tr, en 2018.

Murathan est orig­i­naire de Mardin, ville du Sud-Est de la Turquie. Cette ville a longtemps abrité Musul­mans arabes, kur­des, Arméniens, Juifs et Syr­i­aques et Ézidis. À not­er aus­si la déli­catesse de tra­duc­tion du terme “Ézi­di” et non “Yézi­di”, appel­la­tion très général­isée, y com­pris dans les pages de Kedis­tan (mea cul­pa), ce qui est en vérité une erreur.

Mah­mud et Yezi­da racon­te ain­si l’histoire d’amour impos­si­ble d’un Musul­man et d’une Ézi­die. Impos­si­ble, car les Ézidis ne peu­vent se mari­er en dehors de leur com­mu­nauté et parce que les rap­ports entre Musul­mans et Ézidis ont tou­jours été nour­ris d’inimitié. Comme si cela ne suff­i­sait pas, l’amour de Mah­mud et de Yezi­da est encore con­trar­ié par une querelle de ter­res. Pour accéder à un ter­rain fer­tile situé au-delà du vil­lage ézi­di, les hommes de Hav­vas Agha vont prof­iter d’une croy­ance ézi­die pour enfer­mer le vil­lage entier dans un cer­cle, afin de pou­voir s’approprier les ter­res qu’ils con­voitent. Mais lorsque Mah­mud est abat­tu en essayant de la rejoin­dre, Yezi­da s’enferme elle-même dans un cer­cle, pour se laiss­er mourir.

Cette pièce de théâtre qui a mar­qué l’histoire du théâtre turc con­tem­po­rain et qui est aujourd’hui traduite pour la pre­mière fois en français est com­plétée d’un texte récent de Murathan Mungan, où il retrace l’histoire ponc­tuée de mas­sacres du peu­ple ézi­di.

Après avoir été mise en scène par de nom­breux ensem­bles ama­teurs, semi-ama­teurs, lycéens et uni­ver­si­taires, au pays et à l’é­tranger, Mah­mut et Yezi­da, a égale­ment été jouée par le Théâtre nationale d’Ankara, en 1993. Lorsque Murathan a com­plété la “trilo­gie mésopotami­enne” en 1992, avec Les malé­dic­tions du cerf, les trois pièces ont été mis­es en scène en 1994 par le Théâtre nation­al d’An­talya, durant une année. Et, encore la même année, au Fes­ti­val inter­na­tion­al de Théâtre d’Is­tan­bul, trois pièces ont été présen­tées comme un spec­ta­cle de onze heures.

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de 1980 à 2021…

Je me sou­viens de ma ren­con­tre avec Mah­mut et Yezi­da, comme si c’é­tait hier. Mon exem­plaire est un pre­mier tirage, et sur la page de garde, j’avais noté, comme d’habi­tude, la date et le lieu d’achat : “26 juin 1980, Teşvikiye”. J’é­tais alors encore une étu­di­ante, de 19 ans…

Ce fut pour moi une dou­ble-décou­verte : celle de la plume de Murathan Mungan, qui débu­tait avec ce livre son chemin lit­téraire qui le fera devenir un auteur majeur de Turquie ; mais aus­si, celle d’un peu­ple dont, jusqu’à ce que je croise Mah­mud et Yezi­da, je ne con­nais­sais pas l’ex­is­tence : Les Ézidis.

Je voulais telle­ment la partager avec mes amiEs et proches, que je les avais invités à lire ensem­ble, à voix haute, rôles dis­tribués… Je nous vois encore, assis sur les grands coussins de toutes les couleurs, parsemés sur le tapis bleu de mon salon, à Moda, quarti­er côté asi­a­tique, à Istan­bul. Lec­ture, avec thé et Metaxa alternés.

Aus­si, touchée par les étranges tra­di­tions et croy­ances, envelop­pée par la magie de leurs croy­ances, je me suis bal­adée durant des mois avec quar­ante tress­es de voeux dans mes cheveux longs et noirs. Tous mes dessins étaient rem­plis de cer­cles. Ce livre est une des pier­res de repère de ma jeunesse, de la femme en devenir que je fus. Si pré­cieux à mes yeux, il a pris place bien au dessus d’un Roméo et Juli­ette, et sur les étagères du haut de ma bib­lio­thèque, littéralement.

Ce pre­mier tirage, lu et relu, passé d’une main à l’autre, est devenu pour moi un objet qui lie l’amour de la lit­téra­ture, de la lec­ture, et les gens que j’aime, mais aus­si une icône de toute une époque. Il fait alors par­tie des rares objets qui m’ont suiv­ie dans tous mes démé­nage­ments et exils, comme un tré­sor dont je ne me sépar­erai jamais. Je l’ai toujours…

Cette ver­sion en français, je l’ai atten­due si longtemps, avec patience. Main­tenant elle est là, pour être partagée avec mes amis fran­coph­o­nes. Et, longue vie aux édi­tions Kontr !

SCÈNE 2
Arbre à souhaits

Yezi­da est au pied de l’ar­bre à souhaits, en haut de la mon­tagne. Elle est en train de nouer un mou­choir votif de plus, couleur feu, à l’ar­bre dont les branch­es ploient sous leur poids. Pour cette rai­son, elle n’a pas vu Mah­mud approcher. Celui-ci s’at­tarde un temps à l’ob­serv­er. Puis, d’une voix gron­dante de tendresse :

Mah­mud — Quel est ton souhait,  Yezida ?

Yezi­da — Tu es mon seul souhait Mahmud.

Mah­mud — C’est de l’ar­bre que tu attends la réal­i­sa­tion de ton souhait, Yezi­da ? Sais-tu com­bi­en de jours ont passé ?

Yezi­da — J’ai noué aujour­d’hui à cet arbre le quar­an­tième chif­fon, pour que tu viennes saint et sauf, j’ai noué aujour­d’hui à cet arbre son quar­an­tième chiffon.

Mah­mud — Aujour­d’hui je nouerai ta quar­an­tième tresse  Yezi­da. Je nouerai à tes cheveux le quar­an­tième oued de mon désir. Aujour­d’hui ta quar­an­tième et dernière tresse sera tressée. Ces noues, ces tress­es, Yezi­da, quand seront-elles défaites ?

Yezi­da — Dénouer mes cheveux tressés sera ton droit nup­tial, Mah­mud. Ce sera toi qui les dénoueras, ou la mort. (p 11)

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Mahmud et Yezida

Murathan Mungan
Traduit par Syl­vain Cavaillès
Kon­tr — 21 jan­vi­er 2021
Broché ISBN978‑2–491-22100–3
112 pages — 15 €

 

Murathan Mungan 

Ecrivain, dra­maturge et poète, né en 1955 à Istan­bul, mais orig­i­naire de Mardin où il a gran­di, Murathan Mungan est diplômé du départe­ment de théâtre de la fac­ulté des langues et d’histoire-géographie de l’université d’Ankara. Depuis le tout début des années 1980, il s’illustre avec autant de brio et de con­stance dans les gen­res les plus divers : poésie, théâtre, fic­tion, essai.

Il est con­sid­éré comme l’une des valeurs sûres de la lit­téra­ture turque con­tem­po­raine, et des auteurs les plus pop­u­laires de la Turquie.


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.